Un tournant « mitterrandien » pour Macron ?
Le « en même temps » inauguré par le président français conduit à l’impasse, estime le philosophe et économiste Jérôme Batout dans une tribune au « Monde ». Il doit, tel François Mitterrand, laisser du temps au temps pour mieux distinguer ce qui relève de l’urgence de ce qui tient de la transformation.
Recommander à Macron un tournant mitterrandien , c’est oublier le flou et le renoncement de la fin pénible de Mitterrand. C’est substituer l’opportunisme politique à des valeurs déjà très édulcorées. Et la gauche ne s’est jamais remise de ces renoncements NDLR
En cette rentrée, chacun constate le trouble qui affecte Emmanuel Macron. Mais d’où vient-il ? Pour certains, le président s’enferme dans la posture de la crise et du tragique, faute d’être en mesure de réformer. Pour d’autres, il privilégie désormais le compromis, et ce faisant renonce là aussi à la transformation. Dans tous les cas, Macron 2 semble trahir Macron 1, qui avait fait espérer le pays autour du mantra mystérieux du « en même temps ». Et si le désarroi présidentiel avait en fait un point de naissance ancien, mais qui n’apparaîtrait nettement qu’en cette rentrée 2022 ?
Hypothèse : le trouble actuel peut se comprendre comme l’épuisement du rapport au temps politique promu en 2017 par le président. A l’époque, on avait voulu voir dans le « en même temps » un dispositif de dépassement du clivage droite/gauche. Or, cette posture se révèle rétrospectivement engager un basculement bien plus profond : le « en même temps » était le signe d’un nouveau rapport au temps. Un rapport au temps ambitieux, original – et risqué.
Le temps est la matière première de la politique. C’est la glaise de l’homme ou de la femme d’Etat. Mais constatons la rupture : pour François Mitterrand, héritier de la tradition classique, « il faut laisser le temps au temps ». Pour Emmanuel Macron, « il faut tout faire en même temps ». Là apparaît en toute netteté le bouleversement du rapport au temps véhiculé par le macronisme.
Laisser le temps au temps, c’est constater que le temps de l’urgence, de la réaction, de la crise n’est pas fait du même bois que le temps de la réforme, de la transformation, de la préparation. Richelieu (à qui on attribue parfois la phrase de Mitterrand) a établi qu’il fallait dans un premier temps planter des chênes pour disposer un siècle plus tard des vaisseaux, et dans un second temps couper de jeunes hêtres pour faire flèche de tout bois. Laisser le temps au temps, c’est tout sauf ne rien faire : c’est faire ce qu’il convient de faire, séparément, dans chacun des deux ordres du temps.
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