Comprendre le phénomène Trump

Comprendre le phénomène Trump

Pour la plupart des français, incluant de nombreux observateurs politiques, l’élection de Donald Trump en 2016 s’est avérée non seulement inquiétante, mais surtout incompréhensible. Par André Yché, Président du conseil de surveillance chez CDC Habitat.(la Tribune)

 

Quatre décennies plus tôt, revêtu de mon uniforme d’élève-officier de l’Air français, je découvrais, pour un séjour semestriel, l’US Air Force Academy de Colorado Springs et, par la même occasion, les Etats-Unis d’Amérique, du moins cette région des hauts plateaux, au pied des Rocheuses.

C’était pendant l’été 1975, Gerald Ford terminait péniblement le difficile second mandat de Richard Nixon et déjà, les Etats-Unis se retiraient en catastrophe du Viêt-Nam. Les cadres de l’Academy, anciens pensionnaires du « Hanoï Hilton » pour certains d’entre eux, portaient encore l’odeur du napalm de « Rolling Thunder » et de « Linebacker I/II ». Parmi eux, la popularité de « Tricky Dicky », en dépit du « Watergate », n’avait pas fléchi.

Très vite, j’ai pu observer certaines strates conservatrices de la société américaine, au cours des dimanches en famille dans le Mesa Verde, débutés par la messe conclue par « America the beautiful », les pique-niques à base de « Kentucky Fried Chicken » et des « Home made Apple Pies », les rodéos de fin d’après-midi, entre deux concours de tir au Colt 45, sur des boites de « Budweiser » et de « Coors » vides.

Mais ce qui m’a surtout marqué, c’est la « Country Music », et notamment le répertoire traditionnel de « Blue Grass », dont il m’a paru, très vite, qu’il recélait la réalité la plus enracinée de l’âme américaine, avec ses mythes fondateurs et ses images d’Epinal.

Et d’abord, la figure iconique du genre, Johnny Cash, dont quelques titres emblématiques donnent le ton : « Folsom Prison Blues », confession d’un mauvais garçon ; « I walk the line », influence salvatrice de la compagne ; « Hey Porter ! » et « The rock island line » qui évoquent l’aventure du chemin de fer et la nostalgie du Sud et surtout « I saw the light », sur le chemin de Damas. Mais avec sa voix profonde, envoûtante, sa « gueule » de « dur à cuire » et son sourire chaleureux, Johnny Cash a abordé tout le répertoire « country », incluant des centaines de chansons et développant les thèmes patriotiques de la rédemption, du « bon grain » poussant sous l’ivraie, mais aussi du courage et, s’il le faut, de la force au service de la défense légitime du Bien.

Celui qui couvre parfaitement l’ensemble de ce registre, c’est Marty Robbins avec les grands classiques de la « Country » : « Big Iron », la scène du duel dans la rue principale d’  « Agua Fria », qui aurait pu être celle de « Laredo » ou de « Tombstone », entre un « Arizona Ranger », justicier taciturne, et un jeune « outlaw » de 24 ans, rappelant la scène finale de « Gunfight at OK Corral » ; « El Paso », drame de la passion amoureuse, « Roméo et Juliette » dans l’Ouest. Ainsi enchaîne-t-il « Gunfighter ballads » et « Trail Songs », abordant tous les thèmes sur un très large spectre : « Running Gun », ou le destin d’un « desperado » ; « Riders in the sky », version quasi-cinématographique de « Master Call »… A côté du train, le cheval occupe une place éminente dans la mythologie de l’Ouest américain : « The Tennessee Stud » interprété par Doc Watson.

Ce courant traditionnaliste et ultra-conservateur ne résume pas la « country » qui englobe également une critique de l’ordre établi et des injustices qu’il engendre. Illustrer cette tendance, très présente, fournit l’occasion de citer Tennessee Ernie Ford et son « tube » : « Sixteen tons », histoire d’un mineur de plus en plus endetté auprès du «general Store » de la compagnie minière qui l’exploite en lui faisant extraire, quotidiennement, seize tonnes de charbon (« nine-grades »), la meilleure qualité ; il libère sa haine en utilisant sa force herculéenne pour battre à mort quiconque croise sa route.

Parmi les plus éminents représentants du courant contestataire, viennent les frères Guthrie, Arlo (« City of New Orleans », encore un « Railroad Blues » emprunté à Steve Goodman) et Woody (« This land is your land », revendication de la citoyenneté américaine ; « House of Rising Sun », ou la défense des idéaux ; « Deportee » ou le drame des immigrés « latinos »). Mais le plus prolixe de cette génération exceptionnelle demeure Pete Seeger, à travers ses reprises des Guthrie autant que par son répertoire propre : « Where have all the flowers gone », le drame du Viêt-Nam ; « Which side are you on », le syndicalisme revendicatif ; « If I had a hammer », ou changer le monde ; « We shall overcome », chant d’appel et d’espoir ; « What did you learn in school today », critique des institutions…

Bien sûr, le conflit vietnamien pèse lourdement sur le climat et Bob Dylan se déporte de plus en plus vers le registre pacifiste protestataire : « John Brown » went to war, to fight on a foreign shore… et Cat Stevens lui donne la réplique : « How many times », how many deaths will it take us to know that too many people have died…

Mais Cat Stevens (« Morning has broken », « Lady d’Arbanville ») n’a jamais été membre de la « Country family » !

Pour autant, même si on tend à écarter de ce panel de « country songs » ceux de Joan Baez (« Here’s to you ») en dépit de l’influence sur sa composition de Bob Dylan et de la sienne sur Emmylou Harris (« Farewell Argentina », « Baby blue »…) la caractéristique fondamentale de la « Country » est le fond d’optimisme qui ressort de ces œuvres, qu’il s’agisse du recours aux valeurs traditionnelles (« The Erie Canal ») ou à la réconciliation nationale (« Johnny Reb ») et même le fort courant contestataire ne remet pas en cause, fondamentalement, le modèle américain, tout en dénonçant ses dérives et les abus qui en résultent.

In fine, deux titres résument l’esprit dominant de la Country : « Will the circle be unbroken » qui appelle à la transmission des valeurs que même Bob Dylan a interprété, et « America the beautiful », véritable hymne à la Nation.

Plus tard, la relève de Willie Nelson et autres a été assurée, pour un temps, par le célébrissime John Denver ; une nouvelle génération s’efforce désormais de suivre la « Desperado trail »…

Toute la question aujourd’hui est de savoir si cette Amérique traditionnelle est morte, ou du moins, dépassée par le mouvement contestataire radical. Les prochains scrutins nationaux apporteront un début de réponse à cette question essentielle, pour ne pas dire existentielle.

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