Sécheresse : la crise supplémentaire

Sécheresse : la crise supplémentaire

La sècheresse atteint une intensité inédite en France cette année. Un phénomène qui, amplifié par le réchauffement climatique, est devenu une menace supplémentaire à l’échelle mondiale, avec pour conséquence de faire de l’eau une ressource rare devenue plus que jamais vitale. Par Charaf Louhmadi, ingénieur-économètre chez Natixis, et Mariem Brahim, enseignante-chercheuse à Brest Business School.

 

La terre contient 96,5 % d’eau salée et 3,5 % d’eau douce. L’essentiel de cette eau douce se trouve dans les glaciers et dans les nappes phréatiques. On dénombre à peine 0,3 % d’eau douce potable disponible pour l’espèce humaine.

Face à une demande en eau sans cesse croissante, les ressources restent de plus en plus limitées. L’augmentation de la demande en eau s’explique par l’accélération de l’urbanisation, l’essor de la démographie mondiale et les besoins croissants en eau dans les secteurs de l’agriculture et de l’industrie.

Selon un rapport de la Banque mondiale, 70 % de l’eau douce est utilisée par l’agriculture, 22 % par l’industrie et 8 % par les particuliers. A noter également que près de 7 personnes sur 10 ont accès à l’eau potable à domicile et que sa disponibilité sur le plan géographique est fortement variable.

Les ressources en eau se font de plus en plus rares. Le stress hydrique mondial est désormais un fait et une crise internationale de l’eau dans les décennies à venir semble inévitable. Selon le World Resources Institute, d’ici 2040, la plupart des pays n’auront plus assez de ressources pour répondre à leur demande en eau. Les activités industrielles et agricoles font que l’espèce humaine puise énormément et de plus en plus dans les nappes phréatiques et les aquifères qui, rappelons-le, ont mis des millénaires à se former.

Pour illustrer la gravité de ce fléau, notons que dans certaines régions, au Maghreb par exemple, il faut creuser plus de 200m sous terre pour trouver de l’eau. De plus, le réchauffement climatique aggrave cette crise hydrique car les précipitations seront de moins en moins abondantes dans les prochaines décennies. Les villes commencent à envisager de plus en plus des scénarii de coupures ponctuelles d’eau. On parle même de « jour zéro », une journée entière sans eau. Dans certaines villes du Maghreb, la réduction des débits d’eau potable est d’ores et déjà à l’ordre du jour, à Berrechid, non loin de Casablanca, la réduction aura lieu à partir du 1er août.

La crise écologique accentue les phénomènes de sécheresse et de pénurie d’eau, en particulier dans des zones de la planète touchées par l’extrême pauvreté. La pénurie d’eau sera, sans doute, un fléau permanent majeur du 21e siècle et risque d’entraîner des tensions voire guerres locales et régionales

L’Europe n’est pas épargnée par la sécheresse. La France hexagonale affronte une sécheresse grave et historique, plus de 100 communes sont privées d’eau potable. Au mois de juillet, on observe un déficit pluviométrique supérieur à 80% et des températures fortement et historiquement élevées. Des niveaux d’alertes, à échelles de gravité variables, sont déclenché sur tout le territoire. La Première ministre Elisabeth Borne a activé, vendredi 5 août, la cellule interministérielle de crise.

En outre, les niveaux sont de plus en plus bas dans le Rhin. Des minimums non observés en plus de quinze ans sont retrouvés dans certaines villes allemandes. Cela a un impact au niveau énergétique car les navires sont contraints de diminuer leurs cargaisons. Or le fleuve revêt une position névralgique en ce qui concerne le commerce maritime européen. Le gaz russe étant coupé, l’Allemagne, locomotive économique européenne se tourne désormais vers le charbon pour s’approvisionner ce qui entraîne donc la hausse du prix du charbon et fragilise ipso facto notre voisin outre-Rhin.

Les pays du sud de l’Europe se retrouvent face à la canicule, aux incendies et à une sécheresse accrue. Dans le nord de l’Italie, la production agricole est terriblement fragilisée. Cinq régions sont déclarées en état d’urgence. Coldrietti, une des plus grandes associations agricoles italiennes, estime les dégâts à 3 milliards d’euros, soit près de 5% de la production agricole à l’échelle du pays. Dans les îles Canaries, à Tenerife, plusieurs centaines d’habitants ont été évacués et 2.500 hectares ont brûlé.

Lors du premier semestre 2022, les températures en Italie ont augmenté de 2 degrés et les volumes de précipitation et de neige ont baissé respectivement de 80% et de 60%. On assiste à la pire sécheresse depuis plus de sept décennies. La France a connu également courant juillet une canicule sévère et une série d’incendies.

La sécheresse et la pénurie d’eau sont également des problèmes vitaux en Afrique. Ce continent paye au prix fort les conséquences du réchauffement climatique. La corne de l’Afrique subit une des sécheresses les plus sévères depuis plus de 40 ans. C’est la troisième année consécutive de sécheresse et 20 millions de personnes sont menacées dans 4 pays : le Kenya, la Somalie, l’Ethiopie et Djibouti.

Rein Paulsen, directeur de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA), affirme que « le temps presse » et que ces pays sont indéniablement au bord de la catastrophe. Michael Dunford, directeur régional du Programme Alimentaire Mondial (PAM) de l’ONU pour l’Afrique de l’Est, mentionne que : « Les récoltes sont ruinées, le bétail meurt et la faim augmente. »

L’Afrique et plus précisément les pays du Maghreb connaissent un inquiétant stress hydrique, lui aussi conséquence du réchauffement climatique. Si l’on se rapporte à la définition de l’ONU, un pays ou une région est en stress hydrique si on y prélève plus de 25% des ressources phréatiques. Aux pays du Moyen Orient et du Maghreb, on prélève en moyenne plus de 80% des ressources. C’est ce qu’on appelle un stress hydrique extrême. Au Maroc, les barrages se vident à grande vitesse.

Une étude de l’Economist Intelligence Unit confirme que les causes de la pénurie d’eau et de la pression sur les systèmes d’approvisionnement en eau se ramènent à la crise climatique mais également à la forte croissance démographique et l’accélération de l’urbanisation. De plus, l’élévation du niveau des océans, accentue le risque d’inondation, et donc de pollution des ressources d’eau potable.

Dans une étude publiée en octobre 2021, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) souligne la situation critique du stress hydrique dans le monde et confirme qu’une nouvelle crise se profile, celle de l’eau. Celle-ci va s’ajouter à la conjonction des crises que connaît l’humanité au début de ce 21e siècle : crise pandémique, crises financières, crises politiques…

Selon l’OMM, en 2020, plus de 2 milliards de personnes vivaient dans des pays connaissant des stress hydriques ; 3,6 milliards de personnes ne disposaient pas d’assainissement gérés de manière sûre et 2,3 milliards manquaient d’eau pour l’hygiène de base.

Toujours selon l’OMM, plus de 107 pays ne sont pas sur la bonne voie en termes de gestion de ressources hydriques à l’horizon 2030. Par ailleurs, plus de 5 milliards d’individus seront exposés à échéance si leurs pays ne mettent pas en place des politiques durables et écologiques en vue de préserver cette ressource qui se raréfie

L’eau fait son entrée dans l’économie de marché. La bourse de Chicago a procédé  le 7 décembre 2020 au lancement des contrats à terme sur l’eau. C’est la première fois que des produits dérivés sur l’eau sont négociés sur les marchés financiers.

Le sous-jacent de ces contrats dérivés est le Nasdaq Veles California Water, un indice noté NQH20, qui a pour unité le dollar par acre-pied, soit environ un dollar par 1,2 million de litres. Il a été créé en 2018 par le Nasdaq en partenariat avec Veles Water et WestWater Research. La capitalisation boursière au lancement des contrats à terme est d’environ 1,1 milliard de dollars. Cet indice reflète les échanges d’eau effectués dans les plateformes souterraines les plus importantes de l’État de Californie. Selon le Chicago Mercantile Exchange (CME), le marché des indices de l’eau a enregistré plus de 2,6 milliards de dollars de volume de transactions entre 2012 et 2019.

L’indice NQH20, dont la cotation est hebdomadaire en fonction des achats d’eau effectués la semaine précédente, a bondi de plus de 66,3% en « year-to-date », entre le début de l’année et début juillet 2022, il est à son plus haut historique, dépassant 1.140 points. Entre octobre 2018 et juillet 2022, sa valeur a plus que doublé enregistrant un mouvement de 123%. Cela confirme l’intérêt croissant et l’appétit des investisseurs pour le produit financier « eau ».[1]

Les fonds spéculatifs, dont certains dits « fonds vautours » (cette expression ayant massivement été utilisée lors de la crise immobilière en Espagne), anticipent déjà la pénurie d’eau dans les années et décennies à venir. De plus en plus d’économistes estiment que l’eau deviendrait au cours du 21e siècle la première matière première traitée sur les marchés, devant l’or. Willem H. Buiter, ancien économiste en chef de Citigroup, partage cet avis.

L’Australie, continent le plus chaud de la planète, où la sécheresse sévit et les barrages ne sont remplis parfois qu’à hauteur de 20%, a instauré une bourse de l’eau. Le « Water Act », mis en place par le gouvernement australien, permet de définir un système de quotas d’eau, dans les secteurs industriels et agricoles, au-delà desquels l’eau est échangée dans des marchés spécifiques.

Les fonds spéculatifs et les investisseurs y ont vu l’opportunité de réaliser d’importants profits notamment dans les régions australiennes les plus arides. Ils ont vu juste car les prix y ont considérablement augmenté et dépassent 500 dollars le million de litres. Les investissements sont également particulièrement lucratifs avec des taux de rendements dépassant parfois 25%. Les agriculteurs modestes sont touchés par ces pratiques spéculatives.

Cette politique australienne des quotas de l’eau ne date pas d’hier. Depuis les années 1990, le pays des kangourous fixe des volumes maximaux d’extraction à ne pas dépasser et les droits de détention sont également négociés dans des marchés spécifiques.

L’Australie n’est pas le premier pays à privatiser l’eau. Le gouvernement Thatcher a expérimenté cette politique en 1989 en adoptant une loi privant les mauvais payeurs de cette ressource vitale. Ces lois, portées par la « Dame de fer », considérées ex post comme inhumaines et scandaleuses vis-à-vis des classes défavorisées, ont été abrogées dix ans plus tard.

Comme mentionné plus haut, les investisseurs s’intéressent de plus en plus à l’eau en tant que produit financier. A Wall Street, on s’amuse à utiliser l’expression de « pétrole du 21e siècle ». Les économistes et stratégistes de Citibank estiment dans le rapport « Solutions for the global water crisis » publié en 2017 que le marché de l’eau dépassera le milliard de dollars à l’horizon 2025.

L’Organisation des Nations Unies estime que d’ici 2030, 40% de la population mondiale sera impactée par la raréfaction d’eau et que la demande mondiale bondira de plus de 50%, ce qui est particulièrement alarmant. En même temps, les fonds spéculatifs chercheront de plus en plus à tirer un maximum de profit en lien avec ces tensions et ces déséquilibres offre/demande sur l’eau. Quelles solutions pour parer au problème de pénurie ?

La désalinisation est de plus en plus utilisée, notamment dans les pays du golfe, très touchés par la pénurie d’eau.

Les systèmes de désalinisation sont généralement basés sur des mécanismes liés à la pression appliquée à l’eau. On sait que pression et température sont liées par les lois de la physique. Parmi les techniques de dessalement, on retrouve l’osmose inverse, des techniques industrielles de distillation dont les origines remontent à l’antiquité, la congélation de l’eau de mer ou encore l’électrodyalyse. Les technologies de désalinisation semblent de plus en plus inéluctables avec la crise mondiale de l’eau qui se profile, toutefois leurs impacts écologiques sont parfois très nocifs et les coûts énergétiques y associés particulièrement élevés, notamment lorsque les énergies fossiles sont utilisées dans ces procédés.

Des groupes industriels notamment français portent dans les pays du golfe des projets de désalinisation à base d’énergies renouvelables. Suez et Veolia sont impliqués à Abu Dhabi, dans le cadre de la ville durable « Masdar ».

En France, on note également quelques projets de désalinisation industrielle, à Port Melin à Groix notamment, où une usine de dessalement sera installée. En outre, la start-up Chartraines Mascara a mis en place un processus de désalinisation non polluant, visant à alimenter les régions françaises souffrant d’un manque d’eau.

Transformation de l’air ambiant en eau potable : Exemple de la start-up Kumulus

Pour faire face au stress hydrique extrême dans les pays du Maghreb et du Moyen Orient, au Maroc par exemple, où les niveaux de réserve des barrages ne cessent de diminuer, du fait de l’assèchement progressif des fleuves, la start-up tunisienne Kumulus a produit une machine permettant la transformation de l’air ambiant en eau potable. Elle cible tout particulièrement les marchés maghrébins et orientaux. Kumulus s’appuie et réplique le phénomène de rosée matinale, et grâce à cette technologie innovante, la start-up arrive à produire 20 et 30 litres d’eau potable par jour et par unité. Le projet est testé en Tunisie, dans une école située à El Bayadha, non loin de la frontière algérienne.

[1] Historique de l’indice NQH20, 2018-2022

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