« La transition écologique n’est pas amorcée en France ». Telle est en substance la conclusion, cinglante et fondée, du rapport annuel de l’Autorité environnementale[2]. Pourtant, cette transition n’est pas une projection pour 2030 ou 2050, c’est une obligation. Immédiate. Tout ce qui n’est pas entrepris dès maintenant sera d’autant plus pénalisant et complexe dans les années qui suivent. ( dans la Tribune)
Les procédures environnementales ne sont pas suffisantes mais ont un rôle crucial à jouer
Les projets d’aménagement qui sont conçus, réfléchis, montés aujourd’hui, le sont pour fonctionner pendant 25 ou 50 ans. Financièrement, c’est ainsi qu’est calculé leur amortissement. Réglementairement, cela doit être la même chose ! Adopter cette logique de bon sens est autant une évidence sur le papier, qu’un défi âpre dans la réalité, impliquant des choix structurants à opérer et des politiques volontaristes à adopter en matière de mix énergétique, d’aménagement du territoire, de déplacements ou d’alimentation.
Là, les réglementations environnementales ont un rôle primordial à jouer. Pas suffisantes ni indépendantes – les données sont aussi politiques, techniques et financières – elles constituent un rouage central dans et dès la conception des projets. Avec leur lot de contraintes bien sûr, comme toute procédure, mais qui dressent des garde-fous aux vertus méthodologiques permettant d’aboutir à des projets impactant positivement et durablement.
Le renforcement de la réglementation environnementale est indispensable, pas la fuite en avant !
Les promesses de lutte contre le flux de normes n’auront pas empêché l’année 2021 de battre un record avec 67 lois promulguées, selon les chiffres du secrétariat général du gouvernement[3]. Cet appétit réglementaire ne fait pas vœu de sobriété s’agissant du droit de l’environnement, passant de 1 006 articles à 6 576 en vingt ans. Ce droit, encore récent et par essence technique et pluridisciplinaire, a nécessairement vocation à s’étoffer. Une saine croissance est normale et souhaitable. Sauf que l’inflation normative finit par étouffer sa portée et son efficacité, ne favorisant pas son intégration dans la gestation des projets. Sous couvert de simplification des normes – malgré la reconnaissance du principe de non-régression en droit de l’environnement[4]- on assiste à un amoncèlement contre-productif.
Une régression par petites touches : les normes qui protègent l’environnement sont amendées… et affaiblies
En 10 ans, la nomenclature de l’évaluation environnementale (qui détermine les catégories de projets concernés soit par une évaluation systématique, soit par un examen au cas par cas) a connu plus d’une quinzaine de modifications, toujours dans le sens d’exempter plus de projets des procédures. Quand elles n’affaiblissent pas purement et simplement le droit de l’environnement, les réformes récentes s’emploient plutôt à « rectifier le tir » à contretemps, qu’à renforcer l’efficacité du cadre normatif et partant, sa capacité à préserver l’environnement.
La « clause-filet » une occasion manquée ?
Pourtant, cette évolution était souhaitable : plus aucun projet, pas même les plus petits, n’est automatiquement dispensé d’évaluation environnementale.
Sans décortiquer les modalités techniques du dispositif, il a le mérite d’inciter tout porteur de projet à se poser la question de son impact sur l’environnement au plus tôt. Sauf que concrètement, le dispositif pose encore de (trop) nombreuses questions. Celle de l’objectivité de l’autorité chargée de sa mise en œuvre (Préfet ou maire et non autorité environnementale) ; celle du risque d’induire des interprétations divergentes sur le territoire ; celle de l’effectivité du dispositif pour garantir une meilleure protection de l’environnement (15 jours pour décider d’activer ou non cette clause via une réelle analyse, c’est louable mais trop court, faute de compétences et de moyens). Celle de la sécurité juridique enfin, la non-activation de la clause-filet par l’administration ne garantissant nullement que le juge administratif partagera la même analyse.
Surtout, on peut regretter que cette nouveauté n’ait été introduite en droit de l’environnement que sur injonction du Conseil d’Etat, à force d’affaiblissement des normes environnementales, la France s’étant placée en non-conformité avec une directive européenne[5]. Loin de la « surtransposition » des directives, ne serions-nous pas en train d’aligner notre droit environnemental sur les plus faibles standards européens ?
La transition écologique n’est pas une option. Les procédures environnementales peuvent et doivent y contribuer. Elles figurent même de puissants leviers, si, au-delà des effets d’annonces, elles sont suffisamment claires, lisibles et ambitieuses. Ces procédures sont là pour rendre les projets plus verts et vertueux et non pour les bloquer. Si elles sont intelligentes et intelligemment menées, elles permettent d’intégrer l’environnement dès la stratégie de création des projets, puis au long de leur planification et deviennent alors un véritable outil de conception à « moindre impact environnemental », et non une formalité à accomplir pour mieux s’en débarrasser.
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[1] INFR(2019)2021 : Avis motivé de la Commission Européenne, délivré le 15 juillet, laissant à la France deux mois pour éviter un recours devant la CJUE
[2] Rapport annuel 2021 de l’Autorité environnementale, publié le 5 mai 2022, tiré des 159 avis rendus par l’instance en 2021
[3] Indicateurs de suivi de l’activité normative, 5 avril 2022
[4] Article L.110-1 du code de l’environnement
[5] Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011
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