Éthique et science : un premier embryon synthétique
par Megan Munsie, Professor – Emerging Technologies (Stem Cells) at The University of Melbourne and Group Leader -
Dans ce qui est considéré comme une première mondiale, des biologistes ont développé des modèles d’embryons de souris en laboratoire sans avoir besoin d’ovules fécondés, d’embryons ou même… de souris – en utilisant uniquement des cellules souches (qui peuvent se transformer en n’importe quel autre type de cellule) mises en suspension dans un incubateur spécial.
Cette réussite inédite, publiée dans la revue Cell par une équipe dirigée par des chercheurs de l’Institut Weizmann des sciences (Israël), offre un modèle très sophistiqué de ce qui se passe au début du développement de l’embryon chez la souris – juste après l’implantation de l’ovule fécondé par un spermatozoïde à la paroi de l’utérus.
Il s’agit d’une étape cruciale : au sein de l’espèce humaine, de nombreuses grossesses s’interrompent à ce stade, sans que l’on sache vraiment pourquoi. Le fait de disposer de modèles va permettre de mieux comprendre ce qui peut mal se passer et, éventuellement, de découvrir dans ce second temps ce que nous pourrions faire pour y remédier.
Les chercheurs sont donc partis de cellules de souris qu’ils ont retransformées en cellules souches – capables de redonner dans un second temps les autres types cellulaires : de peau, nerveuses, etc. Ils les ont ensuite placées dans des bioréacteurs rotatifs avec solution nutritive pour leur permettre de se multiplier. (Si l’énorme majorité de ces cellules n’a rien donné, 0,5 % d’entre elles se sont assemblées en petites sphères qui se sont développées, similaires à 95 % à de « vrais » embryons, ndlr)
Ce qui est particulièrement intéressant dans ces « embryoïdes » modèles, c’est leur structure très complexe. Déjà, les cellules souches ont pu s’y différentier et adopter une disposition rappelant ce qui s’observe dans l’embryon à un stade précoce – notamment pour les précurseurs du cœur, du sang, du cerveau et d’autres organes. De plus, une partie des cellules souches, spécifiquement traitées dans ce but, a pu s’orienter vers la formation de cellules de « soutien » comme celles que l’on trouve dans le placenta ou le sac vitellin, nécessaires pour établir et maintenir une grossesse.
In vivo, les premiers stades de la grossesse sont difficiles à étudier chez la plupart des animaux : les embryons sont microscopiques – il s’agit encore de minuscules amas de cellules – difficiles à localiser et à observer dans l’utérus. Pourtant, nous savons qu’à ce stade du développement les choses peuvent mal tourner : par exemple, des facteurs environnementaux peuvent influencer et entraver le développement, ou les cellules ne reçoivent pas les bons signaux pour former complètement la moelle épinière, comme dans le cas du spina bifida, etc.
En utilisant des modèles comme celui-ci, nous pouvons commencer à nous demander pourquoi et observer en direct ce qui se passe (les embryoïdes étant dans des fioles transparentes).
Quoique simplifié, ce modèle d’embryon de souris de huit jours a un cœur qui bat, un sac vitellin, un placenta et une circulation sanguine émergente. L’Institut Weizmann des sciences.
Cependant, même si ces modèles constituent un outil de recherche puissant, il est important de comprendre qu’ils ne sont pas des embryons – d’où le terme d’embryoïde employé par certains chercheurs.
Ils reproduisent bien certains aspects du développement, mais ni l’architecture cellulaire ni le potentiel de développement des « vrais » embryons dérivés de la fécondation d’ovules par des spermatozoïdes ne peut être observé pour l’heure.
L’équipe à l’origine de ces travaux souligne qu’elle n’a pas été en mesure de développer ces modèles au-delà de huit jours, alors qu’une gestation normale chez la souris dure 20 jours.
Demain des « embryons synthétiques » humains ?
Le domaine de la modélisation de l’embryon progresse rapidement, et de nouvelles avancées apparaissent chaque année.
En 2021, plusieurs équipes ont réussi à faire en sorte que des cellules souches pluripotentes humaines s’autoagrègent dans une boîte de Pétri, imitant le « blastocyste » – soit un des premiers stades du développement embryonnaire, à moins de 100 cellules, juste avant le processus complexe de l’implantation.
Les chercheurs qui utilisent ces modèles d’embryons humains, souvent appelés blastoïdes, ont même pu commencer à explorer l’implantation dans une boite de Pétri, mais ce processus est beaucoup plus difficile chez la femme que chez la souris.
La production de modèles d’embryons humains d’une complexité équivalente à celle obtenue avec un modèle de souris reste une proposition lointaine, mais qui doit être envisagée.
Il est important que nous soyons conscients de ce que pourrait vraiment nous dire un tel modèle ; un embryon dit synthétique, cultivé en boîte de Pétri, aura ses limites quant à ce qu’il peut nous apprendre sur le développement humain.
Aucune modélisation d’embryon ne peut se faire sans une source de cellules souches. Lorsqu’on se penche sur les potentielles utilisations futures de cette technologie, il est primordial de se demander d’où viennent ces cellules : S’agit-il de cellules souches embryonnaires humaines (dérivées d’un blastocyste) ou de cellules souches pluripotentes induites (comme ici) ?
Un autre point à considérer pour ce type particulier de recherche est celui du consentement. Nous devrions réfléchir davantage à la manière dont ce domaine de recherche sera régi, quand il devrait être utilisé et par qui.
Cependant, il est important de reconnaître qu’il existe déjà des lois et des directives internationales sur la recherche sur les cellules souches qui fournissent un cadre pour réglementer ce domaine de recherche.
En Australie, la recherche impliquant des modèles d’embryons de cellules souches humaines nécessiterait une autorisation, similaire à celle requise pour l’utilisation d’embryons humains naturels en vertu de la loi en vigueur depuis 2002. Cependant, contrairement à d’autres juridictions, la loi australienne dicte également la durée pendant laquelle les chercheurs peuvent faire croître des modèles d’embryons humains, une restriction que certains chercheurs souhaiteraient voir modifiée. (En France, les lois de bioéthiques encadrent la recherche autour des embryons, ndlr)
Indépendamment des changements concernant la manière et le moment où la recherche sur les embryons humains est menée, il est nécessaire que la communauté discute davantage de ce sujet avant qu’une décision ne soit prise.
Il existe une distinction entre certaines technologies telles que le clonage humain à des fins de reproduction, qui sont interdites, et d’autres destinées à faire progresser notre compréhension du développement embryonnaire humain et de ses troubles, qui sont autorisées. Ces travaux sont parfois le seul moyen d’obtenir des informations. (Les chercheurs pointent également que « cette méthode ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude de l’auto-organisation des cellules souches en organes et pourrait, à l’avenir, contribuer à la production de tissus transplantables », ndlr).
La science progresse rapidement. Bien qu’elle concerne principalement les souris à ce stade, le moment est venu de discuter de ce que cela signifie pour l’être humain et d’examiner où et comment nous devrons tracer la ligne dans le sable…
Dans The Conversation
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