Intelligence artificielle : le retard européen

Intelligence artificielle : le retard européen

Par Cyrille Lachevre  fondateur de l’agence de conseil Cylans ( L’OPINION).

 

L’intelligence artificielle pourrait-elle nous aider à lutter plus efficacement contre le réchauffement climatique ? Dans une étude publiée début juillet, le Boston consulting group (BCG) détaille comment l’IA s’impose comme un outil indispensable dans la stratégie des entreprises et des institutions publiques pour réduire leurs émissions de carbone. En pleine canicule, ce thème n’a évidemment même pas effleuré le débat en France, signe supplémentaire du retard pris par l’Hexagone, en ligne avec celui de l’Europe globalement, dans ce domaine.

Le cabinet a interrogé plus de 1055 leaders de la tech et du climat, dans 14 pays : « 87 % d’entre eux considèrent l’IA comme un outil essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique et ils sont déjà 55 % à y avoir recours », résume-t-il. Aux Etats-Unis, plus d’un leader sur deux envisage de le faire, mais à l’échelle du reste du monde cette réflexion tombe à 40 %, preuve qu’il reste encore un certain travail de conviction à mener autour de l’utilité de l’IA dans les autres pays.

La définition très large et très différente d’une zone à l’autre de ce que l’on entend par intelligence artificielle rend très difficile les comparaisons entre les pays, mais tous les chiffres pointent le décalage en train de se creuser sur le Vieux Continent. Les investissements en Europe en matière d’IA représenteraient ainsi environ 3 % seulement de ceux des seuls Gafa. Selon le think-tank Skema Publika, au cours des trente dernières années, 30 % des brevets liés à l’IA ont été déposés par les Etats-Unis, 26 % par la Chine et 12 % par le Japon. L’Allemagne représente 5 %, la France seulement 2,4 %.

Les Etats-Unis et l’Asie ne sont pas les seuls à mener une politique tambour battant. Israël continue à creuser son sillon en conjuguant IA et cybersécurité, tandis que l’Inde avance à bas bruit mais très rapidement, en formant à la chaîne des ingénieurs qui constitueront les futurs bataillons de cette industrie bien plus humaine qu’on ne le pense.

Les solutions concrètes se multiplient sur le terrain, partout dans ces pays. Aux Etats-Unis, un écosystème de start-up liées à des entreprises de plus grande taille présente des produits très opérationnels, à l’image de Remark holdings, spécialiste de l’intelligence artificielle coté au Nasdaq, qui gère la sécurité des trains sur la ligne Brightline en Floride en détectant notamment les intrusions et les comportements suspects, pour assurer la protection des voyageurs.

Autre application aux Etats-Unis, une étude publiée dans la revue scientifique Nature le 30 juin souligne qu’une intelligence artificielle a réussi à prédire les lieux et dates de crimes dans plusieurs villes américaines, avec un succès frisant les 90 %. En Chine, l’intelligence artificielle est désormais très largement intégrée dans les processus de recrutement des candidats. Ces exemples, multipliables à l’envi, témoignent de la multiplicité des applications opérationnelles de l’IA et de son caractère éminemment stratégique.

Où en est l’Europe ? Dans une certaine mesure, elle ne reste pas inactive, sous l’impulsion du commissaire européen Thierry Breton qui travaille à l’élaboration de nombreux textes réglementaires destinés à offrir un cadre juridique, à garantir la confiance dans l’IA ou encore à définir des règles du jeu communes entre les Vingt-Sept. Une démarche inverse de celle des autres pays : « Les Etats-Unis et la Chine investissent d’abord et réglementent ensuite, alors que nous en Europe nous réglementons d’abord pour essayer d’investir ensuite », ironise un acteur du secteur, pour qui les initiatives de la Commission sont certes bienvenues mais ne serviront à rien si on ne change pas rapidement d’échelle en matière de montants investis.

Mais là aussi, l’argent ne suffira pas. « Le problème de fond n’est pas celui des capitaux disponibles ou mobilisables, qui existent en Europe, mais bel et bien de changer en profondeur les mentalités et de comprendre fondamentalement de quoi on parle, résume Guillaume Leboucher, fondateur d’Open Value. Trop de gens conçoivent l’IA sous un angle émotionnel comme on l’imagine dans les films Star wars ou 2001 l’Odyssée de l’espace, alors qu’il ne s’agit ni plus ni moins que de l’information augmentée, de l’informatique assistée ». Autrement dit, d’un outil d’aide à la décision, un instrument de gestion prévisionnelle qui ne nécessite pas des compétences particulièrement pointues mais plutôt une masse d’ingénieurs capables de rentrer les données.

« L’IA est un outil de captation de la donnée, un parc génétique comparable à l’ADN en médecine », poursuit Guillaume Leboucher. Vu sous cet angle, le retard européen n’est donc pas tant en termes des compétences techniques que d’industrialisation des processus, avec l’urgente nécessité de former des gens capables de travailler dans ce secteur encore si méconnu.

Pour convaincre les décideurs politiques de favoriser son éclosion, il suffirait de montrer le potentiel considérable de l’IA en termes de politique publique : les outils prédictifs pourraient permettre d’anticiper précisément les évolutions ponctuelles de besoin de main-d’œuvre afin d’ajuster au mieux les ressources humaines disponibles, ou encore aider à piloter la consommation d’énergie dans un monde plus contraint. Sans oublier les gains considérables qui pourraient être réalisés en santé, dans l’accompagnement des personnes âgées, en décelant très en avance les troubles cognitifs.

Le nerf de la guerre est donc de former ces « ouvriers de l’informatique ». C’est-à-dire donner le goût aux élèves et aux étudiants de s’intéresser à l’IA en sortant des sentiers battus. Petit à petit, cette matière commence à entrer à l’école. Mais le chemin à parcourir est considérable. Car il ne s’agit pas uniquement de s’appuyer sur l’intelligence artificielle pour mieux former les élèves, l’enjeu est aussi d’expliquer aux futurs citoyens de demain comment réduire leurs préjugés sur ce domaine, pour s’y intéresser enfin vraiment !

Cyrille Lachevre est fondateur de l’agence de conseil Cylans.

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