La sobriété au service de la santé
Par Pierre Vladimir Ennezat, Médecin des hôpitaux, Groupes hospitaliers universitaires Henri Mondor AP-HP, Créteil ( La Tribune)
« Notre confort de vie basé sur une utilisation massive de l’énergie fait le lit des maladies de notre civilisation ».
La prestigieuse revue américaine d’épidémiologie American Journal of Epidemiology publiait, en 2007 les bénéfices du blocus économique imposé par les Etats-Unis sur la santé des Cubains (doi: 10.1093/aje/kwm226). La conséquence la plus visible de l’embargo contre Cuba était la quasi-disparition des automobiles dans les rues de La Havane tout comme celle des bouteilles de Coca-Cola !
Entre 1980 et 2005, la proportion de sujets physiquement actifs augmentait de 30 à près de 70%, la prévalence de l’obésité déclinait de moitié. Les décès attribuables au diabète, à la maladie coronaire et aux AVC diminuaient de 51, 35 et 20% respectivement. La mortalité toute cause était réduite de près de 20%. Cette étude est passée inaperçue alors que ces gains thérapeutiques pourraient être enviés par de nombreux fabricants de médicaments. D’ailleurs l’accès aux médicaments était également restreint durant cette période de restriction imposée à Cuba.
Notre confort de vie basé sur une utilisation massive de l’énergie fait donc le lit des maladies de notre civilisation. Ces pathologies chroniques effectivement inondent notre système de soins. Les multiples solutions détaillées par Fred Vargas dans son ouvrage L’Humanité en péril, virons de bord, toute ! pourraient être enfin expérimentées afin d’anticiper les prochaines crises qui pourraient s’avérer durables et largement plus douloureuses. Des chercheurs du département d’épidémiologie et de nutrition de l’université d’Havard (doi: 10.1001/jama.292.12.1490) estiment par exemple que la correction de l’inactivité physique combinée à la lutte contre la malbouffe et à l’arrêt du tabac est capable de réduire la survenue de maladies coronaires, de cancers du colon et de diabète de plus de 70%. La pollution atmosphérique est également un puissant facteur de risque de maladies cardiovasculaires et respiratoires.
Par conséquent, la crise de l’approvisionnement énergétique, pourrait être une opportunité pour une utilisation accrue de la marche ou de la bicyclette et ce, au mieux, sans assistance électrique pour les courtes distances. Le stress très pathogène lié aux embouteillages serait ainsi supprimé. Les pouvoirs publics doivent bien sûr investir massivement dans les transports publics pour desservir les lieux d’habitation de façon régulière, fréquente et sécurisée sur tout le territoire.
Cette réduction de la consommation d’énergie pourrait également être imposée au secteur du tourisme afin de réduire les conséquences écologiques dévastatrices des paquebots de croisières, véritables villes flottantes, pouvant rejeter dans l’atmosphère et ce, en propulsion ou même dans les ports, l’équivalent de plusieurs centaines de milliers de véhicules pour répondre aux besoins de la climatisation, des casinos, cuisines, ascenseurs ou piscines.
On peut évoquer également l’énergie utilisée pour séjourner dans des hôtels-clubs dans lesquels l’eau potable coule en abondance dans des régions affectées par le stress hydrique et où les deux tiers de la nourriture passent dans les ordures alors que le tiers de l’humanité risque de revivre des famines. C’est aussi un effort de réflexion qui devrait être imposé aux stations de sport d’hiver devenues des usines d’altitude utilisant notamment des dizaines de dameuses de 9 à 12 tonnes, puissantes de 600 chevaux, sillonnant chaque nuit les domaines skiables afin de satisfaire les désirs des touristes.
Pour atteindre ces usines de montagne, c’est aussi des centaines de milliers de véhicules particuliers qui s’agglutinent chaque week-end d’hiver dans les vallées devenues inhabitables en raison des pics de pollution et des nuisances sonores. De même, les villes parfois récompensées avec les labels « fleuries », « vertes» ou « propres » n’améliorent probablement pas la santé des riverains et surtout de leurs employés équipés comme des fantassins de casques et de moteurs bruyants et polluants pour pousser nos feuilles d’automne ou divers déchets alors que le balai d’antan le faisait silencieusement et plus sainement.
L’État doit également remettre sur la table le problème des marchandises transportées par les millions de poids lourds qui embouteillent nos routes chaque année, qui souvent ne font que traverser l’Hexagone et consomment plus de 30 litres de gazole aux 100 kilomètres. Ou encore, il est affligeant de constater toujours l’existence de réfrigérateurs ou congélateurs sans portes dans les commerces. C’est donc un profond remaniement de nos habitudes énergivores aussi bien au niveau individuel que collectif jusqu’à l’échelle des décisions politiques nationales et locales qui est nécessaire pour affronter les restrictions futures et éviter de remettre en service les centrales à charbon qui aggraveront la pollution aux particules fines.
A l’instar de l’exemple cubain bien involontaire, la sobriété énergétique associée à une augmentation de l’activité physique et à une réduction de la pollution, pourrait améliorer l’état de santé psychique et physique de la population, et de facto, celui des services d’urgences et des soignants.
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