Santé, alimentation et environnement: Quelle cohérence ?
Plusieurs experts*s’interrogent dans The Conversation sur la cohérence entre santé, alimentation et environnement
Les acteurs des politiques publiques se disent conscients de l’urgence à lutter contre les pollutions, la perte de biodiversité, le changement climatique et contre les maladies chroniques liées à l’alimentation et à l’environnement. Les politiques propres à chaque ministère n’abordent cependant souvent qu’une facette de ces problèmes, très interdépendants.
Ces politiques en silo échouent souvent à atteindre les objectifs qu’elles se sont fixés ou génèrent des effets rebonds, c’est-à-dire des effets indésirables dans un autre domaine.
C’est pourquoi des politiques plus transversales, à l’image de ce qui est initié pour la planification écologique, devraient être renforcées, et étendues aux enjeux de santé. La coordination de ces différentes politiques est aussi à renforcer à l’échelle des territoires où il plus facile de mobiliser les différents acteurs du système alimentaire.Pilotée par le Ministère de la transition écologique, la stratégie nationale bas carbone comprend un volet agricole pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, augmenter la séquestration de carbone dans les sols et produire de l’énergie.
L’objectif fixé en 2015 était de diviser les émissions par deux pour 2050. Le Haut Conseil pour le climat alerte aujourd’hui sur le rythme de réduction insuffisant au vu des enjeux d’atténuation. Les recherches montrent que les bonnes pratiques agricoles ne suffiront pas à elles seules à atteindre les objectifs ; il faudrait par exemple réduire d’environ 50 % la consommation de viande, ce qui nécessiterait un redimensionnement de l’élevage.
Depuis peu, les agriculteurs se saisissent du label « bas carbone » pour stocker du carbone dans les sols moyennant rétribution. Sachant que pour aboutir à de la matière organique stable encapsulant ce carbone il faut apporter 100 g d’azote par kg de carbone, cet apport d’azote devrait provenir des légumineuses plutôt que des engrais de synthèse dont la fabrication nécessite du gaz naturel et contribue à d’importantes émissions de protoxyde d’azote dans l’atmosphère.
Par ailleurs, la méthanisation alimentée par des déjections animales risque de créer un appel à plus d’élevage, maintenant l’objectif productiviste de l’agriculture.
Pour éviter ces déviances, il faut donc concevoir une politique répondant conjointement aux trois objectifs : production alimentaire et énergie, séquestration de carbone.
Le programme national nutrition santé recommande aujourd’hui de consommer plus de légumineuses, de fruits et légumes, si possible bio, et moins de viande (limitée à 500 grammes de viande rouge et 150 grammes de charcuteries/semaine).
Tout en respectant [la recommandation de 1 gramme de protéines par kg de poids corporel pour un adulte] sédentaire (contre 1,4 d’après les études INCAs), il est possible de diviser en moyenne par deux la quantité de viande consommée, voire plus en ne consommant qu’un tiers de protéines animales grâce à une plus grande végétalisation de l’assiette.
Les ministères concernés doivent l’encourager pour la santé des consommateurs et de l’environnement, tout en accompagnant la transformation requise des filières.
Consommer des légumineuses deux fois par semaine nécessiterait, par exemple, de quintupler leur surface cultivée ! Or le ministère de l’Agriculture ne précise pas comment libérer ces surfaces, alors même qu’il veut réduire les importations de tourteaux de soja américain. Or, sans réduction préalable de l’élevage et sans réattribution des terres à la culture de légumineuses, il est impossible de répondre aux enjeux de santé et de climat.
Soulignons que notre consommation de fruits et légumes frais est en grande partie importée – à 31 % pour les légumes et 60 % pour les fruits. Pour les noix, par exemple, décupler les surfaces couvrirait à peine plus de 50 % des besoins théoriques des Français en fruits à coque. La production de fruits et légumes doit donc être bien plus soutenue qu’elle ne l’est par les politiques publiques (0,11 %) de la PAC.
Le programme national nutrition santé encourage aussi la consommation de céréales complètes bio pour leur apport en fibres et leur qualité sanitaire, mais nous en importons déjà 75 000 tonnes alors que 90 % des Français ne consomment pas suffisamment de fibres et d’antioxydants.
Il est dès lors évident que la proposition du gouvernement de soutenir dans un premier temps l’agriculture biologique (AB) et la certification haute valeur environnementale (HVE) au même niveau témoigne du manque d’ambition pour une forte transition agroécologique comme le souligne la Commission européenne dans un récent avis.
En effet, l’HVE réduit bien moins l’exposition aux pesticides. D’autre part, il est prévu de supprimer les aides au maintien de l’agriculture biologique.
Enfin, les programmes actuels de financement de la recherche poussent à investir sur l’ultra-transformation des protéines végétales, au lieu de favoriser la transformation sobre des graines entières.
Mais cette ultra-transformation (cause) – associée le plus souvent à de l’« ultra-formulation » (effet) pour corriger la dégradation excessive des matrices alimentaires d’origine (ajout de nombreux agents cosmétiques type arômes, modificateurs de goûts, texturants, colorants…) – s’accompagne de risques accrus de maladies chroniques.
Les différents plans Ecophyto (2015, 2018, 2020) ne sont pas parvenus à leur objectif de diviser par deux l’utilisation des pesticides malgré un soutien financier conséquent.
Les efforts ont porté sur l’amélioration de l’efficience (le bon produit, au bon moment, à la bonne dose) ou la substitution (remplacer un pesticide de synthèse par un produit de biocontrôle), et non sur une reconception des systèmes permettant une diversification des cultures et de notre alimentation.
Pour renforcer la protection des cultures par les « ennemis » naturels, la recherche souligne la nécessité de combiner plusieurs leviers : diversité des espèces cultivées, des sols en bonne santé, des surfaces des parcelles réduites et 20 % d’infrastructures paysagères… Or ces leviers sont encore peu pris en compte dans les politiques agricoles.
En outre, les normes actuelles sur les limites maximales de résidus de pesticides ne suffisent pas : leur danger pour notre santé provient des effets cocktails qui sont plus qu’additifs, ainsi que des effets non considérés sur notre microbiote intestinal.
Malgré les politiques dédiées depuis 1991, les émissions d’azote dans l’environnement (nappes phréatiques autant qu’eaux de surface) restent à un niveau critique.
Entre 2000 et 2018, le nombre de captages abandonnés pour cause de pollution a doublé. Repenser la place de l’élevage et des légumineuses est urgent : pour produire 100 g de protéines, les pertes d’azote sont de 250 g pour le bœuf contre 4,5 g pour les légumineuses !
Le ministère de la Santé ne prend pas certaines mesures essentielles pour atteindre ses propres objectifs. Le 4e programme national nutrition santé propose de réduire de 20 % la consommation d’aliments ultra-transformés (35 % des calories chez les adultes et 46 % chez les enfants), mais le NutriScore, pilier des politiques de santé censé accompagner le consommateur dans ses choix, ne tient pas compte de cette caractéristique en premier choix, alors que 57 % des produits industriels notés A et B sont des aliments ultra-transformés.
Autrement dit, les objectifs de santé publique ne peuvent être atteints.
Par ailleurs, l’objectif de l’affichage environnemental en cours d’élaboration est louable : sensibiliser les consommateurs aux impacts environnementaux de leur alimentation, notamment la consommation trop élevée de protéines animales. Mais des divergences existent selon le modèle de production.
Ainsi, un modèle agroécologique s’affranchissant au maximum des intrants conduira à favoriser un élevage à l’herbe, cohérent avec les enjeux environnementaux, alors qu’un modèle basé sur les technologies de la robotique, du numérique et de la génétique favorise des animaux élevés en bâtiment.
Ces politiques publiques « en silos », sectorielles (agriculture, alimentation, environnement, santé) et réductionnistes, ne permettent donc pas structurellement de relever les défis sanitaires et environnementaux : elles ne les traitent chacune qu’en partie et génèrent des effets rebond.
L’excès d’utilisation d’azote, de pesticides, de consommation de viande et d’aliments ultra-transformés, entraîne des coûts cachés non payés directement par le consommateur : pour 1 euro dépensé en alimentation, la société doit en dépenser presque 2 pour réparer la santé et l’environnement
Pour la nécessaire refonte de notre système alimentaire, il faut donc dépasser les outils classiques d’action publique (subventions et taxes, normes et étiquetages) en les coordonnant au sein d’un pôle composé par ces quatre domaines d’action.
Pour cela, seules des politiques territorialisées permettront de décliner les ambitions nationales pour tenir compte à la fois des spécificités des territoires (sol, climat, entreprises…) et faciliter la concertation entre la société civile et les acteurs économiques. En ce sens, les projets alimentaires territoriaux constitueraient une échelle d’action privilégiée.
*auteurs
Directeur de recherche, UMR AGIR (Agroécologie, innovations et territoires), Inrae
Chargé de recherche, UMR 1019 – Unité de Nutrition humaine, Université de Clermont-Auvergne, Inrae
Professeur INP-ENSAT en agronomie et agroécologie, Inrae
Économiste, Inrae
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