Consommateur de politique ou citoyen ?

Consommateur de politique  ou citoyen ?

 

« Donner à penser que la politique se consomme comme tout le reste, n’est-ce pas admettre que ne pas voter est une option tout aussi normale que l’autre ?, s’interroge dans le Monde.  Daniel Payot. [...] Ceux ne vont pas voter répètent, les jours de scrutin, l’attitude qu’ils ont quand ils passent devant un supermarché sans y entrer ».

 

 

 

Certains commentateurs, pour expliquer le phénomène d’une abstention qui bat régulièrement ses records à chaque nouveau scrutin, l’imputent à la faiblesse de « l’offre politique ». Cette explication revient à identifier le geste de voter à celui de parcourir les rayons d’un supermarché et, selon ses moyens et ses envies, de choisir l’un ou l’autre produit ou, aPolitique : consommateur ou citoyen l’interrogation contraire, de continuer son chemin sans rien déposer dans son caddie.

On se réjouit de la pluralité des marques proposées pour un même produit, des qualités et prix différents, des couleurs plus ou moins attrayantes des emballages, des indications plus ou moins lisibles relatives aux composants et aux modes de préparation ; en examinant toutes ces données, on affine ses propres options, on établit ses listes de courses et on les affine. Parler d’« offre politique » insatisfaisante, terne, insuffisamment renouvelée, manquant d’attrait, trop chichement emballée, c’est assimiler les positions et les programmes des candidats à des produits de consommation.

Et si cette assimilation était précisément l’une des raisons de l’abstention galopante ? Donner à penser que la politique se consomme comme tout le reste, n’est-ce pas admettre que ne pas voter est une option tout aussi normale que l’autre ? On fait ses courses en fonction de ses besoins ; si l’on n’a rien à acheter, on reste chez soi ou on va se promener, et qui pourrait s’en formaliser ?

Dans le contexte d’un consumérisme généralisé, où tous les gestes et toutes les données de l’existence sont interprétés sur le modèle de produits lancés sur le marché et offerts à une transaction financière, rendre compte en ces mêmes termes du déficit démocratique revient peut-être à l’aggraver, en tout cas à le conforter.

Les politiques qui « vendent » leur programme dans des termes qu’ils empruntent sans écart à ceux du marketing sont responsables de cet état de fait ; mais aussi ceux qui, quelles que soient leurs bonnes intentions, oublient d’expliquer que voter, ce n’est pas la même chose que choisir une marque de yaourt, que voter, dans un régime démocratique, c’est participer à la détermination collective d’une orientation qui engage tout le monde et chacun.

Ceux qui – au nom de l’indifférence, de la lassitude ou du refus du système – ne vont pas voter, répètent, les jours de scrutin, l’attitude qu’ils ont quand ils passent devant un supermarché sans y entrer : ils accomplissent le geste le plus néolibéral qui soit, celui de leur liberté individuelle de consommateur.

Si nous voulons retrouver le sens de la démocratie, la concevoir comme un geste collectif, d’intérêt général, constitutif d’un peuple (et non seulement addition mécanique d’individus consommateurs), si nous voulons la revendiquer comme une réalité qui protège la liberté de tous et celle de chacun et dont la confiscation, on le vérifie chaque jour, est un drame pour les peuples et pour les individus, commençons par dissocier politique et consommation et retrouvons, loin des slogans et des mots d’ordre du marketing, les mots et les phrases qui correspondent vraiment aux décisions collectives engageant des orientations communes.

Daniel Payot, Strasbourg

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