Transition énergétique : Recourir davantage à l’innovation
La transition énergétique pour réduire notre dépendance aux hydrocarbures est devenue un enjeu majeur, notamment en Europe. Plusieurs pistes existent mais certaines, notamment celles qui font appel à l’innovation et à l’intelligence artificielle, mériteraient d’être plus amplement développées. Par José Iván García, PDG de Substrate AI, et Christopher Dembik, économiste et membre du conseil d’administration de Substrate AI. (dans la Tribune)
Au cours des dernières années, l’Union européenne a activement financé les sources d’énergie renouvelables intermittentes dans le cadre de la transition vers une économie faiblement carbonée. Jusqu’à présent, c’est un échec. L’objectif initial d’être moins dépendant des énergies fossiles n’est pas atteint. Dans les faits, notre dépendance s’est accrue. Les importations de gaz naturel ont augmenté (pour la première fois de notre histoire, nous importons plus de gaz naturel des Etats-Unis que de Russie, du fait de la guerre en Ukraine). Les centrales à charbon rouvrent par crainte des pénuries (celle de de Saint-Avold en Moselle, par exemple). Nous sommes loin d’être en mesure de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990 comme nous nous y étions engagés en 2021. Le gaz naturel est le principal vainqueur de la transition énergétique en Europe. C’est la triste réalité. Mais les choses peuvent changer en comptant sur les derniers développements technologiques.
Comment réussir à développer une économie faiblement carbonée ? Il y a deux leviers principaux : soit agir sur la demande, soit agir sur l’offre. Agir sur la demande implique de mieux voire de moins consommer. C’est le sens de l’appel formulé par les dirigeants d’EDF, d’Engie et de TotalEnergies il y a un peu plus d’une semaine. Concrètement, cela s’appelle la décroissance. Beaucoup d’Européens sont prêts à changer leur mode de consommation. Mais pas tous. Peu sont prêts à ce que le changement soit radical. Dans tous les cas, mieux voire moins consommer est un processus qui prendra du temps et qui est certainement en partie un changement générationnel. Pour des raisons évidentes, les jeunes générations (génération X de 1980 à 2000 et génération Z à partir de 2000) sont plus sensibilisées à la question climatique que la génération du baby-boom.
Agir sur l’offre est un levier plus pertinent et efficace à court-terme, selon nous. Cela implique d’investir davantage dans les infrastructures énergétiques (y compris dans les infrastructures de raffinage qui sont essentielles dans le processus de transition) et dans les nouvelles technologies afin d’améliorer l’efficacité énergétique et d’obtenir des gains de productivité. Le champ des possibles en la matière est infini. Les énergies renouvelables non-pilotages (solaire et éolien) ont une utilité actuellement faible dans le mix énergétique car elles ne peuvent pas fournir une source d’énergie constante. Mais la technologie peut aider. De grands projets industriels cherchent aujourd’hui à résoudre le problème de l’intermittence liée à l’énergie éolienne, par exemple. Au lieu d’augmenter le nombre de parcs éoliens offshore connectés individuellement aux réseaux nationaux (ce qui accroît les coûts et réduit l’efficacité systémique), l’opérateur d’électricité néerlandais TenneT promeut l’idée d’îles artificielles en mer du Nord servant de hubs pour distribuer l’électricité de manière optimisée aux pays voisins. Il s’agit d’un projet pilote. Il faudra des années pour le déployer. Mais s’il réussit, il pourrait accélérer l’adoption en masse de l’énergie éolienne.
Les nouvelles technologies sont également prometteuses pour favoriser l’émergence d’une économie décarbonée. La start-up danoise Copenhagen Atomics construit actuellement un premier réacteur de thorium à sels fondus et à eau lourde. Une fois qu’il sera opérationnel, il sera en mesure de détruire les déchets nucléaires et d’être fabriqué en masse. Le thorium est à l’origine d’une révolution dans le domaine de l’énergie nucléaire. Ce métal, découvert en 1829, est légèrement radioactif, énergétiquement dense (1kg de thorium équivaut à 3,5 millions de kilos de charbon), quatre fois plus abondants que l’uranium et surtout il produit moins de déchets que ce dernier (83 % des volumes des déchets sont neutralisé en dix ans). La Chine projette d’avoir ses premières centrales au thorium opérationnelles en 2030. Grâce à Copenhague Atomics, l’Europe pourrait rattraper son retard.
Les récentes innovations technologiques permettent aussi d’espérer pouvoir tirer parti des forces de l’océan. La start-up française Sweet Energy a développé une technologie adaptée pour l’énergie osmotique – c’est l’énergie produite lorsqu’un flux d’eau douce rencontre un flux d’eau salée. La production générée chaque année au niveau mondial est en mesure, en théorie, de couvrir les besoins en consommation de la planète entière sur un an. C’est énorme. Cela fait à peu près 75 ans qu’on a identifié le potentiel de l’énergie osmotique. Jusqu’à présent, les technologies mises au point fonctionnaient mais elles restaient très chères. Ce sont des technologies de membranes (concrètement, on fait circuler des flux d’eau douce et d’eau salée pour qu’il y ait un échange ionique qui se crée dans la membrane). Le coût de fabrication des membranes était trop important, faisant que la production d’énergie n’était pas abordable. La recherche française a récemment réussi à produire des membres qui sont environ dix fois moins chères et dix fois plus performantes.
De toutes les technologies évoquées, l’intelligence artificielle est certainement celle qui est la plus prometteuse à court terme afin de résoudre les problèmes d’intermittence propres à l’éolien et au solaire. Substrate AI travaille avec Canadian Solar, l’une des plus grandes sociétés productrices d’énergie solaire et de stockage d’énergie mondial, sur deux projets pilotes dont l’un devrait entrer en phase commercialisable cette année. Le premier projet concerne la maintenance prédictive – l’un des casse-têtes récurrents du secteur de l’énergie. Les onduleurs (qui servent à convertir l’énergie produite vers le réseau électrique) sont les éléments qui provoquent le plus de problèmes pour la production d’énergie solaire. Quatre facteurs principaux peuvent provoquer des pannes : une utilisation excessive, une surtension et une sous-tension, des vibrations ultrasonores (qui peuvent provoquer des frottements et endommager les onduleurs) et l’usure des condensateurs (ils ont une durée de vie limitée et vieillissent plus rapidement que les autres composants, provoquant ainsi une panne de l’onduleur). Lorsque cela se produit, la production d’énergie solaire peut chuter de plus de 20 % en moyenne. Grâce à l’intelligence artificielle (ici, on parle bien de machine learning qui soit en mesure d’apprendre et de s’adapter aux évènements), il est possible de détecter en amont les anomalies et de prévoir les pannes avant qu’elles ne se produisent au niveau des onduleurs, évitant ainsi la diminution de production qui en résulterait. A la clef, des gains d’efficacité opérationnelle et des économies de coût importantes.
Prévoir l’évolution de la production d’énergie solaire grâce à l’intelligence artificielle est le second angle de recherche. Aujourd’hui, dans la plupart des pays, des négociants achètent pour revendre (ou inversement) l’énergie solaire avant que celle-ci ne soit livrée aux clients finaux via le réseau. Cela assure la liquidité du système (ce qui est essentiel puisque nous ne sommes pas en mesure de prévoir l’évolution de la production !). Mais cela accroît le coût final. L’objectif est de désintermédier le marché en permettant aux opérateurs énergétiques de vendre directement l’énergie, à un bon prix (à la fois pour le producteur et le consommateur). Selon des estimations préliminaires, cela pourrait permettre d’augmenter la rentabilité des centrales photovoltaïques de 40 % en moyenne. C’est énorme. Mais pour y parvenir, les opérateurs ont besoin de mieux comprendre le fonctionnement de leurs usines et de prévoir de manière plus fiable l’évolution de la production. L’intelligence artificielle est un outil indispensable pour y parvenir.
Beaucoup reste à faire, à la fois au niveau de la recherche et de l’accès aux financements pour verdir notre économie. Cela implique de mieux canaliser les fonds publics et privés vers les projets disruptifs. Il y a encore peu de soutien en France et en Europe pour la recherche dans le thorium. Il y a beaucoup de capitaux qui vont vers des projets dans l’intelligence artificielle. En témoigne la levée de fonds de 5 millions d’euros de la start-up française EasyPicky fin juin (application de reconnaissance instantanée à base d’intelligence artificielle, destinée aux acteurs du commerce de détail). Mais parmi tous ces projets, peu sont consacrés au thème crucial de la transition énergétique et de l’intermittence. La transition énergétique telle qu’elle est menée en Europe est inflationniste. Il n’y a pas de débat à ce propos. Mais si on parvient à combiner les avancées dans l’intelligence artificielle aux projets industriels existants dans la transition énergétique, nous serons en mesure de baisser les coûts durablement. Historiquement, les choix de politiques publiques dans l’énergie ont abouti à une baisse de l’inflation. Pas cette fois-ci car nous avons fait primer l’idéologie (le tout-renouvelable) sur la rationalité économique en négligeant l’importance des évolutions technologiques. Il est encore temps
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