Attaquer l’Etat en justice
Les jugements reconnaissant des fautes des autorités publiques se multiplient. Dans une tribune au « Monde », Hafida Belrhali et Anne Jacquemet-Gauché, professeures de droit public, estiment qu’un « Etat responsable » doit tirer les leçons de ces décisions.
Deux jugements du tribunal administratif de Paris, les 24 et 28 juin, reconnaissent des fautes de l’Etat. Dans un cas, le tribunal affirme l’illégalité de la réautorisation dérogatoire du chlordécone aux Antilles. Dans l’autre affaire, le tribunal considère que le changement de doctrine sur le stockage de masques, opéré en amont de la pandémie de Covid-19 au détriment des impératifs sanitaires, était fautif, et que la communication erronée sur l’(in)utilité du port du masque, en début de crise, l’était tout autant.
Chaque fois, la décision publique a été pilotée par des considérations économiques : prévalence des intérêts des industriels de la banane, souci de réduire les coûts de stockage des masques. Certes, par ces deux décisions, le juge ne condamne pas l’Etat, d’autres conditions de cette action en justice faisant défaut. Cependant, pour qui veut bien ne pas reléguer ces jugements aux oubliettes jurisprudentielles, la reconnaissance de ces fautes a l’intérêt de mettre en évidence les défaillances des pouvoirs publics.
Au-delà de ces deux cas récents, de véritables condamnations ont pu être prononcées à l’encontre de l’Etat, déclaré responsable pour l’insuffisance de sa politique de lutte contre le réchauffement climatique, l’ineffectivité du droit au logement opposable, l’indignité des conditions de détention dans certaines prisons françaises, le défaut de scolarisation d’enfants handicapés ou encore le suivi inadapté de personnes autistes… Des actions en justice du même registre sont pendantes à propos des professeurs non remplacés ou de la réglementation des pesticides.
Il revient au juge administratif de condamner l’Etat pour tous ces manquements. Il est vrai que de telles décisions ne désignent pas d’individus fautifs : la responsabilité de la puissance publique n’est pas faite pour poursuivre des agents ou des décideurs, mais pour pointer des dysfonctionnements institutionnels. Dès lors, seule l’activité d’une entité abstraite est stigmatisée.
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