Une autre mondialisation ?
La guerre en Ukraine et les élections nous poussent à prendre le recul suffisant pour apprécier au mieux la transformation que nous sommes en train de vivre. (Papier de la Tribune, Extrait)
En effet, après le « business des bornes de recharge électriques », « le plan de transformation de la filière viti-vinicole pour s’adapter au changement climatique », « la bataille mondiale pour l’accès métaux critiques nécessaires à la transition écologique », « l’impact du e-commerce dans la transformation de nos villes et de nos sociétés », nous avons décidé de nous pencher sur l’évolution de la mondialisation qui se dessine depuis le début de la guerre en Ukraine, et plus précisément sur l’impact de ce conflit sur les filières industrielles, les territoires et la transition écologique.
Pourquoi un tel sujet ? Tout d’abord parce que les effets de la mondialisation impactent au quotidien nos vies et nos territoires et que toute évolution des forces qui l’animent a des conséquences structurelles extrêmement lourdes sur notre souveraineté, notre carte industrielle, l’emploi, le dynamisme de nos villes et de nos régions…, mais aussi sur notre pouvoir d’achat.
Ensuite parce que le sujet de la mondialisation est au cœur de l’actualité et de nos préoccupations en raison de l’impact de la guerre en Ukraine sur le commerce mondial : elle accélère en effet l’inflation, fait craindre une récession, menace la sécurité alimentaire d’un grand nombre de pays, mais aussi la transition énergétique quand la sortie de la dépendance au gaz russe pousse l’Europe à rouvrir des centrales à charbon pour compenser les tensions qui pèsent sur son système électrique. En espérant bien sûr que cette marche arrière ne soit que temporaire et soit suivie d’un coup d’accélérateur dans les énergies renouvelables.
Enfin, parce qu’après trois décennies d’accélération de la globalisation au cours de laquelle la circulation des individus, des marchandises, des services et des capitaux s’est faite quasiment sans limite en raison d’une dérégulation et d’une révolution numérique toujours plus poussées, cette guerre ouvre une nouvelle page de la mondialisation que la bataille commerciale entre la Chine et les Etats-Unis à partir de 2019 et surtout la crise du Covid avaient commencé à dessiner. La pénurie de masques et de matériel médical puis les tensions sur les chaînes d’approvisionnement observées pendant la crise sanitaire ont, en effet, mis en évidence les dangers pour la souveraineté de nombreux pays occidentaux d’une dépendance massive à d’autres pays. Ce phénomène est aujourd’hui décuplé par l’onde de choc de la guerre en Ukraine sur la géoéconomie mondiale. Et pour cause, tous les industriels repensent leur chaîne de production et d’approvisionnement, en relocalisant, en doublant, voire triplant le nombre de fournisseurs et/ou en s’installant dans des pays amis et stables politiquement. Une rupture coûteuse qui ne sera pas sans conséquence sur les prix de vente et le pouvoir d’achat.
Ce mouvement tranche donc avec celui observé au cours des trente dernières années qui, justement, se caractérisait par l’éclatement des chaînes de production aux quatre coins du globe pour se rapprocher de nouveaux marchés prometteurs et profiter d’une main d’œuvre bon marché.
Surtout, ce mouvement de repli semble encourager une fragmentation de la mondialisation, organisée non plus comme un village-planétaire pour reprendre l’expression de Marshall McLuhan, mais sous forme de blocs de pays distincts, chacun constitués sur des considérations géopolitiques, échangeant peu ou pas du tout entre eux. Une sorte de mondialisation entre amis, comme l’expliquent la secrétaire d’Etat américaine au Trésor, Janet Yellen et Christine Lagarde, la patronne de la Banque centrale européenne (BCE) en vulgarisant les concepts de « friend-shoring », « friend sharing », « friend shopping ». Ce scénario est loin d’être acté et n’est pas partagé par tous. Tout comme ne l’est, d’ailleurs, l’appréciation de la situation actuelle, prélude, selon certains, à une « démondialisation », qui marquerait un recul des échanges mondiaux, quand d’autres prévoient plutôt, une « néomondialisation » ou une « remondialisation », un concept qui verrait la mondialisation continuer sur des principes différents, tandis que d’autres enfin estiment que les forces motrices de la globalisation sont toujours présentes et que la mondialisation continuera, mais de manière ralentie (« slowbalization »). En fait, tout dépendra beaucoup de l’issue de la guerre, de la place qu’occupera demain la Russie dans le concert des nations et de l’évolution du régime russe. Cela peut prendre des années.
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