Relativiser la récession (PDG de Morgan Stanley)
James Gorman, PDG de Morgan Stanley depuis 2009, analyse dans le JDD les risques qui menacent l’économie mondiale.
James Gorman, 64 ans, a reçu son baptême du feu en arrivant en tant que coprésident à la tête de Morgan Stanley, en 2007, en pleine crise financière. Face aux tensions actuelles, celui qui est devenu PDG de l’un des premiers groupes bancaires au monde en 2009 se montre moins pessimiste que ses pairs. « Ferons-nous face à une inflation incontrôlable ? Je ne le pense pas », assure-t-il ainsi. Pour le JDD, il analyse les risques qui menacent l’économie mondiale et assure que la France bénéficie de nombreux atouts.
Depuis le déclenchement de la pandémie, des crises successives multiples ont aggravé la conjoncture économique. Cela va-t-il empirer ?
Je pense qu’il faut relativiser l’ampleur des bouleversements subis. Nous ne vivons pas une peste qui a décimé 10 % de la population mondiale. Ni une guerre mondiale qui a causé des dizaines de millions de morts. La crise sanitaire semble s’atténuer. La crise géopolitique, avec la première guerre sur le sol européen depuis plusieurs décennies, est indéniable. Mais elle est régionale et non globale. Ce qui se multiplie, en revanche, ce sont les incertitudes. Et leurs différentes conséquences à moyen et long termes, difficiles à évaluer pour l’instant – notamment celles liées à la pandémie, comme le changement du rapport au travail, la santé mentale ou l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Ces incertitudes agrégées produisent un environnement inconfortable, entre autres parce que les marchés financiers ne redoutent rien tant que les incertitudes.
Comment se porte Morgan Stanley dans ce contexte ?
Depuis douze ans que je suis à la tête de la banque, notre stratégie a consisté à construire un modèle économique résilient. Pour que le groupe puisse résister aux chocs, y compris lors de périodes très difficiles. Nous avons réalisé une très bonne année en 2021, avec deux acquisitions significatives. Dans deux domaines essentiels, le trading et la banque d’investissement, nous sommes clairement l’un des gagnants de la décennie en matière de gains de parts de marché. Et nous sommes aussi l’une des banques, si ce n’est la seule, à jouir d’une capitalisation exceptionnelle. La situation actuelle n’a rien à voir avec celle de 2008, heureusement.
Quels enseignements avez-vous tirés de la crise financière ?
J’ai été nommé coprésident en 2007, puis PDG à la fin de 2009. Je l’ai donc vécue au plus près. Les crises offrent une opportunité fascinante en matière de leadership. Il faut agir en tant que leader, et non pas uniquement se demander comment le devenir. Diriger une organisation de cette envergure dans un contexte de stress paroxystique, et donc de changements majeurs, est un grand privilège. C’est le temps des décisions, bonnes ou mauvaises, mais nécessaires. Nous avons saisi cette occasion pour nous renforcer, « faire du muscle », en quelque sorte. Nous nous sommes donc séparés de certaines activités et avons investi dans d’autres, plus stables, dont la gestion d’actifs et la gestion de fortune. Les actifs sous gestion de nos quinze millions de clients ont dépassé le seuil de six mille milliards de dollars. Et nous avons doublé le dividende pour récompenser nos actionnaires.
L’inflation suscite beaucoup d’inquiétudes. Les partagez-vous ?
Il faut en distinguer les causes. Sur le front du Covid, le défi scientifique a été relevé avec succès grâce aux vaccins. Mais les suites de la pandémie ont un effet inflationniste, à la suite des décès, des démissions et des départs en retraite anticipée. Concernant la guerre en Ukraine, malgré les pertes effroyables de vies humaines, il faut probablement se résigner à la probabilité d’une guerre longue. D’où des hausses durables des prix de l’énergie, notamment en Europe où plusieurs pays – dont l’Allemagne – sont dépendants de l’énergie russe. Cette situation ne pourra pas se prolonger indéfiniment sans que les gouvernements ne prennent des mesures adéquates pour tenter d’y remédier. Car ce n’est pas soutenable à long terme. S’ajoutent à tout cela des tensions géopolitiques et commerciales, des pénuries de matières premières et des dysfonctionnements dans la chaîne logistique. Mais il ne faut pas oublier que les mesures de soutien à l’économie prises par les gouvernements pendant la crise sanitaire, accompagnées alors de taux d’intérêt historiquement bas, ont permis une vigoureuse croissance mondiale l’an dernier.
Aurait-il fallu remonter les taux d’intérêt plus tôt ?
Il est désormais évident pour le plus grand nombre que les banques centrales ont réagi tardivement et lentement. Avant de les augmenter plus fortement qu’attendu ces derniers mois. Ces hausses vont bien sûr diminuer les bénéfices des entreprises et ralentir la consommation des ménages.
Et créer une récession ?
Pour les États-Unis, j’évalue ce risque autour de 50-50. Il est à mon avis bien plus important en Europe. Pas de 100 %, mais certainement très supérieur à 50 %. Celà dit, le mot « récession » fait peur, au point de devenir quasiment une obsession, alors que ce n’est pas si grave en soi. Il ne s’agit que d’un concept arithmétique : deux trimestres consécutifs de recul de l’activité. Le monde ne s’écroulera pas pour autant, et nous en sortirons peut-être aussi vite que nous y serons entrés. Le mot m’effraie moins que la réalité du monde qui nous attend dans deux ans. Où en serons-nous alors ? Ferons-nous face à une inflation incontrôlable ? Je ne le pense pas. La crise énergétique provoquera-t-elle des mouvements sociaux massifs ? Je ne le pense pas non plus. Mais il ne fait aucun doute que nous allons vivre des moments agités.
Vous venez d’assister à Paris au sommet Choose France. En tant qu’investisseur, quel est votre regard sur le pays ?
D’un strict point de vue énergétique, la France bénéficie d’une bien meilleure situation que la plupart de ses voisins européens, avec un mix plus diversifié que la moyenne du continent, grâce à l’énergie nucléaire. Elle compte aussi de nombreuses très grandes entreprises, bien implantées à l’international. Depuis la crise financière, son secteur bancaire est le plus solide de toute l’Europe – un avantage fondamental. Le Brexit a affaibli la Grande-Bretagne, tandis que la crise énergétique fragilise l’Allemagne et d’autres pays de l’Union européenne. De mon point de vue, la France est aujourd’hui plutôt bien placée face à la situation actuelle. Morgan Stanley y possède une implantation de première importance en Europe. Nous allons y doubler notre présence, en investissant notamment dans un nouveau centre de recherche et développement appliqué aux activités de marché, qui emploiera 100 personnes.
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