Guerre en Ukraine : Etre réaliste ou cynique ?

Guerre en Ukraine :  Etre réaliste ou cynique ?

 

La position selon laquelle la Russie et l’Ukraine pourraient être renvoyées dos à dos comme « des acteurs rationnels défendant leurs intérêts » n’est pas du réalisme, mais du cynisme, estime, dans une tribune au « Monde », le chercheur en relations internationales Jean-Baptiste Jeangène Vilmer.

 

La guerre en Ukraine a accentué la tendance déjà tenace à caricaturer ce qu’est le « réalisme » en politique étrangère. Nombreux sont les analystes qui revendiquent ce label pour appeler à la modération face à l’agression russe. Le procès en « manque de réalisme » vise tant les origines prétendues du conflit que sa conduite et les perspectives de sortie.

Avant la guerre, c’est l’absence de « réalisme » qui aurait permis l’expansion de l’OTAN, laquelle aurait « provoqué » le président Poutine, qui n’aurait fait que défendre ses intérêts en attaquant l’Ukraine, ce dont il est, par conséquent, presque excusé. Pendant la guerre, c’est encore au nom du « réalisme » qu’il faudrait ne pas trop soutenir les Ukrainiens et ménager une porte de sortie honorable aux Russes. Et, après la guerre, les mêmes « réalistes » nous inviteront à rapidement normaliser nos relations avec Moscou.

Dans cette acception du mot, le réaliste est une sorte d’observateur impartial des rapports de force, pour lequel il n’y aurait « ni gentil ni méchant » – la Russie et l’Ukraine sont renvoyées dos à dos –, mais seulement des acteurs rationnels défendant leurs intérêts. Dénonçant « l’hystérisation » du débat, voulant incarner la raison contre la passion, ce réaliste met un point d’honneur à exclure les questions morales de son analyse.

Sauf que cette position n’est pas du réalisme. C’est ce que, il y a déjà plus d’un demi-siècle, le philosophe Raymond Aron (1905-1983) appelait le « faux réalisme », c’est-à-dire en réalité le cynisme. La matrice réaliste partage certes plusieurs postulats avec cette attitude : tenir compte des contraintes du réel, reconnaître les rapports de force, se méfier des abstractions et juger la valeur d’une proposition à sa faisabilité, sans se faire d’illusion sur la volonté ou la capacité des acteurs de respecter les principes qu’ils invoquent, comprendre que les Etats cherchent à maximiser leur intérêt national et sont plus souvent en conflit qu’en harmonie, etc.

Mais, et c’est une différence majeure, le réalisme n’est pas pour autant un amoralisme. Ignorer ou sous-estimer les questions morales, ce n’est pas faire preuve de réalisme, puisque ces questions se posent et font partie de « la réalité ». Elles se posent même de plus en plus, parce que la pression normative sur les acteurs des relations internationales – Etats, organisations, entreprises, individus – ne cesse de s’accroître : sur la conduite de la guerre, les ventes d’armes, le nucléaire militaire, les droits de l’homme, les émissions de gaz à effet de serre, etc.

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