Inflation: Vers une économie de pénurie?
L’économiste Robert Boyer analyse, dans une tribune au « Monde », l’augmentation des prix actuelle comme étant d’une nature différente de celle des années 1970 ; elle est le signe avant-coureur d’une régulation économique fondée sur la pénurie.
Face au retour de l’inflation, il est une interprétation séduisante : la période de grande modération et de taux d’intérêt très faibles aurait constitué une exception puisque l’excès de liquidité créée par les banques centrales se traduirait enfin dans les statistiques des prix à la consommation. En conséquence, il conviendrait de revenir au plus vite aux politiques monétaires orthodoxes grâce à une rapide remontée des taux d’intérêt.
Ce pourrait être une dangereuse erreur d’analyse, car c’est la convergence de changements structurels majeurs qui explique en réalité la conjoncture actuelle.
En premier lieu, la pandémie a montré la fragilité des chaînes globales de valeur, d’abord en matière de biens médicaux, mais aussi pour nombre d’autres produits dont les composants électroniques, devenus essentiels dans le nouveau paradigme productif. Une fois surmontée la phase la plus aiguë de la pandémie, la demande mondiale s’est vigoureusement redressée, rendant manifeste la fragilité de systèmes productifs nationaux de plus en plus interdépendants, marqués par une extrême concentration de la production de biens stratégiques. Réapparaissent ainsi des contraintes d’offre, sources de pression sur les prix.
Il n’est pas surprenant que l’inflation soit la plus élevée aux Etats-Unis, car le surdimensionnement des plans de soutien puis de relance laissait augurer soit un creusement massif du déficit extérieur, soit un emballement inflationniste, d’autant plus important que l’économie est très proche du plein-emploi et du fait de la générosité du soutien aux revenus des ménages américains. La croyance au caractère durable, pour ainsi dire irréversible, de la stabilité du niveau général des prix a conduit les responsables de la politique économique à considérer ce retour de l’inflation comme purement transitoire. L’inertie des représentations héritées du régime de croissance précédent a sans doute aggravé l’ampleur de l’inflation.
En deuxième lieu, le changement climatique a longtemps été perçu comme un phénomène qui ne se manifesterait qu’en très longue période. Or les deux dernières années ont été marquées par une fréquence accrue des tornades, des inondations, des sécheresses, ou encore de la désertification et des incendies. Bref, autant d’événements qui ont des répercussions directes sur la production agricole, mais pas seulement. Ainsi, la flambée du prix des aliments, antérieure même à la guerre en Ukraine, est aggravée par la tentation de bloquer les exportations agricoles, au risque d’accentuer la fragilité des flux internationaux de marchandises. En retour, l’incertitude ainsi créée inhibe l’investissement et accentue les problèmes d’offre.
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