Auto électrique : une nouvelle rupture sociale et territoriale

Auto électrique  : une nouvelle rupture sociale et territoriale

 

 

La fin annoncée des voitures à moteur thermique en 2035 ouvre la voie à une transition accélérée vers la voiture électrique, avec un vrai risque de fracture territoriale et sociale. Un gouffre sépare toujours et encore les grands centres urbains des zones périphériques et rurales en matière de qualité d’infrastructure. Par Matthieu Dischamps, directeur France et BeLux de Power Dot.(dans la Tribune)

Tribune

 

Le gouvernement s’était fixé pour objectif d’atteindre les 100.000 bornes pour véhicules électriques installées à fin 2021. Nous n’en sommes aujourd’hui qu’à 60.000 points de charge recensés, mais ce rendez-vous manqué a eu le mérite d’accélérer le déploiement de l’infrastructure de bornes de recharge avec une progression spectaculaire de plus de 55% en un an (*). On pourrait presque s’en féliciter si toutes les régions étaient logées à la même enseigne. L’objectif quantitatif est certes nécessaire pour fixer un cap mais il ne peut se faire au détriment de la qualité de l’infrastructure et de son adéquation avec les temps de passage sur site.

En y regardant de plus près, l’Île-de-France rassemble à elle seule près de 20% des bornes installées. Logique a priori si l’on se réfère à sa part dans la population nationale. Mais l’Île-de-France est aussi la région métropolitaine où le taux de motorisation des ménages est le plus faible (**) et qui bénéficie de l’infrastructure de transports publics la plus dense et la plus variée. À l’inverse, les régions les moins urbanisées, celles où la voiture est indispensable pour assurer les déplacements du quotidien, apparaissent nettement sous-équipées. La France rurale délaissée, après avoir subi les zones blanches de la téléphonie mobile et de l’internet haut débit, connaît maintenant celles de la recharge électrique. Le gouvernement a pourtant eu le mérite d’enclencher très tôt la dynamique d’équipement dans les communes, avec un décret de 2014, mais ces initiatives, souvent publiques, ont privilégié la recharge lente qui s’avère maintenant inadaptée aux usages.

 

Intéressons-nous maintenant aux bornes de recharge les plus puissantes, celles qui facilitent le quotidien et exploitent pleinement le potentiel des nouvelles générations de voitures électriques équipées de batteries de plus forte capacité afin de rivaliser en autonomie et en polyvalence avec les modèles essence et diesel. Avec seulement 8 % de ces bornes dites rapides (à courant continu, plus efficace que celles à courant alternatif qui alimentent nos prises domestiques), la France apparaît déjà mal lotie par rapport à certains de ses voisins européens comme l’Allemagne qui en compte 16 % ou le Portugal 18 %. Mais les nuées de points qui les localisent esquissent de manière encore plus flagrante une France à deux vitesses, concentrées dans les plus grandes agglomérations et autour des voies rapides qui les relient.

En dehors des principaux centres urbains, ces prises si recherchées par ceux qui parcourent de grandes distances, capables de fournir plusieurs centaines de kilomètres d’autonomie le temps d’une pause, sont conçues pour les électromobilistes de passage et non pour ceux qui y vivent sans alternative à la voiture pour leurs trajets quotidiens. Les insuffisances de l’infrastructure de recharge, après le prix à l’achat d’un véhicule électrifié toujours élevé malgré les aides publiques, représentent pourtant l’un des principaux freins à l’adoption de la voiture électrique. Avec la volonté européenne d’interdire les moteurs thermiques d’ici 2035, il est impératif de combler les lacunes d’un réseau français à la fois inadapté au temps de passage et mal entretenu, afin de répondre aux besoins quotidiens des automobilistes.

 

Les annonces d’implantation de bornes de recharge rapide n’ont jamais été si nombreuses, toutes plus spectaculaires les unes que les autres, par centaines dans tel grand parking parisien ou par dizaines le long d’une autoroute. Est-ce vraiment là que doit se porter l’effort ? La rentabilité d’un réseau de bornes, dont l’investissement est d’autant plus lourd que la puissance de charge est élevée, répond à des impératifs de taux d’utilisation, de facilité de maintenance et de réparation, peu compatibles avec des sites dispersés. Mais sans points de recharge visibles, les régions péri-urbaines et rurales resteront à l’écart de la transition vers la mobilité électrique. Les inégalités d’accès aux bornes rapides constituent un risque supplémentaire de fracture sociale et territoriale.

 

Les opérateurs de bornes de recharge peuvent éviter cet énième risque de fracture. À la condition de ne pas oublier les zones en déficit d’infrastructure, et surtout en se rapprochant des utilisateurs et de leurs lieux de passage quotidiens : les lieux d’activités et de consommation en particulier (supermarchés, restaurants, centres commerciaux et de loisirs…), en garantissant une qualité de service optimale pour se recharger le temps de faire ses courses, aller au cinéma ou se restaurer. Avec la recharge électrique, il existe une opportunité de simplifier la vie des Français en leur amenant l’électricité là où ils sont naturellement plutôt que leur faire faire des détours sur des stations-services. Et seul un objectif de rentabilité à long terme pourra contribuer à démocratiser la voiture électrique dans tous les territoires d’ici 2035.

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* Baromètre Avere www.avere-france.org/publications
** INSEE www.insee.fr/fr/statistiques/2012694#titre-bloc-3

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