Défendre les libertés
Par Monique Canto-Sperber, philosophe, directrice de recherche au CNRS et présidente exécutive de la Fondation Events( dans l’OPINION). Elle est l’auteur de nombreux ouvrages et notamment de La Fin des libertés : ou comment refonder le libéralisme (Robert Laffont, 2019).
Quel est le prix de la liberté ? Et pourquoi la défendre ? Dans la campagne présidentielle qui vient de s’achever, peu nombreux sont les candidats qui ont parlé des libertés. En revanche tous se sont engagés à œuvrer aux biens collectifs que sont la sécurité, la cohésion sociale, l’efficacité économique. Sans doute pensaient-ils que dans une société de prospérité, de justice sociale et de sûreté, la liberté va de soi.
La possibilité d’être libres au sein d’une communauté politique est l’un des défis que la pensée libérale a voulu relever. Les idées de société civile, de démocratie pluraliste, d’initiatives économiques décentralisées et de concurrence au sein d’un marché, comme celle d’une société ouverte où chacun a sa chance et parle librement en sont issues.
Toutefois, ce que nos sociétés deviennent et les types de gouvernement qu’elles se donnent paraissent de moins en moins en phase avec ces exigences. Face aux menaces terroristes, de nombreux Etats libéraux ont adopté des mesures qui vont de la surveillance massive à l’état d’urgence, bien éloignées des idéaux libéraux. Des gouvernements installent peu à peu des pratiques politiques – concentration de la décision et personnalisation du pouvoir – qui affaiblissent les parlements et bousculent les usages du libéralisme politique. En Hongrie, en Pologne, aux Etats-Unis sous Donald Trump, on a vu comment un Etat libéral peut se transformer dès lors que les contre-pouvoirs sont affaiblis, que la presse est moins libre et les moyens d’information contrôlés.
En France, il y a quelques semaines, la candidate du Rassemblement national à la présidence de la République annonçait qu’elle gouvernerait par référendum, ce que la Constitution ne permet pas, tandis que le leader de La France insoumise prône toujours la « désobéissance » à l’égard des traités européens, auxquels pourtant le peuple souverain a consenti. Et lorsqu’il s’agira de rationner des ressources rares en cas de pénurie, et d’imposer des changements de modes de vie pour éviter la catastrophe climatique, les contre-pouvoirs, les consultations et délibérations et autres exigences du libéralisme paraîtront comme autant de délicatesses hors d’usage, peu adaptées au monde qui vient.
Ce n’est pas tout. L’augmentation des inégalités ne permet plus guère de croire que chacun a sa chance dans une société libre. Quant au droit de penser et de dire ce qu’on veut tant qu’on ne viole pas la loi, il paraît bien dépassé face aux pressions et intimidations du progressisme militant. Enfin, les réseaux sociaux feront peu à peu de la protection de la vie privée une valeur qu’on peut changer au gré des cultures, comme le prédisait Mark Zuckerberg.
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