Pour une Union européenne politique
- Julien Arnoult, docteur en science politique, expert EuropaNova, et Édouard Gaudot, directeur des relations extérieures d’EuropaNova, regrettent que la présidence française de l’Union européenne n’ait pas permis d’« approfondir » l’union politique en Europe.
Le conflit de la Russie avec l’Ukraine aura peut-être fait comprendre les trous dans la raquette de l’union européenne tant en matière économique que de défense. En l’état actuel de l’UE ni la défense, ni l’économie ne sont protégés d’une attaque éventuelle de la Russie. NDLR
Les temps changent. Sur fond de rivalité sino-américaine croissante, la crise sanitaire puis la guerre russe sur l’Ukraine ne laissent plus d’alternative aux Européens : l’Union européenne (UE) sera géopolitique. Sinon, elle se condamnerait à l’impuissance, retournant à l’insignifiance des années de guerre froide. Mais l’Europe ne peut prétendre devenir un tel acteur global qu’à la double condition impérative de reprendre à la fois son processus d’élargissement et son processus constituant – quelles que soient les réticences actuelles des États membres à l’égard de l’un ou l’autre.
L’État de droit, la responsabilité et le contrôle démocratiques, participent du rayonnement, de l’attraction et de la légitimité de l’UE. De leur côté, les peuples candidats ont pour la plupart compris et intégré cette exigence. Leurs engagements politiques soulignent cet attachement aux valeurs démocratiques et européennes, qui anime leur désir de rejoindre l’UE. L’Ukraine en est un des meilleurs témoignages.
En proposant une vague « communauté politique européenne » qui se résume à un forum de dirigeants, la Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) ne répond ni au désir d’élargissement ni à l’exigence d’approfondissement. Ces deux processus, l’un interne, l’autre externe, ont longtemps été considérés comme impossibles à mener de front. Cette approche n’est plus tenable. L’approfondissement du fonctionnement de l’UE, en particulier sa composante démocratique, est aussi vital à la crédibilité externe de l’Europe qu’à sa cohésion interne.
Les invocations récurrentes, et pathétiques, à la « communauté de valeurs » dans le débat européen soulignent cependant une ambiguïté. Car les valeurs unissent autant qu’elles divisent. Il ne peut y avoir de discussion sur les valeurs, pour les rendre finalement partagées, qu’à la condition première d’un sentiment d’appartenance à une communauté politique, en dépit des différences et des différends.
Or toute réelle communauté politique se fonde d’abord sur un sentiment d’appartenance partagé. À cet égard, le retour d’une guerre de grande ampleur sur le continent aura permis au moins de renforcer ce sentiment, avec l’afflux des familles ukrainiennes et leur accueil fraternel et spontané par les peuples de l’UE. L’européanisation croissante de nos scènes politiques nationales progresse, lentement mais sûrement.
Nous avons besoin plus que jamais d’un espace politique partagé où Finlandais et Lettons puissent témoigner à l’Ouest de leurs insomnies depuis le 24 février 2022, où Slovaques et Lituaniens expliquent aux Grecs les sacrifices qu’ils ont dû faire pour entrer dans l’euro, où les Grecs montrent aux Néerlandais les conséquences des politiques d’austérité imposées par l’intransigeance des prêteurs, où les Méditerranéens rappellent aux Allemands les ravages sociaux de leur politique de désinflation compétitive et le chômage massif de leur jeunesse.
La démocratie, c’est aussi l’équilibre et le contrôle des pouvoirs. À ce titre, trois chantiers apparaissent prioritaires.
Le premier est largement connu et débattu : l’indispensable levée du droit de veto de chaque État-membre.
Le second concerne l’absence de débat public à propos des décisions au sein de l’Union économique et monétaire, en particulier l’Eurogroupe, affranchi de toute règle de responsabilité politique formelle. Or cette réunion mensuelle des ministres des Finances de la zone euro, où les économies les plus puissantes imposent leurs vues, décide des orientations économiques européennes en dehors de tout contrôle démocratique.
Enfin, le Conseil européen, c’est-à-dire l’organe réunissant les dirigeants nationaux, n’est responsable devant aucune instance européenne – seulement quelques parlements nationaux qui font leur travail de contrôle de l’exécutif. Or, il est devenu à la suite des crises successives le principal organe politique de l’UE.
Pour y répondre, on pourrait concevoir des configurations de représentations européennes et nationales communes, dotées d’un mandat spécifique ainsi que de pouvoirs de contrôle et de sanction, devant lesquelles seraient responsables l’Eurogroupe et le Conseil européen, voire d’autres instances. Par exemple, pour le Conseil européen, imaginons un organe de supervision, placé sous la responsabilité du président du Parlement européen et composé des 39 présidents des chambres mono- ou bicamérales des États membres.
De Strasbourg aux 27 capitales, les parlements européens deviendraient ainsi le lieu où les légitimités démocratiques nationales et européennes convergent et s’informent mutuellement, au lieu de se concurrencer. Cette parlementarisation accrue de la vie politique européenne, participerait ainsi au maintien et à la vitalité de l’espace public transnational.
La PFUE a préparé le terrain et proposé la réouverture des traités. Il faut maintenir la pression citoyenne et politique pour que cette dynamique se poursuive jusqu’à ce que l’UE prenne toute sa dimension politique.
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