Transition énergétique: abolir la charte de l’énergie
La France, comme l’Union européenne, doit s’affranchir de ce texte favorable aux géants de l’énergie, dont les règles datent d’une époque révolue où la reconstruction de la planète l’emportait sur sa préservation, estiment les experts du climat Santiago Lefebvre et Yamina Saheb dans une tribune au « Monde ».
Imaginez un monde où les grandes marques de cigarettes recevraient des milliards d’euros de dédommagement de l’Etat – et donc des contribuables –, au motif que celui-ci a décidé d’interdire la cigarette dans les lieux publics. Difficile à accepter ?
Et pourtant, appliquée aux énergies, et notamment aux fossiles, cette règle existe bel et bien. C’est l’objet du traité sur la charte de l’énergie (TCE) : tout pays signataire qui déciderait de modifier sa politique énergétique dans un sens contraire aux intérêts des énergéticiens et investisseurs peut être attaqué en justice par ces derniers. Et ce sont des milliards de dollars qui sont réclamés en dommages et intérêts.
A titre d’exemple, en 2021, l’entreprise allemande Uniper a poursuivi le gouvernement des Pays-Bas pour sa décision de fermer prématurément des centrales à charbon à la suite d’une décision de justice en faveur de la société civile pour accélérer l’action climatique.
Début 2022, le Financial Times rapporte que quatre autres entreprises portent plainte contre l’Italie, la Slovénie, la Pologne et à nouveau les Pays-Bas, à la suite de l’arrêt de projets liés au charbon et aux hydrocarbures. L’Allemagne a dû négocier un dédommagement de 4,35 milliards d’euros pour éviter des poursuites dans le cadre du traité.
En France, en 2017, l’entreprise canadienne Vermilion, opérant sur des sites d’extraction d’hydrocarbures sur le territoire français, a utilisé le risque de poursuites dans le cadre du TCE pour faire pression sur le gouvernement s’il adoptait sa loi sur les hydrocarbures mettant fin à l’exploration et à l’extraction des combustibles fossiles d’ici à 2040. Face à l’ampleur des risques financiers, les Etats sont souvent enclins à céder. La loi a finalement été modifiée.
Alors que le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) alerte sur le fait que nous n’avons plus le temps d’attendre pour inverser la tendance en matière d’émissions de carbone, que l’urgence est là, et sachant que l’énergie fossile est la première source d’émissions de carbone, ce traité vient tout simplement empêcher les Etats et territoires de décarboner leurs sociétés et de prendre les décisions fortes desquelles dépend pourtant l’avenir de notre planète.
A croire qu’aujourd’hui, les investissements des énergéticiens l’emportent sur les enjeux climatiques et l’avenir des générations futures. Loin d’être immuables, les règles de gouvernance se sont de tout temps adaptées à leur époque et à leurs enjeux. A chaque époque ses règles et ses adaptations.
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