L’OTAN dans le piège de l’Ukraine ?
Sylvie Kauffmann du Monde s’interroge sur la stratégie de l’OTAN dans la mesure où rien ne semble pouvoir arrêter les massacres de la Russie et où les sanctions prises contre Poutine se retournent en fait contre l’Occident.
Les dirigeants de l’OTAN se réunissent à Madrid dans un contexte géostratégique radicalement bouleversé. Le tournant actuel de la guerre, qui paraît favoriser la Russie, les contraint à des choix draconiens, analyse Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.
Toute honte bue, le ministère de la défense russe a revendiqué, mardi 28 juin, le bombardement meurtrier du centre commercial de Krementchouk en Ukraine, la veille, prétendant qu’il était désaffecté et que la cible était militaire.
Plus rien ne retient le régime du président Poutine dans sa volonté d’asservir ce pays : ni la décence humaine ni le souci de préserver ce qu’il reste des engagements de l’après-guerre froide pour la sécurité en Europe, comme le montre son annonce du déploiement en Biélorussie de missiles capables d’emporter des têtes nucléaires.
C’est dans ce contexte de durcissement extrême que sont réunis les dirigeants de l’OTAN à Madrid, du 28 au 30 juin. Quatre mois après le début de l’invasion de l’Ukraine, le point de non-retour semble désormais atteint dans les relations de l’Alliance atlantique avec la Russie. Et ce point de non-retour va structurer durablement leur horizon sécuritaire, dans un environnement géostratégique bouleversé.
La guerre elle-même est entrée dans une phase difficile pour l’Ukraine et pour ses soutiens occidentaux. Sur le terrain, la stratégie de destruction totale de l’artillerie russe finit par venir à bout de la résistance ukrainienne en plusieurs endroits du Donbass. Kiev est de nouveau frappée. La diplomatie est à l’arrêt, les Nations unies impotentes. L’outil des sanctions, manié à une échelle sans précédent par le camp occidental uni, ne produit pas à court terme les effets escomptés : ni le régime de Vladimir Poutine ni le soutien de la population russe ne paraissent ébranlés, le rouble résiste et, malgré le défaut de paiement de la Russie, le système économique est, pour l’instant, stabilisé.
Pis : alors que le blocage par la Russie des exportations de céréales ukrainiennes menace de provoquer une crise alimentaire dans les pays importateurs du Sud, Moscou a réussi à y implanter l’idée que la faute en incombait aux sanctions occidentales. Ainsi, si l’Ukraine et son président, Volodymyr Zelensky, ont très tôt remporté la bataille de l’opinion en Europe, leurs alliés semblent l’avoir perdue dans le reste du monde – raison pour laquelle cinq dirigeants du Sud ont été invités au sommet du G7, lundi.
Parallèlement, les pays européens, particulièrement ceux qui, comme l’Allemagne, étaient très dépendants du gaz russe, se trouvent contraints de modifier radicalement, dans l’urgence, leur politique d’approvisionnement énergétique, au détriment de leurs engagements dans la lutte contre le changement climatique. Conséquence politique non négligeable, les hausses des prix qui en résultent risquent de fragiliser le soutien des opinions publiques à l’effort de guerre en Ukraine.
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