La personnalité juridique pour le non humain ?

La personnalité juridique pour le non humain ?

Notre droit n’est pas apte à faire face à la destruction du vivant, affirme la juriste Marine Calmet, qui revient, dans un entretien au « Monde », sur les entités naturelles – fleuve ou parc – reconnues en tant que personnalité juridique.

 

Des droits pour la nature avec reconnaissance de la personnalité juridique sont-ils réellement des avancées concrètes une meilleure harmonie entre le non humain et l’humain ? Un débat qui paraît un peu théorique dans la mesure où ce sont toujours les humains qui plaideront dans un sens ou dans un autre. NDLR

 

 

 

Marine Calmet, avocate de formation, a milité, en Guyane française, contre le projet minier de la Montagne d’or, abandonné en 2019, avant de créer l’ONG Wild Legal, une école et un incubateur pour défendre les droits de la nature. Elle a préfacé la réédition du livre de Christopher Stone, Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? (Le Passager clandestin, 192 pages, 15 euros).

Le mouvement des droits de la nature suscite un intérêt croissant. Comment l’expliquer ?

Notre droit actuel n’est pas capable de faire face à la destruction du vivant et à la crise climatique. Au contraire, il donne un blanc-seing à de nombreux projets polluants. Beaucoup de nos lois ont été rédigées dans les ministères où les lobbys industriels sont mieux représentés que les fleuves ou les forêts. Notre code minier, par exemple, a été écrit pour faciliter et développer l’exploitation des sous-sols, sans prendre en compte la protection de l’environnement. Face à ce constat, le mouvement des droits de la nature vient nous rappeler qu’il nous faut respecter les lois fondées sur le fonctionnement du vivant, autrement plus vitales que les dogmes de la croissance si nous voulons que nos territoires restent habitables.

Comment est née l’idée de reconnaître la nature comme sujet de droit ?

L’Américain Christopher Stone est le premier juriste, en 1972, à avoir défendu cette idée et démontré faisabilité de celle-ci, dans le cadre d’une affaire opposant l’association de défense de l’environnement Sierra Club à Disney, qui voulait construire un parc de loisirs dans une vallée abritant de majestueux séquoias, la Mineral King Valley. Sierra Club a contesté la destruction des arbres, mais a été déboutée par la justice, qui a considéré que l’association n’était pas légitime, faute de défendre ses intérêts propres.

 

Face à cette lecture restrictive du droit à agir, qui rend impossible une action en justice au nom de la nature, Stone a proposé de donner une personnalité juridique aux entités naturelles, ouvrant ainsi de nouveaux champs de réflexion, juridiques, mais aussi psychosociaux et philosophiques. Il était convaincu qu’une évolution du droit pourrait avoir un impact sur la culture occidentale et corriger notre vision dominatrice de la nature.

Cinquante ans plus tard, comment ces droits de la nature sont-ils mis en œuvre ?

Deux modèles se développent, avec, d’un côté, la reconnaissance générale de droits à l’ensemble de la nature, et, de l’autre, une protection qui s’organise à l’échelle des écosystèmes. L’exemple le plus abouti est sans doute celui de l’Equateur où les citoyens se sont prononcés par référendum en faveur des droits de la Pachamama (la Terre Mère), dans le cadre de la Constitution adoptée en 2008. Les conséquences sont réelles, et de nombreuses jurisprudences s’y réfèrent depuis pour limiter des politiques industrielles. Récemment un juge a refusé de délivrer les permis pour l’implantation de deux mines dans un parc, au motif que l’activité minière n’est pas compatible avec les droits fondamentaux du parc et des espèces qui y habitent.

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