L’Allemagne contrainte de se réarmer

L’Allemagne contrainte de se réarmer

 

Pour cette nation reconstruite dans le refus de la guerre après 1945, les investissements massifs dans la défense et les livraisons d’armes à l’Ukraine marquent un tournant historique. Pourtant, les Allemands peinent à assumer ce nouveau rôle. (Par Thomas Wieder ( correspondant du Monde )

A cinq semaines d’intervalle, les députés allemands ont pris deux décisions que l’on peut, sans exagérer, qualifier d’historiques. La première remonte au 27 avril. Ce jour-là, le Bundestag a adopté une résolution autorisant Berlin à livrer des armes lourdes à l’Ukraine. A Berlin, un tel feu vert aurait été inimaginable il y a seulement quelques mois. « Le gouvernement allemand a, depuis des années, une ligne claire : pas de livraisons d’armes dans des régions en guerre et pas d’envoi d’armes létales en Ukraine », rappelait encore le chancelier Olaf Scholz, le 7 février, deux semaines et demie avant l’invasion russe, mais alors que des voix, en Allemagne, pressaient son gouvernement de fournir des armements à Kiev en prévision d’une attaque jugée de plus en plus vraisemblable.

La deuxième décision concerne la Bundeswehr. Le 3 juin, les députés allemands ont accepté de réviser la Loi fondamentale pour ajouter la phrase suivante à son paragraphe 87a, consacré aux forces armées : « Pour renforcer les capacités en matière de défense et de coopération interalliée, l’Etat fédéral est autorisé à créer un fonds spécial de 100 milliards d’euros. » Grâce à cette enveloppe exceptionnelle, proposée par Olaf Scholz le 27 février, trois jours après le début de la guerre en Ukraine, Berlin atteindra enfin l’objectif que l’OTAN a fixé à ses membres : consacrer 2 % de leur produit intérieur brut (PIB) à leurs dépenses militaires d’ici à 2024. Actuellement, l’Allemagne plafonne à 1,5 %.

Là aussi, il s’agit d’un revirement spectaculaire. Personne ne pouvait, en effet, imaginer que ce soit un chancelier social-démocrate (SPD) qui s’engage à franchir ce seuil des 2 %, alors que les dirigeants de son parti n’ont eu de cesse, ces dernières années, d’en contester le bien-fondé. A l’instar de Norbert Walter-Borjans, qui, le 6 décembre 2019, dans son discours d’investiture à la présidence du SPD, avait déclaré ceci : « Cet objectif de 2 % n’est pas le mien. Cela voudrait dire des milliards d’euros pour des chars et des hélicoptères plutôt que pour les écoles, les chemins de fer et les routes. (…) Oui à des équipements, non au réarmement ! » A l’époque, ces propos avaient créé de vives tensions au sein de la « grande coalition » d’Angela Merkel, le parti de l’ex-chancelière, la CDU, s’étant au contraire clairement prononcé en faveur des 2 %.

Livraisons d’armes à un pays en guerre, augmentation sans précédent des dépenses en matière de défense : majeures, ces deux décisions le sont d’autant plus qu’elles ont fait l’objet d’un large consensus politique. Au Bundestag, seuls les partis situés aux deux extrémités de l’hémicycle, Die Linke, à gauche, et l’AfD, à droite, s’y sont, en effet, opposés. Tous les autres, en revanche, ont décidé de voter pour, qu’il s’agisse du SPD, des Verts et des libéraux-démocrates (FDP), les trois membres de la majorité « feu tricolore » d’Olaf Scholz, ou des conservateurs de la CDU-CSU, dans l’opposition depuis le départ d’Angela Merkel du pouvoir, en décembre 2021.

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