Marchés : lâchés par les banques centrales ?
. Les marchés de taux et d’actions se retrouvent seuls, penauds, abandonnés par les Banques Centrales qui les portaient jusqu’alors à bout de bras. Sauve qui peut ? Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste dans la Tribune .
Les mots de Lamartine sonnent terriblement juste à l’oreille de l’investisseur : « un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ». L’être absent est la Banque Centrale qui a donc tiré le rideau. Elle a désormais d’autres chats à fouetter, lutter contre l’inflation par exemple. Depuis, les marchés sont hagards. Il faut dire que 40 ans de biberonnage monétaire, ça vous change un Homo economicus.
Il faut comprendre. Jadis, à l’impossible nul n’était tenu, sauf la Banque Centrale. Elle, qui sauva Willy en 2008 suite à la crise des Subprimes, puis en 2010 suite à la crise de la dette souveraine, et enfin en 2020 suite à la crise sanitaire. Le « Whatever it takes » de Mario Draghi, c’est elle qui a payé ; le « quoi qu’il en coûte » de Bruno Lemaire, c’est elle qui a payé. Sans l’intervention de la Banque Centrale, quelle aurait été la suite de l’Histoire ? On ne saura jamais évidemment, mais on a une petite idée.
Cette ère monétaire enchantée fut étiquetée politique ultra-accommodante, pour dire qu’elle n’était pas seulement très accommodante. On aurait pu dire méta – accommodante, méga – accommodante, mais ultra c’était pas mal. En fait non… Même ultra c’était trop léger. Il fallait dire que la politique monétaire était devenue incommensurablement accommodante, pour mieux signifier qu’il n’existait pas de superlatif adéquat. Tout ceci occasionna évidemment une insoutenable dépendance des marchés financiers. Et là est le hic.
Que se passe t’il lorsque vous retirez une béquille, un mur porteur, ou carrément le plancher des vaches ? La chute. Que voyons – nous aujourd’hui sur les marchés alors que la Banque Centrale se retire ? La Chute.
Qu’il s’agisse des marchés des emprunts d’Etats, du crédit, des actions, des marchés plus exotiques (Bitcoin, primes de risques alternatives… ), tous sont désormais à vendre. Certes, si on regarde de plus près, il est possible de déceler quelque cohérence de l’investisseur dans sa stratégie de « sauve qui peut ». Par exemple, on remarque que l’investisseur vend surtout des valeurs de croissance (Biotech notamment), plus vulnérables aux tensions sur les taux d’intérêt, mais il vend quand même les autres valeurs…
La Banque Centrale était – elle à ce point devenue essentielle à la bonne tenue des marchés ? Non, elle était devenue bien plus que cela. La Banque Centrale était la mamelle des marchés, et son label qualité, garantissant à l’investisseur culbutos de toujours revenir à l’équilibre en cas de mouvement intempestif. On pouvait fermer les yeux et mettre les pieds n’importe où, la Banque Centrale transformait la direction choisie en bonne direction. Le mot risque n’avait plus sa place dans le Larousse. Les mauvaises notes ne comptaient plus, tout le monde était reçu.
Et puis voilà. Le choc inflationniste a dévoilé le pot aux roses de l’affaire. Effectivement, lorsque tout monte, on finit par s’imaginait que tout doit monter, parce que c’est dans la nature des marchés de monter… Les hausses ont des œillères, elles ne voient pas ce qui pourrait les faire baisser. Mais si vous enlevez l’ultime sparadrap, celui qui cachait la plaie sans la soigner vraiment, alors vous réalisez le rôle exubérant qu’a pu joué la politique monétaire dans la hausse des marchés au cours des dernières années.
Aujourd’hui, « c’est fini », dit – on.
La Banque Centrale est peut être magicienne, mais pas contorsionniste. Elle peut sortir des billets de son chapeau, faire pousser de la dette à l’infini, transformer un projet non rentable en rente perpétuelle. Mais elle ne peut pas tenir d’une main l’inflation et de l’autre les marchés. Elle ne peut pas monter ses taux directeurs pour lutter contre l’inflation et les baisser en même temps pour sauver les marchés. La Banque Centrale est paradoxale, pas antinomique : elle fracasse les dogmes économiques, pas les lois de la logique
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