Bourse : Le retour aux fondamentaux
Retour à une forme classique d’évaluation des actifs financiers» par Benjamin Blondeau, directeur de la stratégie de Skaleet ( dans la Tribune)
Lors de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, les marchés financiers ont un peu vacillé puis se sont repris. Dès mars 2022, certains commentateurs ont appelé à la rescousse une citation apocryphe de Nathan Mayer Rothschild: « Achetez au son des canons, vendez au son des trompettes ». Il l’aurait prononcée pendant les guerres napoléoniennes. On ne l’a jamais prouvé, mais la légende veut que le fondateur de la branche londonienne de la famille Rothschild ait fait fortune en achetant à bon prix des actifs que d’autres vendaient en mode panique. Son secret ? Disposer avant tout le monde d’informations fiables fournies par un correspondant et transmises, après la bataille de Waterloo, par un pigeon voyageur…
Aujourd’hui, si les réseaux sociaux, Internet et les chaînes de télévision ont remplacé les pigeons du 19e siècle, la volatilité des bourses de valeurs est une constante familière. Cependant, depuis 40 ans, plusieurs investisseurs ont forgé la certitude qu’acheter dans les creux du marché est une bonne stratégie puisque le prix des actifs financiers semble rebondir à coup sûr. Qu’on s’en souvienne, l’année 1982 marque le début d’une formidable tendance de baisse des taux orchestrée par les banques centrales des pays industrialisés. Or, quand les taux à long terme baissent, le prix des actions a tendance à augmenter. Une étude de la Réserve Fédérale américaine de juillet 1997 avait démontré le lien semblant exister entre le taux des emprunts d’État américain à 10 ans et la valeur des actions, basée sur les profits estimés pour les douze prochains mois. Au vrai, cette méthode est la copie quasi conforme d’une méthode d’évaluation des actions utilisée en France dans les années 1980. Le multiple de capitalisation, c’est-à-dire le ratio entre le cours de bourse et le bénéfice par action estimé l’année suivante, était calculé en prenant l’inverse du taux moyen du marché obligataire. Un taux de 12% donnait un multiple de 8,3, un taux de 10% donnait un multiple de 10, un taux de 7% donnait un multiple de 14,3 et ainsi de suite. En poussant cette logique aujourd’hui, avec des taux à zéro, le prix des actions tend vers l’infini.
À partir de l’année 1999, les choses se sont emballées. La crainte d’un bug informatique massif a fait peur aux banquiers centraux qui ont « distribué » de la liquidité par des prises en pension massives d’emprunts d’État auprès des banques commerciales. Cette abondance de liquidité et quelques innovations financières mal maîtrisées, dont la titrisation et la structuration de créances hypothécaires de qualité médiocre (subprime) ont conduit à la crise financière de 2008-2009. La solution de cette catastrophe potentielle ? La recette de l’abondance de liquidité pardi, et en oubliant les pratiques orthodoxes. La crise du Covid-&ç onze ans plus tard ? Aux mêmes maux, les mêmes remèdes : la liquidité et les taux bas, toujours et encore.
En conséquence, le prix des actifs financiers s’est envolé, de même que le prix des actifs physiques facilement titrisables comme l’immobilier. Les gérants de fonds, un peu affolés par cette tendance, ont essayé de trouver les actions les plus à même à fournir une perspective de plus-values sur le long terme. Les valeurs technologiques, dont les spécialistes du Software as a Service (SaaS), c’est-à-dire de la vente d’abonnement, et du cloud, ont tiré leur épingle du jeu, surtout pendant la pandémie. Avec des taux quasi-nul à long terme, il était normal de parler de multiple de chiffre d’affaires à deux chiffres pour des sociétés dont la rentabilité était… différée. L’année boursière 2022 a démarré sur les chapeaux de roue. Et puis, le mouvement s’est grippé.
Une première alerte a eu lieu début 2021, avec les problèmes d’approvisionnement en puces électroniques des industries automobiles. On a alors découvert que la supply chain était un élément critique de nos économies mondialisées. Puis l’inflation, oubliée pendant trois décennies, s’est réveillée. Les taux d’intérêt sont remontés, provoquant une baisse de valeur des portefeuilles obligataires.
Les banques centrales veulent juguler l’inflation (hausse des taux courts) mais, en même temps, ne souhaitent pas mettre à mal leurs économies et leurs entreprises souvent très endettées. En Europe, la BCE cherche à préserver l’Italie. Tout cela est une recette efficace pour une poursuite de la volatilité, un ajustement à la baisse des valorisations et, sans doute, quelques mouvements de vente panique. Dans une telle situation, les meilleures actions, qui ont conservé une certaine altitude, serve de « banque » aux investisseurs, particuliers ou institutionnels : ils sont forcés de les vendre pour compenser les autres pertes du portefeuille. Imaginons une personne ayant perdu 80% de son patrimoine avec les cryptomonnaies. Elle sera peut-être ravie de pouvoir vendre les 20% restant de son patrimoine s’ils sont composés d’actions dites de « bon père de famille » (sans trop de volatilité, versant un dividende régulier, du type Air Liquide). Est-ce que cela peut durer ?
L’habitude des rebonds boursiers des années précédentes laisse envisager des jours meilleurs… à condition que la paix en Ukraine revienne, que les prix de l’énergie baissent et que la Chine et l’Asie du Sud Est puissent maintenir une bonne croissance avec un risque de crédit maitrisé.
Pour les actions, les stratèges des grandes banques d’affaires reconnaissent que le discernement actif, le « stock picking », est à privilégier. Cela suppose de pouvoir répondre à plusieurs questions : l’entreprise considérée est-elle affectée durablement par les évènements ? Peut-elle y répondre en ajustant son modèle économique ? Peut-elle protéger ses marges ? Peut-elle répondre efficacement à ses concurrents ?
Au vrai, il n’y a là rien de nouveau sous le soleil, mais, en période d’euphorie boursière, on a tendance à oublier les fondamentaux. Il est temps de se les rappeler et de les appliquer. C’est un peu le grand retour du multiple de capitalisation des profits.
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