Assemblée Nationale: mieux évaluer les lois

Assemblée Nationale:  mieux évaluer les lois

La future Assemblée nationale pourrait aboutir à un rééquilibrage des pouvoirs entre le parlement et le gouvernement et donner un rôle central aux parlementaires dans l’évaluation des lois. Par Benjamin Monnery, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières et Bertrand du Marais, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

La future Assemblée nationale pourrait aboutir à un rééquilibrage des pouvoirs entre le parlement et le gouvernement. Qu’il s’agisse des élus de l’opposition (qui siégeront en plus grand nombre) ou de ceux de la majorité (plus expérimentés qu’il y a cinq ans), nombreux sont les parlementaires qui pourraient vouloir se saisir pleinement de l’enjeu de l’évaluation des lois durant cette XVIe législature.

Jusqu’à présent, les tentatives parlementaires en matière d’évaluation, avant mise en œuvre de la loi ou dans les années suivantes, sont restées assez limitées, mais la composition de la nouvelle Assemblée pourrait rebattre les cartes et permettre des évolutions.

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, les parlementaires ont explicitement pour mission de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques (article 24 de la Constitution). Pour cela, une loi organique de 2009 oblige désormais le gouvernement à produire une étude d’impact accompagnant tous les projets de loi qu’il soumet au parlement. À chaque projet de réforme, les cabinets ministériels et les administrations centrales s’activent donc pour produire une étude d’impact en plus du projet de loi, sous la responsabilité du ministre porteur du projet.

Cette étude d’impact doit renseigner toute une série de critères pour chaque article du projet : l’objectif poursuivi, l’option politique retenue parmi les différents choix possibles, les implications juridiques de la réforme, mais aussi ses conséquences attendues en termes d’impacts économiques, budgétaires, sociaux ou encore environnementaux.

Ainsi l’étude d’impact sur la réforme des retraites début 2020 avait créé de nombreux remous.

Dans l’esprit du constituant, cette obligation d’étude d’impact devait permettre d’améliorer la qualité de la loi et d’atteindre une plus grande efficience des politiques publiques. Les études d’impact avaient aussi vocation à enclencher une cercle vertueux de l’évaluation des lois, où une première étude ex-ante servirait ensuite de base pour des contrôles in itinere (pendant la mise en œuvre de la réforme) puis pour une évaluation ex-post complète de la réforme. On pouvait aussi s’attendre à ce qu’elles élèvent le niveau du débat public.

Des études d’impact de qualité insuffisante

Malheureusement, près de quinze ans après l’introduction de ces études d’impact dans la Constitution, leurs objectifs ne sont pas atteints. Le Conseil économique, social et environnemental et le Conseil d’État ont réalisé des travaux récents sur le sujet. Le Conseil d’État émet un avis sur l’étude en même temps que sur le projet de loi avant le dépôt du texte ; la Cour des comptes a un rôle constitutionnel d’évaluation des politiques publiques. Ces deux organismes semblent partager le constat de la Cour des comptes selon lequel les études d’impact sont « hétérogènes dans leur contenu et globalement peu éclairantes ».

Pire, elles sont souvent vues comme un moyen pour le gouvernement de « justifier techniquement une décision politique déjà prise », selon un rapport sénatorial de 2018.

C’est ce constat que nous avons voulu étayer dans le cadre d’un travail académique) qui évalue, sur la période 2017-2020, une trentaine d’études d’impact produites sous le gouvernement Philippe (soit environ la moitié de la production législative sur la période).

Aidés par nos étudiants de Master sur plusieurs années successives, nous avons établi un barème de notation de chaque étude d’impact, article par article, sur l’ensemble des 18 critères d’évaluation indiqués dans la loi organique. Ces critères sont ensuite notés entre 0 et 20/20 et regroupés en trois grandes catégories : les aspects politiques de la loi (score politique), ses implications juridiques (score juridique), et ses conséquences en matière économique, sociale ou encore environnementale (score d’impact).

 

Les résultats, publiés dans la Revue d’Économie politique et synthétisés dans les graphiques ci-dessus, montrent que la plupart des études d’impact que nous avons auditées sont satisfaisantes sur les aspects politiques (note médiane de 13/20), passables sur les aspects juridiques (8/20), et très insuffisantes sur les impacts (5/20).

En clair, les études d’impact produites par le gouvernement sont souvent trop rapides et imprécises sur les impacts que l’on peut anticiper de la réforme pour les différents acteurs touchés, les comptes publics ou l’environnement, que ces impacts soient directs ou indirects. Ce fut par exemple le cas avec la réforme Dupond-Moretti sur les réductions de peine.

Notre étude montre aussi que les parlementaires, à l’Assemblée comme au Sénat, mobilisent très peu les études d’impact dans leurs travaux. En moyenne mensuelle, les études d’impact ne sont citées que dans une intervention orale sur 270 et dans moins de 2 % des amendements déposés.

Sur la XVe législature, ce sont d’ailleurs surtout les députés de l’opposition de gauche qui mentionnaient les études d’impact alors qu’ils représentaient à peine plus de 10 % des sièges à l’Assemblée, ils cumulaient plus de 40 % des mentions aux études d’impact entre 2017 et 2020. À l’inverse, les élus de la majorité avaient une forte tendance à les ignorer.

Ce relatif désintérêt est-il la cause de la qualité médiocre des études d’impact, ou sa conséquence ? Probablement les deux. En effet, notre étude montre que lorsque les études d’impact sont mieux documentées, elles sont ensuite plus mobilisées par les parlementaires dans leurs travaux. En parallèle, le gouvernement tend à fournir plus d’efforts sur l’étude quand celle-ci concerne un projet politiquement plus sensible comme la loi bioéthique, par exemple.

Une étude d’impact très documentée peut lui permettre de se prémunir contre des critiques et de fournir des éléments utiles à la défense du projet par le ministre, le rapporteur du texte ou les élus de la majorité.

Depuis son introduction, le dispositif des études d’impact semble donc bloqué dans un cercle vicieux : souvent préparées dans l’urgence et de faible qualité, les études sont peu mobilisées par les parlementaires, ce qui n’incite pas le gouvernement à changer d’attitude. De plus, les contrôles institutionnels de ces études d’impact, par le Conseil Constitutionnel ou le Conseil d’État, sont limités, voire inefficaces. Dans ce contexte, la recomposition en cours de l’Assemblée nationale lors de ces élections législatives pourrait permettre des évolutions positives en termes d’évaluation des lois.

D’abord, une perte de majorité absolue pour la coalition « Ensemble » se traduirait par un changement des équilibres politiques à la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale. Celle-ci pourrait alors refuser d’examiner un texte dont l’étude d’impact serait insatisfaisante, une arme très dissuasive qui n’a été utilisée qu’une seule fois, au Sénat en 2014 concernant le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Ensuite, au moment de l’examen d’un projet de loi en commission, l’absence d’hégémonie d’un groupe parlementaire sur les autres l’obligerait à rassembler des coalitions sur chaque texte, en s’appuyant pour partie sur des éléments de l’étude d’impact, qui retrouverait de son intérêt. Les oppositions pourraient également imposer des débats portant spécifiquement sur l’étude d’impact, qui serait plus exposée à la critique politique et médiatique.

Dans ce domaine, un Parlement équilibré aurait tout intérêt à beaucoup plus s’appuyer sur les capacités de contre-expertise venues de la société civile et des chercheurs, pour évaluer la crédibilité des impacts annoncés par l’exécutif et discuter d’effets indésirables que l’étude d’impact passe sous silence.

Une autre bonne pratique pour cette XVIe législature pourrait également consister à demander au ministère porteur d’une réforme de s’engager sur des objectifs chiffrés et des indicateurs pertinents pour évaluer les effets au cours du temps, et financer systématiquement une évaluation scientifique indépendante des réformes.

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Par Benjamin Monnery, Maître de conférences en économie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières et Bertrand du Marais, Chargé d’enseignement de droit, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Nous tenons à remercier nos étudiants de Master 2 à l’Université Paris Nanterre (« Préparation aux concours de la fonction publique » et « Droit de l’économie ») qui, au fil des années, ont permis de collecter des données de qualité sur les différentes études d’impact du Gouvernement.

L’étude complète est à retrouver auprès de la Revue d’Économie politique.

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