Risques écologiques : un déni de réalité
Les historiens Renaud Bécot et Thomas Le Roux montrent, dans une tribune au « Monde », que la législation environnementale n’a toujours pas pris la mesure de l’accroissement des risques.
Après l’incendie de l’usine Lubrizol, à Rouen, le 26 septembre 2019, le premier ministre, Edouard Philippe, a parlé d’odeurs « dérangeantes, pénibles mais pas nocives », tandis qu’Elisabeth Borne, alors ministre du travail, affirmait qu’il n’y avait « pas de polluants anormaux ». Quelques lectures historiques leur auraient permis de savoir que la notion de « nuisance incommode, mais pas insalubre » est un leitmotiv rhétorique construit à partir des années 1800 pour légitimer la vie industrielle et le sacrifice de la santé environnementale.
Par sa gravité, l’incendie de Lubrizol a médiatisé l’existence du millier d’accidents qui ont lieu chaque année dans les usines situées en France métropolitaine, alors que les rapports de l’Organisation mondiale de la santé alertent depuis longtemps sur les effets néfastes de la pollution sur la santé publique. Pourtant, le milieu politique continue de s’en remettre aux promesses du futur et à des horizons techniques hypothétiques. L’acceptabilité des pollutions, devenues « normales », est en réalité une invention du monde contemporain, qui ne va pas de soi sur le temps long.
Depuis 1810 et le décret napoléonien sur les établissements industriels insalubres et dangereux, première législation du monde sur les pollutions, la régulation publique est conçue pour protéger les industriels, sécuriser leur capital productif et leur éviter des poursuites pénales en les mettant sous la surveillance d’une administration bienveillante. Il s’agissait de les libérer de l’ancienne « police des nuisances », soucieuse de santé publique, qui était très coercitive avant les années 1800.
Même après les réformes de 1917 et 1976, et la transposition des directives européennes Seveso, lois et règlements font primer la protection des intérêts industriels (moyennant des enquêtes préventives nécessaires aux autorisations de fonctionnement) en créant, contre compensation financière, un droit à polluer, et en misant sur l’amélioration technique pour résoudre les maux constatés.
De ce fait, les réponses institutionnelles au risque industriel sont restées principalement techniques. Certes, les rapports parlementaires post-Lubrizol de 2020 ont montré la faiblesse de l’inspection face à des rythmes industriels mettant l’action publique au pied du mur, et l’accroissement des risques industriels au gré de la précarisation des formes d’emploi et de l’extension des chaînes de sous-traitance dans les sites pétrochimiques. En préconisant par ailleurs la nécessité d’organiser un suivi sanitaire des populations des territoires industriels, ils proposaient une démarche inédite dans la régulation des nuisances.
0 Réponses à “Risques écologiques : un déni de réalité”