Environnement : pas de transition pacifique ?
Dans une tribune au « Monde », les historiens François Jarrige et Charles-François Mathis voient les changements de système énergétique non pas comme des processus linéaires et naturels, mais comme le résultat de rapports de force.
Envolée des prix de l’essence, tensions sur l’approvisionnement en gaz, précarité énergétique croissante, réchauffement climatique… Au moment où la sortie des combustibles fossiles s’impose comme remède à ces maux, l’histoire nous rappelle comment se sont installées nos dépendances énergétiques et pourquoi la réponse ne saurait être seulement technique, en confiant aux ingénieurs la fameuse « transition ».
Toute société possède un système énergétique qui modèle son écologie comme ses structures sociales, par lequel elle transforme des sources primaires (rayonnement solaire, bois, eau, charbon, etc.) en énergie utile (force musculaire, chaleur, mouvement mécanique, électricité, etc.) et/ou appropriable (manèges de chevaux, roues hydrauliques, machines à vapeur ou à explosion, cellules photovoltaïques).
L’adoption et l’évolution de ces systèmes énergétiques ne se sont pas faites via de pacifiques transitions, mais à travers de vifs débats et tensions, aboutissant aujourd’hui à l’accroissement incessant de toutes les consommations : nous n’avons jamais autant consommé de bois, de charbon, de pétrole et de ressources dites renouvelables. Si les systèmes énergétiques furent d’abord étudiés de façon linéaire comme le résultat des progrès de l’inventivité humaine, la question énergétique est aujourd’hui pensée comme le fruit des rapports sociaux, des imaginaires et des choix politiques de chaque société.
Les travaux d’histoire environnementale rappellent d’abord combien nos sociétés sont extraordinairement énergivores, sans commune mesure avec celles qui les ont précédées : entre 1820 et 2000, la consommation mondiale d’énergie aurait été multipliée au moins par 25 (World Energy Consumption. A Database, Paolo Malanima, 2022). Et encore est-ce une moyenne qui cache d’énormes disparités : en 2015, un Nord-Américain consommait 282 gigajoules par an contre 4,5 pour un habitant du Malawi. Les sociétés contemporaines se sont largement appuyées sur cette capacité à mobiliser de l’énergie en très grande quantité pour façonner leur environnement et accroître leur puissance.
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