Défense européenne : l’impuissance
L’Europe n’est pas une grande puissance militaire, mais ses instruments financiers lui permettent de peser sur le champ de bataille. Elle doit néanmoins lancer au plus vite un véritable programme d’investissement dans la défense, estime le chercheur Pierre Haroche dans une tribune au « Monde ».
« L’Europe est un géant économique, un nain politique et un ver de terre militaire », observait, il y a plus de trente ans, Mark Eyskens, ancien ministre belge des affaires étrangères. Cependant, la guerre en Ukraine nous rappelle que la frontière entre puissance économique et puissance militaire est extrêmement poreuse. Non seulement les sanctions économiques et financières adoptées depuis février relèvent des compétences de l’Union, mais c’est aussi sa force de frappe budgétaire qui permet à la Commission européenne de proposer un plan de 210 milliards d’euros afin de réduire la dépendance européenne aux énergies fossiles russes. Et sur le terrain des livraisons d’armes, c’est un instrument récent, la Facilité européenne pour la paix, qui a permis à Bruxelles de subventionner le soutien militaire à l’Ukraine à hauteur de 2 milliards d’euros.
Autrement dit, si l’Europe n’est pas une grande puissance militaire, ses instruments financiers lui permettent de peser sur le champ de bataille.
Le 18 mai, la Commission européenne a proposé de franchir un pas supplémentaire : utiliser le budget européen pour subventionner le réarmement des Etats membres et favoriser les achats en commun. En réponse à l’agression russe, de nombreux Etats membres ont en effet décidé d’augmenter leurs dépenses de défense. En proposant de faciliter et de subventionner les projets d’achat de mêmes capacités militaires par plusieurs Etats membres, la Commission cherche à renforcer la coopération entre armées nationales et à créer des économies d’échelle.
L’expérience montre que l’achat du même matériel favorise souvent, en aval, la coopération en matière de formation, d’entraînement, de doctrine, et d’entretien. In fine, des armées disposant des mêmes équipements se coordonnent beaucoup plus facilement en opération. Financer des acquisitions conjointes, c’est enclencher une spirale vertueuse, une forme d’intégration militaire, non par le haut – les structures de commandement – mais par le bas – le matériel et la pratique.
L’objectif est aussi d’éviter la concurrence entre armées européennes. Comme l’acquisition conjointe des vaccins contre le Covid-19, celle de matériel militaire protégerait particulièrement les « petits » pays, qui risqueraient, sinon, de voir leurs commandes passer après celles des « gros » acheteurs.
L’objectif est enfin de promouvoir l’autonomie stratégique européenne en favorisant l’achat d’armes fabriquées en Europe plutôt qu’importées des Etats-Unis. Il s’agit ainsi de faire bénéficier l’économie européenne des emplois que peut générer cet effort de réarmement, mais aussi de ne pas être trop dépendant de puissances extérieures. Le casse-tête que pose actuellement la dépendance énergétique de l’Europe à l’égard de la Russie nous y incite. Même si, contrairement à la Russie, les Etats-Unis sont des alliés, la présidence Trump a montré que cet allié n’était pas forcément toujours aligné sur les intérêts européens.
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