Législatives 2022 : leçons du scrutin
Marqué par un nouveau record d’abstention, le premier tour des élections législatives est un indéniable revers pour Emmanuel Macron, dont le score est inférieur à celui de sa réélection et dont l’assise électorale se retrouve, pour l’heure, plus étroite que celle de tous ses prédécesseurs, analyse le directeur du « Monde », Jérôme Fenoglio.
Une seule majorité aura émergé du premier tour des élections législatives, dimanche 12 juin. Celle, très nette, des non-votants. Pour la seconde fois de l’histoire de la Ve République, le nombre des abstentionnistes y excède la moitié du corps électoral : 52,48 % pour ce nouveau record établi après les 51,30 % de 2017.
A ce désastre démocratique, plusieurs causes ont été identifiées depuis longtemps. Il suffit de suivre l’effondrement de la courbe de participation depuis la mise en place du quinquennat, il y a vingt ans, pour s’assurer qu’avec cette réforme la présidentialisation de notre régime pèse d’un poids encore accru, qui dévitalise le scrutin parlementaire. Plus récemment, la crise de la représentation a encore accentué le trouble sur la figure du député, dont la place intermédiaire, entre enracinement local et rôle national, paraît de moins en moins comprise.
A l’étude de ces facteurs de longue durée, les politologues pourront ajouter celle du phénomène très particulier qui vient de se produire, au cours des semaines qui ont suivi la réélection d’Emmanuel Macron. Le président, et les responsables de son camp, ont eux-mêmes choisi de s’abstenir… d’argumenter, de clarifier, de débattre, bref, de jouer un rôle central d’animateurs de cette campagne électorale. Peut-être par confiance excessive dans l’ordre des choses : jusqu’à présent, les législatives ont accordé une prime aux vainqueurs de la présidentielle, et rien à ses perdants. Sans doute aussi par calcul, une faible participation ne constituant pas forcément une mauvaise nouvelle pour une formation politique qui peut compter sur des électeurs plus aisés, plus diplômés, plus âgés, toutes catégories plus enclines à se déplacer pour voter.
Cette tactique s’est retournée contre ses promoteurs, frappés, au soir du premier tour, par la démobilisation de leur camp. C’est un indéniable revers pour Emmanuel Macron, dont le score est inférieur à celui de sa réélection, et dont l’assise électorale se retrouve, pour l’heure, plus étroite que celle de tous ses prédécesseurs. C’est une victoire provisoire pour la coalition qui s’est formée autour de Jean-Luc Mélenchon, qui a réussi à créer la dynamique inverse : puiser dans son élimination au premier tour de la présidentielle un élan pour ces législatives. L’union des partis de gauche autour de sa personne ne leur vaut pas un score supérieur à l’addition de leurs voix obtenues en 2017. Mais leur unité a fait sauter le verrou du scrutin majoritaire, en leur ouvrant les portes de près de 400 seconds tours dimanche prochain.
En l’état des projections de vote, il est très peu probable que l’issue de ces duels offre à M. Mélenchon le poste de premier ministre de cohabitation qu’il revendique depuis huit semaines. Sa coalition, qui devrait constituer une puissante force d’opposition, n’en menace pas moins de contraindre la taille de la majorité présidentielle. Comme si l’avantage donné par la position centrale du « en même temps » commençait par être érodé par une résurgence inattendue du clivage droite-gauche. Attaqué sur sa gauche, le parti présidentiel pourrait se retrouver fort dépendant de sa droite. Au sein même de sa coalition Ensemble !, si une majorité absolue étroite plaçait les formations d’Edouard Philippe et de François Bayrou en position de force. Voire vis-à-vis du groupe que formeront les députés LR, en passe de sauver nombre de leurs sièges, si la majorité ne devait être que relative.
Ces mouvements souterrains n’ont pas pour autant fissuré le troisième bloc de la présidentielle. Avec le record d’abstention, c’est l’autre source d’inquiétude de ce scrutin : le Rassemblement national de Marine Le Pen progresse significativement par rapport à son score de 2017. En dépit de sa campagne nonchalante, la candidate d’extrême droite ne voit pas, pour la première fois, sa formation retomber lourdement. Et la présence de 208 de ses candidats au second tour impose une clarté dont a malheureusement manqué le parti présidentiel, dimanche soir, en laissant entendre qu’il ne donnerait pas de consigne de vote nationale contre le RN, à rebours de la position prise par certains de ses membres. Lundi matin, il semblait évoluer sans pour autant appeler clairement au front républicain.
Entre partis républicains, la mobilisation contre l’extrême droite ne saurait être invoquée au gré des circonstances. Le parti de M. Macron ne peut appeler à lui faire barrage pour accéder ou se maintenir au pouvoir, puis ne pas s’appliquer à lui-même cet impératif, sauf à renier son identité et les valeurs qu’il prétend siennes. Dans le paysage mouvant de cet entre-deux-tours, cette clarification, et ce rejet sans ambiguïté de tout cynisme électoraliste, s’imposent sans délai.
0 Réponses à “Législatives 2022 : leçons du scrutin”