L’ inflation vient aussi du tape-à-l’œil

L’ inflation vient aussi  du tape-à-l’œil

Ce qui se passe avec les cryptos ou les NFT vaut pour la consommation en général : des produits complètement inutiles qui ne provoquent que de fausses satisfactions estime un papier de l’Opinion

La grande différence avec les années 1970 est qu’il n’y a pas aujourd’hui une inflation mais deux. La première est la hausse des prix traditionnelle. Les entreprises font grimper les étiquettes pour rattraper leurs coûts qui augmentent. L’énergie en est la cause première, comme il y a un demi-siècle, et d’une façon générale les matières premières. Il est une autre cause aujourd’hui à cette traditionnelle inflation : l’excès de monnaie qui provient des politiques « accommodantes » des banques centrales depuis la crise Internet de 2000. L’argent trop abondant a provoqué des bulles, dans la Bourse ou l’immobilier par exemple, et a poussé les investisseurs dans des projets parfaitement inutiles comme les cryptomonnaies.

Le risque de cette hausse des prix est, lui aussi, traditionnel : les salariés réclament des compensations de rémunération qui font encore monter les coûts, ce qui déclenche la fameuse « spirale », qui est à proprement parler « l’inflation ». Les manières de s’y opposer sont, elles aussi, éprouvées : une hausse des taux d’intérêt pour étouffer le feu, une politique budgétaire « restrictive » et le maintien d’un « retard » des salaires, ce qui a pour effet de faire payer la crise aux salariés et aux retraités.

Mais nous vivons une autre inflation, inédite : les produits plus chers. Normalement, les économistes évaluent à 2% l’an l’amélioration des biens et des services, le progrès technique si l’on veut. D’où la non moins fameuse norme des banques centrales – viser une inflation de 2%. Mais ce qui se passe en ce moment est un bouleversement bien supérieur, provoqué par plusieurs causes : l’écologie, la modification de la concurrence et ce qu’on peut nommer la société du tape-à-l’œil.

Il faut inventer un mélange inédit de technologie et de marketing de la sobriété. Quand on parle de réindustrialisation, c’est de cela qu’il devrait s’agir. La France pourrait devenir le pays qui refait du simple, utile et beau

L’écologie, tout monde l’a vu. Une pomme bio coûte nettement plus cher puisque l’éleveur renonce à des traitements chimiques qui avaient élevé ses rendements. L’agriculture « durable » prétend lutter contre le « productivisme » mais tant qu’elle n’a pas trouvé comment remonter sa productivité, elle sera nettement plus chère. La voiture électrique est 50% plus coûteuse qu’une voiture à essence, affirme Carlos Tavares, patron de Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat, Chrysler…). On ajoutera que les constructeurs se sont engagés simultanément dans un autre renchérissement des voitures, avec le digital. Ils veulent vendre des salons vidéo sur roues, bourrés d’écrans, qui se conduisent plus ou moins tout seuls.

L’électrique et l’autonomie sont les deux moteurs qui font partir les prix comme des fusées. On observe la même évolution avec les produits électroniques comme les téléphones : ils devraient baisser de prix au fur et à mesure que les puces deviennent plus puissantes (loi de Moore) mais c’est le contraire qui se passe. Pour augmenter les tarifs, les fabricants les complexifient à loisir afin de nous donner plusieurs caméras et des millions de possibilités dont l’utilisateur normal ne maîtrise qu’un centième, non sans s’en agacer.

La deuxième cause est la concurrence qui a disparu ou s’est affaiblie dans beaucoup de secteurs, selon les économistes comme Thomas Philippon. Les grands groupes qui tiennent serrés leurs marchés sont des « price makers » inflationnistes. Mais pas seulement. La mondialisation a poussé tous les producteurs des pays développés confrontés aux pays à bas coûts de main-d’œuvre vers le haut de gamme où les marges sont considérablement meilleures. C’est ce qui explique que les voitures, les réfrigérateurs, les téléviseurs et même les poêles deviennent de plus en plus complexes.

La troisième est la place qu’occupe le clinquant dans nos sociétés et nos publicités. En 1970, la ménagère de moins de 50 ans était la cible, la classe moyenne accédait à la société de consommation. Aujourd’hui, c’est fait. Il faut l’attirer vers le plus et le plus cher, la publicité vante les stars du foot et du rap, et des influenceuses font mousser le luxe tapageur de Dubaï. Ce qui se passe avec les cryptos ou les NFT vaut pour la consommation en général : des produits complètement inutiles qui ne provoquent que de fausses satisfactions.

Comment lutter contre cette inflation-là ? C’est plus difficile que de relever les taux d’intérêt. Il faut inventer un mélange inédit de technologie et de marketing de la sobriété. Quand on parle de réindustrialisation, c’est de cela qu’il devrait s’agir. La France pourrait devenir le pays qui refait du simple, utile et beau, selon le modèle du britannique Terence Conran, fondateur d’Habitat.

Un service humain personnalisé constituera le véritable haut de gamme de demain. Avoir quelqu’un de disponible et compétent au bout de la ligne pour soi-même réparer ses outils donnera le luxe de la liberté. L’anti-tape-à-l’œil et l’anti-sourde oreille du call center sont l’avenir du marketing

Simple : Henry Ford a fait passer le prix d’une voiture de 27 000 dollars à 5 000 avec la Ford T, devenue accessible à ses propres ouvriers. Le chemin inverse de celui des constructeurs d’aujourd’hui. La technologie devrait faire demi-tour et redécouvrir le goût du pas cher et du véritablement utile. Simple : on devrait redonner aux utilisateurs du réparable les plaisirs du Solex. Simple : on devrait cesser de tout confier aux machines, son chemin au GPS, ses vacances à des algorithmes.

Il n’y a pas que l’automobile concernée. L’habitat, le principal facteur de perte de pouvoir d’achat des populations, l’est aussi. Se loger coûte cinq à dix fois plus cher du fait de la spéculation mais aussi de la complexification des normes. Le bâtiment a besoin d’une révolution du simple et beau. Le ciment émet du CO2, il faut industrialiser les nouvelles maisons en bois préfabriquées en usines. L’Etat devrait inverser sa logique « écologique » du plus compliqué et plus cher, pour promouvoir un urbanisme utile et beau et lui-même se simplifier, comme le demande si justement Gaspard Koenig. Si l’on produit des voitures propres et des maisons vertes, pas chères, les gens seront contents.

Ces gens y sont-ils prêts ? Sûrement, si l’on casse la logique du toujours plus cher pour accompagner les produits simples par un service humain personnalisé, qui constituera le véritable haut de gamme de demain. Inversion du regard sur la consommation : avoir quelqu’un de disponible et compétent au bout de la ligne pour soi-même réparer ses outils donnera le luxe de la liberté. L’anti-tape-à-l’œil et l’anti-sourde oreille du call center sont l’avenir du marketing.

Redonner du pouvoir d’achat en luttant contre l’inflation des produits inutiles et retrouver le pouvoir du bon achat : la politique économique des années qui viennent ne consistera pas à imposer de l’austérité traditionnelle mais devra construire la sobriété technique et sensée. Et cette désinflation-là sera salutaire pour les salariés.

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