Législatives 2022 : Un Parlement sans majorité souhaitable ?
La perspective d’une Assemblée nationale dépourvue de majorité « n’est plus de l’ordre de la politique-fiction », explique dans une tribune au « Monde » le polytechnicien et chercheur François Hublet. Pour lui, la nécessité de former des coalitions postélectorales ou de compromis ne peut que renforcer le jeu démocratique.
Une vision évidemment très optimiste car il n’y a guère de points communs idéologiques entre les trois blocs, le bloc néolibéral, le bloc nationaliste et le bloc communiste. Le plus vraisemblable en cas de faiblesse de la majorité c’est qu’on parvienne à un Parlement ingérable. Compte tenu par ailleurs de la crise très grave qui s’annonce sur le plan économique, du climat et de ressources alimentaires, on peut d’ores et déjà faire l’hypothèse que ce gouvernement- comme même l’assemblée nationale- ne pourra pas tenir 5 ans . NDLR
Le scénario a longtemps été ignoré des analystes. Trop invraisemblable, trop insolite, trop hypothétique dans un système politique français si longtemps coutumier de la bipolarisation. Et pourtant. Après la publication, ces derniers jours, d’une série de sondages rendant cette issue plausible, la perspective d’une Assemblée nationale dépourvue de majorité n’est plus de l’ordre de la politique-fiction.
La situation, très rare dans l’histoire de la Ve République, mérite qu’on s’y arrête. Les élections législatives des 12 et 19 juin pourraient ne déboucher ni sur une majorité du parti présidentiel ni sur une cohabitation, mais sur un Parlement divisé en quatre blocs dont aucun ne disposerait à lui seul de la majorité des sièges. Ainsi, alors que la majorité s’élève à 289 sièges, une enquête publiée le 1er juin [sondage Elabe pour BFM-TV, L’Express et SFR] permet d’envisager un scénario dans lequel l’alliance présidentielle Ensemble ! obtiendrait 275 élus, contre 180 au mieux pour la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) et environ une centaine au total pour la droite et l’extrême droite.
Il va de soi que le Parlement acquerrait, dans ce contexte, un rôle bien plus considérable que lors des législatures passées, y compris celles marquées par une cohabitation. A défaut d’accords politiques structurés, un gouvernement d’une seule force politique s’exposerait à tout instant à la motion de censure d’une opposition supérieure par le nombre. Toute réforme visant à supprimer cette instabilité échouerait probablement pour la même raison. Une dissolution serait hasardeuse, car potentiellement nuisible au parti présidentiel – l’exemple chiraquien le prouve – ou susceptible de reproduire le statu quo. La promesse du chaos ?
En réalité, les Parlements sans majorité « naturelle » sont la norme dans les démocraties européennes. Dans l’Union européenne (UE), seuls six Etats sur vingt-sept (la France, la Grèce, la Hongrie, Malte, la Pologne et le Portugal) voient une unique alliance électorale disposer, à elle seule, d’une majorité parlementaire. Les vingt et un autres Etats membres connaissent des gouvernements de coalition formés sur la base d’accords postélectoraux, voire, pour sept d’entre eux, des gouvernements minoritaires. Dans ce dernier cas, le gouvernement s’appuie sur la tolérance d’une partie de l’opposition parlementaire et noue des alliances ad hoc pour chacun de ses projets de réforme.
Or, une telle concertation interpartisane apparaît plus que jamais nécessaire. Alors que le président français, même largement réélu au second tour, ne dispose pas d’une majorité dans l’opinion pour mener ses réformes – 64 % des personnes interrogées se disaient, à la suite de sa réélection, opposées à la réforme des retraites [sondage Elabe publié le 27 avril], et seules 35 % souhaitent qu’Emmanuel Macron obtienne une majorité parlementaire [sondage BVA du 3 juin] –, la société ne donne carte blanche à aucune force politique. En conséquence, faute d’imposer des compromis, le fait majoritaire peine à produire des décisions disposant d’une base solide dans la population. En plaçant les gouvernants face à la nécessité de la négociation, l’élection d’un Parlement sans majorité viendrait briser cette logique, sans nécessiter pour cela une révision de la Constitution ou du système électoral.
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