L’illusion d’une transition énergétique rapide
Les auteurs du dernier rapport du GIEC cèdent à la tentation de croire que les énergies « vertes » peuvent se substituer rapidement à leurs homologues fossiles, estime Jean-Baptiste Fressoz dans sa chronique au « Monde ».
Combien de temps pourrait prendre la transition énergétique tant désirée ? Dans le rapport d’avril du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), cette question est omniprésente. Au détour d’un paragraphe du chapitre 2, les historiens de l’énergie et les sociologues de l’innovation sont mobilisés pour tenter d’y répondre.
Ces sociologues, parfois eux-mêmes contributeurs du GIEC, se fondent sur quelques cas historiques pour livrer un message optimiste. « Les transitions énergétiques peuvent avoir lieu plus rapidement que par le passé », peut-on lire. Pour preuve quelques exemples bien choisis : la diffusion rapide des ampoules basse consommation en Suède, des voitures électriques en Norvège et en Chine ou encore le programme nucléaire français des années 1980. Leur optimisme se fonde sur un modèle omniprésent en prospective : la « courbe en S », ou courbe de diffusion logistique. L’innovation se propagerait d’abord lentement, s’améliorerait peu à peu à l’abri de conditions favorables, avant que, devenue compétitive, elle se propage soudainement dans le vaste monde, jusqu’à éliminer ses concurrents.
Cette vision darwinienne, concurrentielle et « substitutioniste » des technologies est très populaire dans les business schools – elle a d’ailleurs fort à voir avec la fameuse « innovation disruptive » de Clayton Christensen (1952-2020), expliquée dans The Innovator’s Dilemma (Le Dilemme de l’innovateur, Valor, 2021). Elle est aussi très attrayante dans le contexte climatique actuel : face à la prodigieuse lenteur de la transition (en 2020, les fossiles occupaient toujours 80 % du mix énergétique, soit autant qu’il ya trente ans), la courbe en S nourrit l’espoir d’un basculement possible et soudain vers les renouvelables. Inutile, donc, de se morfondre devant la stabilité des moyennes globales, car celles-ci masqueraient le redressement à venir de la courbe de diffusion des énergies décarbonées.
On comprend pourquoi ces travaux ont acquis un poids scientifique considérable, alors même que ses fondements historiques sont faux. Le problème est qu’ils appliquent à l’énergie un modèle logistique de substitution. Déjà problématique dans le cas des techniques – l’aspirateur n’a pas fait disparaître le balai, le béton n’a pas envoyé les briques aux oubliettes, etc. –, son application est franchement critiquable dans le cas des énergies. En effet, ces dernières entrent autant en compétition qu’en symbiose ; leur histoire est autant celle de substitutions que de synergies.
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