Les Chinois prisonniers du Covid
Le bilan du grand enfermement de Shanghaï et les conséquences des politiques zéro Covid menées dans les villes chinoises sont beaucoup plus dramatiques que ce que les autorités du pays veulent admettre, raconte Frédéric Lemaître, correspondant du « Monde » en Chine.
Est-ce un hasard ? A peine élue en février « ville la plus intelligente du monde » (« smart cities ») par le cabinet britannique Juniper Research, Shanghaï est également devenue durant deux mois la plus grande prison du monde. Vingt-cinq millions de personnes étaient strictement confinées chez elles entre soixante et près de quatre-vingt-dix jours, selon les quartiers.
Il est trop tôt pour dresser le bilan de ce grand enfermement, sans doute sans précédent. Mais entre les milliers de malades qui n’ont pas eu accès aux centres de soins, les personnes qui se sont défenestrées, celles qui sont devenues folles ou qui ont perdu leur emploi, les milliers de migrants qui se sont retrouvés piégés dans cette ville ne sachant parfois pas où dormir, ce bilan est bien plus dramatique que les autorités ne l’affirment.
Pourtant, pendant des mois, la « ville la plus intelligente du monde » s’était targuée de gérer plus finement le zéro Covid que le reste du pays. Au moindre cas positif de Covid-19 repéré, on fermait immédiatement le centre commercial (avec, parfois, des clients à l’intérieur), ou on bouclait la résidence, et le tour était joué.
Cette illusion d’une gestion « dynamique » du zéro Covid, rendue possible par l’omniprésence de caméras thermiques et le contrôle des déplacements de chaque individu, a piteusement échoué. Fin mars, pour empêcher le virus de circuler, les autorités de Shanghaï ont été réduites à la plus antique des solutions : obliger la population à rester chez elle en mettant de bons vieux cadenas aux portes des résidences. Et accessoirement en faisant appel à des milliers de policiers.
Evidemment, les responsables de Shanghaï voient le problème autrement. Si le virus a pu circuler, c’est qu’ils ne possédaient pas encore suffisamment d’informations sur la population. Ainsi, le 24 mai, la municipalité a adopté un règlement qui ordonne à toutes les administrations chargées de la police, de la surveillance des commerces, de la gestion des immeubles, de l’état civil, de la santé et de la protection sociale, de centraliser leurs données afin de rendre encore plus efficace le « gouvernement digital ».
Prison et amendes
Le cas n’est pas isolé. Pour tenter d’échapper à l’épidémie, les smart cities chinoises passent de l’utopie à la dystopie. Puisque la politique zéro Covid repose sur un dépistage précoce des cas positifs, celui-ci devient quasi-quotidien et obligatoire. Siping (3,3 millions d’habitants dans le nord-est du pays) impose dix jours de prison, 70 euros d’amende et un crédit social dégradé aux récalcitrants. Le cas n’est pas isolé.
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