Ukraine : la paranoïa de Poutine
Dans un essai aussi bref que dense, le géographe et diplomate Michel Foucher analyse les racines et les enjeux de l’actuelle guerre qui ravage l’Ukraine. ( dans le Monde)
Livre.
La géographie, c’est aussi dans la tête. A la différence d’Etats nations héritiers de vieux royaumes comme la France, la Russie fut et reste un empire multiethnique dont les frontières n’ont pas cessé de bouger et qui ne sait pas vraiment qui elle est. « Le jour où nous conviendrons dans le calme où termine l’Union européenne et où commence la Fédération de Russie, la moitié de la tension entre les deux disparaîtra », relevait, en 2005, Vaclav Havel, l’ex-dissident tchèque devenu ensuite président. Mise en exergue du très percutant essai de Michel Foucher, cette citation pourrait en être le fil conducteur.
« L’Ukraine est le théâtre de la revanche fratricide et meurtrière des dirigeants de la Russie sur l’effondrement de leur empire sur lui-même, comme s’il agissait d’une victime expiatoire », note le géographe et ancien diplomate. Il relève aussi que les dirigeants russes, à commencer par Poutine, ont été et restent toujours incapables d’analyser les raisons de la chute de leur Etat et encore moins celles de la consolidation nationale de l’Ukraine et des autres républiques périphériques. Cet essai bref mais dense permet de saisir pleinement les racines et les enjeux de l’actuelle guerre qui ravage l’Ukraine.
Pays de confins et des marges – c’est le sens même de son nom –, elle s’étend à la fracture entre deux mondes, à la fois pleinement européenne comme marche pendant des siècles du grand royaume de Pologne-Lituanie, mais aussi berceau de la Rous de Kiev, qui s’est ensuite incarnée dans la Moscovie.
L’ancien secrétaire d’Etat américain Zbigniew Brzezinski, polonais d’origine et géopoliticien d’envergure, avait théorisé, dans son livre Le Grand Echiquier (Bayard, 1997), que, sans l’Ukraine, la Russie cesserait d’être un empire. Une thèse qui a nourri la paranoïa du pouvoir russe.
La célèbre phrase de Vladimir Poutine évoquant l’effondrement de l’Union soviétique comme « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle », souvent citée, a été tout aussi souvent mal comprise. Pour l’homme fort du Kremlin, l’objectif n’est pas tant de reconstituer l’URSS, ce qu’il sait impossible, mais de réunifier dans un même ensemble le « monde russe », c’est-à-dire tous les Russes ethniques restés en dehors des frontières en 1991, lors de l’éclatement, et le bloc slave – Russie, Biélorussie, Ukraine –, sans pour autant abandonner une vision impériale.
A défaut de pouvoir reprendre l’Ukraine, Poutine tente au moins de la dépecer, mais l’aventure tourne mal. « Et si l’Ukraine libérait la Russie ? », lance, pour sa part, André Markowicz, écrivain et traducteur, dans un « Libelle » au Seuil (60 pages, 4,50 €), se demandant « si l’électrochoc provoqué par le désastre ukrainien arrivera à réveiller les consciences et à changer l’histoire russe ». Un brillant exercice d’érudition sur les relations entre intellectuels russes et autocratie, de souvenirs sur une jeunesse soviétique et d’analyse au vitriol sur Poutine, « point de jonction entre l’appareil du KGB et la mafia », pour conquérir et garder le pouvoir.
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