Changer le modèle agricole

Changer le modèle agricole

 

Il faut changer radicalement de modèle agricole et « reprendre la terre aux machines », plaide Nicolas Mirouze, ancien élève d’AgroParisTech devenu viticulteur, et qui a « bifurqué » vers l’agroécologie, dans une tribune au « Monde ».

Je m’appelle Nicolas Mirouze, je suis vigneron dans les Corbières (Occitanie), mais aussi ancien élève d’AgroParisTech et sociétaire de la coopérative d’intérêt collectif L’Atelier paysan, qui agit pour un changement de modèle agricole et alimentaire. Je me suis établi en 1999 sur un domaine viticole en agriculture conventionnelle et j’ai décidé, dès la deuxième année, de changer de mode de culture, en délaissant les engrais chimiques et en limitant l’emploi de pesticides. Il m’a fallu vingt longues et difficiles années pour m’extraire complètement du modèle de l’agriculture industrielle intensive tout en rendant ma ferme pérenne. J’ai aujourd’hui 50 ans, j’en avais 27 le jour ou j’ai décidé de « bifurquer ».

En France, une partie non négligeable de la population n’a pas les moyens de l’alimentation qu’elle voudrait choisir. Parfois, elle ne peut même pas acheter l’alimentation la moins chère disponible en grande surface : c’est ainsi que, selon l’inspection générale des affaires sociales, 5,5 millions de personnes en grande précarité alimentaire dans la France de 2018, antérieure à la crise due au Covid-19, se procuraient leurs repas quotidiens grâce à l’aide alimentaire.

Cette aide, devenue systémique en France, est distribuée par plus de 200 000 bénévoles, qui subissent quotidiennement toute la violence de cette pauvreté. Elle est abondamment pourvue par les surplus inconsidérés de l’agriculture industrielle intensive (car il faut toujours produire plus) et participe directement à la compression des coûts des produits agricoles et donc à la diminution du revenu des agriculteurs. Elle est également abondamment pourvue par les invendus de la grande distribution, qui se voit ainsi dotée d’une efficiente filière de recyclage. Comble du cynisme : cette nourriture « recyclée » est une source de défiscalisation pour des entreprises dont la contribution est assimilée à un don. Peut-on continuer à traiter d’une façon aussi indigente les plus pauvres d’entre nous, les bénévoles qui les soutiennent, les paysans qui voudraient les nourrir ?

L’autre face de cette triste réalité est que, sur la période 2010-2019, 77 % des revenus des agriculteurs proviennent des aides nationales et européennes. Sur la même période, 25 % des agriculteurs ont un revenu annuel moyen inférieur à 8 400 euros. Sur l’année 2018, 14 % des exploitations françaises ont un résultat courant négatif, selon les chiffres publiés en 2020 par le ministère de l’agriculture. Ce tableau stupéfiant est celui d’un système qui ne fonctionne pas du tout, qui – sans même parler de dégâts écologiques, de rendements énergétiques négatifs ou de perte de qualité nutritive – ne remplit aucun de ses objectifs initiaux : rémunérer les agriculteurs pour qu’ils fournissent une alimentation suffisante, satisfaisante et à la portée de tous.

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