Archive mensuelle de mai 2022

Page 38 sur 40

« Nous sommes entrés dans une économie d’inflation durable » (MEDEF)

« Nous sommes entrés dans une économie d’inflation durable » (MEDEF)

 

Pour le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, les « grand-messes » doivent céder la place aux réunions par filière pour obtenir des résultats concrets. La planification écologique est indispensable, mais la transition ne sera indolore ni pour le pouvoir d’achat ni pour l’emploi.

 

 

Quels enseignements tirez-vous du résultat de l’élection présidentielle  
Un résultat me paraît symbolique : le président réélu a obtenu 85 % des voix à Paris, tandis que le score de Marine Le Pen atteint 56,73 % des suffrages à Colombey-les-Deux-Églises, le village du général de Gaulle, situé en plein milieu de ce qu’on appelle la « diagonale du vide ». La métropolisation de l’économie et des emplois ne s’est pas résorbée en cinq ans. Deux France s’opposent toujours : celle où l’adaptation à une économie mondialisée s’est effectuée sans dommage et celle où elle est au contraire subie, entraînant un sentiment de déclassement. Le motif sous-jacent du vote populiste est au moins autant économique qu’identitaire. Cela doit interpeller aussi les chefs d’entreprise.

Comment peuvent-ils réagir ?
​Nous devons offrir des perspectives à ceux qui ont l’impression d’être les perdants du système. L’image des entreprises, très positive depuis plusieurs années, s’est encore améliorée depuis la crise sanitaire. En contrepartie, les Français attendent énormément de ces dernières. Cela nous oblige. Pendant la pandémie, l’ensemble du corps social de l’entreprise – salariés, partenaires sociaux, dirigeants… – s’est retroussé les manches pour sauver l’outil de travail, puis repartir. Depuis, les négociations sur les salaires, annoncées comme difficiles, se sont plutôt bien déroulées. Nous avons également signé cinq accords importants entre partenaires sociaux au niveau national en moins de deux ans, dont ceux sur le télétravail, la formation et le paritarisme. Ce climat positif est l’occasion de s’engager dans le chantier majeur de la lutte contre le changement climatique, notamment par le dialogue social.

Les technologies « vertes », dans le ciment ou l’acier, entre autres, coûtent plus cher en investissement comme en production

​Le président de la République s’est prononcé pour une planification écologique. Qu’en pensez-vous ?
​Le terme ne m’effraie pas. L’État est dans son rôle. Ces investissements ne peuvent se concevoir que dans la durée, sans pouvoir produire de retour rapide. Le besoin de planifier est donc justifié, à condition que les secteurs soient parties prenantes, notamment les premiers concernés comme l’industrie, le transport, l’énergie ou le logement. L’Union européenne a entamé cette démarche, la France doit suivre.​

​La planification écologique entraînera-t-elle une décroissance ?
​Non. La décroissance n’est pas ​acceptable pour la majorité de nos concitoyens. Ni pour le reste de la planète. Il faut inventer le capitalisme décarboné, au moyen d’une croissance plus sobre. Des solutions existent. D’autres seront trouvées grâce aux innovations scientifiques. Les technologies « vertes », dans le ciment ou l’acier, entre autres, coûtent plus cher en investissement comme en production. Elles garantissent une forme de sobriété, mais entraîneront une hausse des prix des biens industriels qui se répercutera dans de multiples secteurs, dont le logement. On ne peut pas dire aux Français que la transition écologique sera indolore ni sans effets sur leur pouvoir d’achat, surtout quand on sait que 80 % des salariés prennent leur voiture pour aller travailler.

Sera-t-elle indolore pour l’emploi ?
​Non plus. On le constate déjà dans la construction automobile. Des emplois seront créés, mais pas dans les mêmes secteurs qu’aujourd’hui.​

​Quelles conséquences aura la guerre en Ukraine  ?
​J’y suis allé en juillet 2021, avec une délégation de chefs d’entreprise. Nous avions rencontré le président Zelenski, qui déjà nous avait fait part de son souhait d’intégrer l’Union européenne. La guerre menée par la Russie aura des conséquences majeures pour notre économie. Elle sert de révélateur quant à la dépendance énergétique – tous ceux qui doutaient encore de la nécessité de posséder un secteur nucléaire fort sont désormais, je l’espère en tout cas, convaincus. Cette source d’énergie neutre en carbone et indépendante est un atout majeur, alors que la France désinvestit depuis dix ans. Il faut réinvestir d’urgence en moyens et en compétences dans la filière.

​L’inflation va-t-elle durer ?
​Je le crains. Une partie résulte de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine, à cause de goulets d’étranglement dans les chaînes de production. Mais nous sommes entrés dans une économie d’inflation durable, avec le renchérissement des prix de l’énergie et la rareté de certaines matières premières, comme les métaux. C’est un environnement que la plupart des chefs d’entreprise n’avaient jamais connu. Pas plus que l’ensemble de la population, qui sera confrontée – à travers la hausse inévitable des taux d’intérêt – à la hausse des prix dans le secteur crucial du logement. D’où le besoin de planifier. Et d’inaugurer une nouvelle méthode de gouvernement, en réunissant les parties prenantes, par filière, pour obtenir des résultats opérationnels, plutôt que par des « grand- messes » d’autrefois, d’où rien de concret ne peut émerger. La dimension territoriale est essentielle et doit être prise en compte dans tous les domaines, y compris celui de la fiscalité.

Quelles mesures attendez-vous ?
​Nous voulons pouvoir nous battre à armes égales avec nos concurrents européens. L’impôt sur les sociétés a diminué sous le mandat qui s’achève, mais les impôts de production demeurent supérieurs de 35 milliards d’euros à la moyenne européenne. Ce doit être la priorité du nouveau gouvernement.

​La situation des finances publiques vous inquiète-t-elle ?
​Les choix effectués pendant la crise sanitaire ont été justifiés par l’ampleur de la crise. Mais il ne faudrait pas entrer dans un « quoiqu’il en coûte »​ permanent. La question fondamentale concerne l’efficacité de la dépense publique, comme en témoigne l’invraisemblable fiasco de la délivrance des passeports. Nous constatons au sein des entreprises un énorme déficit de compétences, malgré la réussite de la réforme de l’apprentissage. Les résultats de l’éducation nationale sont en baisse depuis trente ans – tous les classements le soulignent. Les difficultés de l’hôpital public sont indéniables. Alors que dans ces deux domaines la France dépense plus que ses voisins. L’amélioration des finances publiques passe aussi par celle du taux d’emploi, qui demeure 10 points en dessous de celui de l’Allemagne. C’est ce critère-là qui permettra la hausse des recettes et la baisse des dépenses. L’augmenter de 5 points pourrait être l’un des objectifs du mandat qui s’ouvre. La clé réside dans les compétences. Et donc dans la formation.

Climat : crise dramatique en Inde

Climat : crise dramatique en Inde

 

L’Inde et le Pakistan sont en proie à des vagues de chaleur exceptionnelles cette année, avec des pointes à 50°C par endroits, ce qui entraîne des pénuries d’eau et des coupures d’électricité. Des écoles ont également dû fermer, et les services médicaux et anti-incendies sont sur le pied de guerre.

Des températures record de 35,9°C à 37,78°C ont été relevées dans le nord-ouest et le centre de l’Inde, a précisé à des journalistes Mrutyunjay Mohapatra, directeur général du département de météorologie. Il s’agit des températures les plus élevées jamais enregistrées depuis que le département a commencé à effectuer des relevés, il y a 122 ans de cela.`

 

Une vague de chaleur record s’est abattue sur l’Inde et le Pakistan, provoquant des coupures d’électricité et des pénuries d’eau pour des millions d’habitants qui devraient subir cette fournaise de plus en plus fréquemment à l’avenir, selon des experts du changement climatique.

La température à Delhi approchait jeudi les 46 degrés Celsius. Et cette vague de chaleur extrême devrait sévir encore pendant cinq jours dans le nord-ouest et le centre de l’Inde et jusqu’à la fin de la semaine dans l’est, selon le département météorologique indien.

« C’est la première fois que je vois une telle chaleur en avril », s’est exclamé Dara Singh, 65 ans, qui tient une petite boutique de rue à Delhi depuis 1978. « Les feuilles de bétel que j’utilise pour vendre le paan (tabac à chiquer, NDLR) se gâtent plus vite que d’habitude. Habituellement, cela se produit vers le mois de mai, au pic de l’été ».

Le nord-ouest du Rajasthan indien, l’ouest du Gujarat et le sud de l’Andhra Pradesh, ont imposé des coupures de courant aux usines pour réduire leur consommation. Selon des informations presse, les principales centrales électriques sont confrontées à des pénuries de charbon.

Plusieurs régions de ce pays de 1,4 milliard d’habitants signalaient une baisse de l’approvisionnement en eau qui ne fera que s’aggraver jusqu’aux pluies annuelles de la mousson en juin et juillet.

En mars, Delhi a connu un maximum de 40,1 degrés, la plus chaude température jamais enregistrée pour ce mois depuis 1946.

Les vagues de chaleur ont tué plus de 6.500 personnes en Inde depuis 2010. Les scientifiques affirment qu’en raison du changement climatique, elles sont plus fréquentes, mais aussi plus sévères.

« Le changement climatique rend les températures élevées en Inde plus probable », a affirmé le Dr Mariam Zachariah du Grantham Institute, à l’Imperial College de Londres.

« Avant que les activités humaines n’accroissent les températures mondiales, une chaleur comme celle qui a frappé l’Inde au début du mois n’aurait été observée qu’environ une fois tous les 50 ans », a ajouté l’experte.

« Nous pouvons désormais nous attendre à des températures aussi élevées, environ une fois tous les quatre ans », prévient-elle.

Pour sa consoeur, le Dr Friederike Otto, maître de conférences en Science du Climat, au Grantham Institute, « les vagues de chaleur en Inde et ailleurs continueront de devenir plus chaudes et plus dangereuses, jusqu’à la fin des émissions nettes de gaz à effet de serre ».

« Les températures augmentent rapidement dans le pays, et augmentent beaucoup plus tôt que d’habitude », avait souligné le Premier ministre Narendra Modi mercredi, au lendemain d’un l’incendie survenu sur la montagne d’ordures de Bhalswa (haute de 60 mètres), dans le nord de Delhi.

Jeudi, selon un responsable des pompiers de la capitale, les pompiers luttaient encore contre le feu, dont l’épaisse fumée s’ajoutait à la pollution atmosphérique, espérant le maîtriser d’ici vendredi.

Trois autres incendies se sont déclarés en moins d’un mois dans la plus grande décharge de la capitale, Ghazipur, gigantesque montagne de déchets haute de 65 mètres.

La mégapole de plus de 20 millions d’habitants manque d’infrastructures modernes pour traiter les 12.000 tonnes de déchets qu’elle produit quotidiennement. Selon Pradeep Khandelwal, ex-chef du département de la gestion des déchets de Delhi, tous ces incendies sont probablement provoqués par les températures extrêmement élevées qui accélèrent la décomposition des déchets organiques.

 

Le Pakistan voisin subissait aussi jeudi cette chaleur extrême qui devrait se prolonger la semaine prochaine. Les températures devraient dépasser de 8 degrés la normale dans certaines parties du pays, pour culminer à 48 degrés dans certaines zones du Sind rural mercredi, selon la Société météorologique pakistanaise.

Les agriculteurs devront gérer judicieusement l’approvisionnement en eau, dans ce pays où l’agriculture, pilier de l’économie, emploie environ 40% de la main-d’œuvre totale.

« La santé publique et l’agriculture du pays seront confrontées à de sérieuses menaces en raison des températures extrêmes de cette année », a déclaré Sherry Rehman ministre du Changement climatique.

Le mois de mars a été le plus chaud jamais enregistré depuis 1961, selon le bureau météorologique du Pakistan.

Des coupures d’électricité en Inde et au Pakistan ont aggravé vendredi les conditions de vie de millions d’habitants, déjà accablés par cette vague de chaleur record. Des mois de mars et d’avril exceptionnellement chauds ont fait grimper la demande énergétique en Inde, et plus particulièrement au Pakistan, si bien que les centrales électriques manquent à présent de charbon pour répondre à la demande.

Plusieurs villes pakistanaises ont ainsi subi jusqu’à huit heures de coupure de courant par jour la semaine dernière, tandis que des zones rurales enregistraient des délestages la moitié de la journée.

« Il y a une crise de l’électricité et des délestages dans tout le pays », a déclaré le ministre de l’Énergie, Khurram Dastgir Khan, évoquant les pénuries et des « défaillances techniques ».

Or, les températures devraient dépasser de 8 degrés la normale saisonnière dans certaines parties du Pakistan, pour culminer à 48 degrés dans certaines zones du Sind rural mercredi, selon la Société météorologique pakistanaise.

Dans la mégalopole indienne de New Delhi, où la température a atteint 43,5°C vendredi, les autorités estiment qu’il reste « moins d’un jour de charbon » en stock dans de nombreuses centrales électriques. « La situation dans toute l’Inde est désastreuse », selon Arvind Kejriwal, ministre en chef de Delhi, qui a mis en garde contre de possibles coupures dans les hôpitaux et le métro de la capitale.

L’Inde a même annulé certains trains de voyageurs pour accélérer l’acheminement du charbon vers les centrales électriques, selon Bloomberg News. Les réserves de charbon des centrales indiennes ont en effet diminué de près de 17% depuis début avril, tombant à à peine un tiers des niveaux requis, selon la même source.

À Calcutta, dans l’est de l’Inde, après des malaises en série dans les transports en commun, de l’eau sucrée a été distribuée aux passagers.

« Sans pluie depuis plus de 57 jours, Calcutta est en proie à la plus longue période de sécheresse de ce millénaire », affirme Sanjit Bandyopadhyay du Centre météorologique régional.

À cette époque de l’année, dans les régions d’altitude de l’État de l’Himachal Pradesh, la pluie, de la grêle et même de la neige tombent normalement, mais depuis deux mois, pas une goutte d’eau et les températures battent des records. Conséquence, des centaines d’incendies ont réduit des forêts de pins en cendres, notamment autour de Dharamsala, la ville où réside le Dalaï-Lama.

« La plupart de ces incendies sont des feux de terre qui se propagent dans les forêts de pins, les plus vulnérables aux incendies », explique à l’AFP le chef des forêts de l’État, Ajay Srivastava.

« Des équipes de pompiers travaillent d’arrache-pied pour éteindre ces feux et aussi pour sauver les animaux sauvages », a-t-il ajouté, en précisant que les secours ont dû demander l’aide des riverains.

(avec l’AFP, Bloomberg et Reuters)

Le milieu professionnel influence-t-il le choix politique ?

Le milieu professionnel influence-t-il le choix politique ? 

Comment les conditions de travail et les catégories socio-professionnelles jouent-elles sur le vote ? Analyse à partir du scrutin de 2017. Par Tristan Haute, Université de Lille

 

La question de l’influence éventuelle de l’activité et des expériences professionnelles sur les comportements de vote n’est pas nouvelle en analyses électorales. Cependant, le « vote de classes », mis en évidence au cours des années 1970 pour la France se serait érodé.

Peut-on pour autant conclure à la disparition de relations entre conditions de travail et d’emploi et pratiques électorales ? Rien n’est moins sûr.

Ainsi, la participation électorale serait encore en partie dépendante des caractéristiques socioprofessionnelles des électeurs (catégorie socioprofessionnelle, secteur d’activité d’appartenance, type de contrat de travail, autonomie dans le travail…). Ce constat est particulièrement vrai si ces caractéristiques sont saisies finement, en ne se limitant pas à des nomenclatures dichotomiques (ouvriers/employés, outsiders/insiders…) et en tenant compte à la fois de la profession, du statut d’emploi, de l’insécurité éventuelle de l’emploi, du niveau de rémunération, du niveau de satisfaction au travail, du niveau d’éducation, du caractère plus ou moins routinier ou autonome du travail ou encore de la syndicalisation.

Qu’en est-il aujourd’hui en ce qui concerne l’orientation du vote ? Faute de données encore robustes s’agissant du scrutin présidentiel de 2022, nous présenterons quelques résultats obtenus lors du précédent scrutin de 2017.

Loin de la disparition totale de tout « vote de classe », on observe encore des différences importantes en matière d’orientation de vote selon le groupe socioprofessionnel auquel appartiennent les électeurs. Ainsi, en 2017, selon la French Election Study, 27,8 % des cadres ont voté Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle contre respectivement 12,6 % et 12,3 % des employés et des ouvriers (voir tableau 1). De même, seuls 6,5 % des cadres ont voté pour Marine Le Pen contre 24,6 % des employés et 25 % des ouvriers. Ces différences ne sont toutefois pas toujours significatives, notamment si on tient compte du sexe, de l’âge, du niveau de diplôme et des autres caractéristiques socioprofessionnelles des répondants.

 

D’autres clivages apparaissent particulièrement pertinents, par exemple en fonction du secteur d’activité (par exemple entre les salariés du bâtiment et du commerce). Néanmoins, les enquêtes post-électorales étant réalisées auprès d’échantillons de petite taille (rarement supérieurs à 3 000 personnes), elles ne permettent pas d’analyser finement les différences entre secteurs d’activité. Elles permettent toutefois d’observer des divergences entre salariés du secteur public et du secteur privé. En effet, comme l’ont observé Daniel Boy et Nonna Mayer dès le milieu des années 1990, les salariés du public orientent davantage leur vote en faveur de la gauche que les salariés du privé. Ils votent aussi moins que les salariés du privé pour l’extrême droite.

Ainsi, en 2017, 22 % des salariés du public ont voté Jean-Luc Mélenchon contre 18,7 % de ceux du privé. À l’inverse, seuls 16,9 % des salariés du public ont voté pour Marine Le Pen contre 20,4 % de ceux du privé (voir tableau 2). Cela peut s’expliquer par leurs identités professionnelles spécifiques ou encore par la présence syndicale plus importante dans le secteur public. Les écarts relativement réduits tendraient toutefois plutôt à accréditer la thèse d’un brouillage du clivage entre salariés du privé et du public, du fait notamment de la diversification des statuts dans le secteur public, de l’affaiblissement des identités professionnelles ou encore de la moindre conflictualité sociale.

 

Une autre relation a été plus récemment documentée, notamment à l’échelle européenne par Christoph Arndt et Line Rennwald, entre la taille des établissements de travail et l’orientation du vote. Les salariés des petits établissements voteraient davantage que le reste des salariés pour la droite et l’extrême droite. On retrouve ce résultat en France : en 2017, 24,3 % des salariés d’établissements de 10 salariés ou moins et 23,8 % des salariés des établissements de 11 à 24 salariés ont ainsi voté pour Marine Le Pen contre 19,3 % de l’ensemble des salariés (voir tableau 3). Selon ces auteurs, cette relation s’exppiquerait par la plus faible syndicalisation dans les petits établissements, par une satisfaction au travail plus importante, par un climat social moins tendu et par des relations entre employeurs et employés basées sur la proximité et l’informalité.

 

Une importante littérature au niveau international, mobilisant la distinction sur le marché du travail entre les « insiders », bénéficiant d’un emploi stable et contractuellement protégés, et les « outsiders », assignés aux contrats courts et à l’insécurité de l’emploi, conclut que ces derniers orienteraient davantage leur vote à l’extrême droite.

D’autres travaux, comme ceux de Paul Max, font néanmoins plutôt état d’une préférence partisane des salariés précaires davantage orientée vers la gauche radicale, voire écologiste. Dans le cas français, il y a, en 2017, un survote des salariés précaires en faveur de l’extrême droite (+5,7 points par rapport aux salariés stables), mais aussi un léger survote en faveur de Jean-Luc Mélenchon (+2 points), même si là encore les écarts restent peu significatifs (voir tableau 4).

La divergence apparente des travaux scientifiques relatifs aux effets électoraux de la précarité de l’emploi semble s’expliquer par la nécessité d’articuler cette précarité de l’emploi avec d’autres variables.

Nonna Mayer a ainsi montré que, en 2012, le vote FN est plus présent parmi les ouvriers précaires que parmi les ouvriers non précaires, mais aussi plus présent parmi les employés non précaires que parmi les employés précaires : l’influence de la précarité sur l’orientation du vote varierait donc selon le groupe socioprofessionnel d’appartenance. De la même manière, les chercheurs du Collectif Focale, qui ont réalisé une enquête par questionnaire à la sortie des urnes dans deux villes populaires, observent deux relations entre vote et précarité de l’emploi très différentes dans ces deux villes.

À Méricourt, commune du bassin minier, le fait d’être en contrat stable va de pair avec un vote plus affirmé en faveur de Jean-Luc Mélenchon alors que le fait d’être en contrat précaire va de pair avec un vote plus affirmé pour Marine Le Pen. À l’inverse, à Villeneuve-Saint-Georges, le vote pour le FN est plutôt le fait de « petits stables » alors que les salariés précaires se tournent massivement vers Jean-Luc Mélenchon.

Pour comprendre ces filières de vote différentes, les auteurs proposent ainsi de saisir l’impact de la précarité en tenant compte de la féminisation des emplois, des trajectoires migratoires mais aussi des trajectoires résidentielles. Ils montrent ainsi que la précarité de l’emploi, articulée à un moindre niveau de diplôme et à une plus grande exposition à la concurrence internationale, favorise, parmi les immigrés d’Afrique du Nord, un vote pour Jean-Luc Mélenchon alors que, parmi les personnes non racisées, elle favorise le vote FN.

Pour terminer, de récents travaux se sont attachés à dépasser la seule prise en compte du type de contrat de travail en s’intéressant aux conditions objectives et subjectives de travail et notamment à l’autonomie dont disposent les salariés dans leur travail. Cette autonomie est mesurée par l’économiste Thomas Coutrot en observant le caractère répétitif ou non du travail ainsi que la possibilité ou non de déroger à un respect strict des consignes, de faire varier les délais, d’interrompre son travail quand on le souhaite ou encore d’apprendre des choses nouvelles. Or, cette « autonomie » tendrait à décliner depuis plusieurs décennies.

Si plusieurs travaux convergent autour du constat d’un lien entre autonomie au travail et participation électorale, les salariés les moins autonomes dans leur travail ayant tendance à davantage s’abstenir que le reste des salariés, Thomas Coutrot suggère également, à partir de données agrégées, qu’une faible autonomie irait de pair, y compris à catégorie socioprofessionnelle égale, avec un vote davantage en faveur de l’extrême droite et de la gauche radicale et avec un moindre vote pour le centre, la droite et la gauche sociale-démocrate et écologiste.

Un sentiment de résignation, d’humiliation ou d’injustice favorise les votes radicaux

S’il est difficile de reproduire cette analyse à partir d’enquêtes post-électorales, les conditions de travail des répondants n’étant pas toujours finement documentées, on peut toutefois observer que, en 2017, les salariés considérant comme très probable que leur travail puisse un jour être assuré par des robots ou des machines (positions 9 ou 10 sur une échelle de 0 à 10, soit 7,7 % des répondants salariés) sont bien plus nombreux que l’ensemble des salariés à avoir voté pour Marine Le Pen (31,9 % contre 19,3 %) ou même pour Jean-Luc Mélenchon (25,6 % contre 19,7 %) (voir tableau 5).

Dans le cas du vote FN, cette différence apparaît significative y compris lorsqu’on tient compte des caractéristiques sociales et des autres caractéristiques professionnelles des répondants. Selon Thomas Coutrot, la négation du pouvoir d’agir dans le travail créerait un sentiment de résignation, d’humiliation ou d’injustice, vecteur soit d’abstention, soit d’un vote en faveur de l’extrême droite ou de la gauche radicale. Cela ne signifie pas pour autant que les salariés votant pour Jean-Luc Mélenchon et pour Marine Le Pen se ressemblent : s’ils sont plus nombreux à vivre une condition commune de déni de pouvoir d’agir au travail, ils ont toujours des profils sociaux très différents.

 

En France comme dans d’autres pays, il existe encore des relations fortes entre les caractéristiques professionnelles des salariés (catégorie socioprofessionnelle, secteur d’activité, taille des établissements, conditions de travail et d’emploi) et l’orientation de leurs votes aux scrutins politiques.

Dès lors, les mutations du travail et de l’emploi, qu’il s’agisse de la précarisation de l’emploi, de l’atomisation des collectifs de travail, de l’individualisation du rapport salarial ou encore de l’affaiblissement de la capacité de négociation des salariés, produisent des filières de vote. Toutefois, le caractère encore parcellaire et parfois contradictoire des résultats présentés ici pour décrire ces filières de vote ne peut qu’inviter à la prudence et à explorer plus finement ces relations à partir de nouvelles données. Alors que la question du pouvoir d’achat et de manière corollaire celle de la rémunération du travail ont occupé une place centrale dans la campagne présidentielle de 2022 et alors que le paysage électoral s’est structuré, lors du premier tour, autour de 3 principaux candidats, il serait particulièrement intéressant de comprendre en quoi les expériences du travail peuvent expliquer ces segmentations électorales.

_____

Par Tristan Haute, Maître de conférences, Université de Lille

Cet article a été co-publié dans le cadre du partenariat avec Poliverse qui propose des éclairages sur le fonctionnement et le déroulement de la présidentielle.

Industrie automobile : le massacre continue

Industrie automobile : le massacre continue

Faute de transition énergétique cohérente et progressive, le massacre secteur automobile continue. En cause, les nombreuses interrogations sur les techniques nouvelles et sur le sens de certaines normes discutables. Conséquence les automobilistes conservent le plus longtemps leur automobile et les immatriculations de voitures neuves continuent de diminuer. S’ajoutent évidemment maintenant l’inflation qui vient diminuer le pouvoir d’achat des acheteurs potentiels de véhicules.France : Immatriculations de voitures neuves en baisse de 22,58% en avril, selon la PFA

reuters.com  |  01/05/2022, 12:58  |  116  motsLes immatriculations de voitures neuves en France ont diminué de 22,58% en rythme annuel en avril, selon les données communiquées dimanche par la Plateforme automobile (PFA).

Il s’est immatriculé 108.723 véhicules particuliers dans l’Hexagone le mois dernier, a rapporté le PFA. Avril a compté 20 jours ouvrables cette année, contre 21 en 2021.

Les immatriculations de voitures neuves du groupe Stellantis, qui regroupe notamment les marques Peugeot, Citroën, DS et Opel, ont chuté le mois dernier de 29,26% par rapport à un an plus tôt.

Le groupe Renault (marques Renault, Dacia et Alpine) a vu quant à lui ses immatriculations en France décliner de 20,96% en rythme

Une société de crise appelle une démocratie de crise

Pour une  démocratie de crise

 

Réflexion autour de notre incapacité collective à organiser des débats autour des grands défis contemporains. Sébastien Claeys, Sorbonne Université; Nathanaël Wallenhorst, Université de Haute-Alsace (UHA) et Renaud Hétier, Université de Haute-Alsace (UHA).

 

Cette campagne présidentielle s’est engagée dans les impasses propres aux démocraties contemporaines face aux crises multiples qui se succèdent : l’impossibilité de vrais débats contradictoires, la promotion de figures d’autorité et la valorisation de l’efficacité au détriment de la vitalité démocratique, à savoir une manière d’habiter, ensemble, le monde.

Le seul échange entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen entre les deux tours n’est que l’arbre qui cache la forêt, et il serait vain de ne critiquer ici que les candidats. Les médias, qui ont choisi avant le premier tour de ne pas faire dialoguer les candidats entre eux, ou même les partis politiques, qui proposent des solutions parfois trop simplistes et, pourtant, peinent à dessiner des options idéologiques claires, sont aussi en cause.

L’abstention massive aux deux tours, la volatilité de l’électorat – susceptible de changer de candidat le jour de l’élection – le sentiment de distance vis-à-vis de la politique ou d’inutilité du vote, doivent être interrogés. Selon les sociologues Olivier Galland et Marc Lazar dans leur enquête « Une jeunesse plurielle » auprès des 18-24 ans :

« 64 % des jeunes considèrent que la société doit être améliorée progressivement par des réformes », mais 64 % montrent aussi « des signes de désaffiliation politique (en ne se situant pas sur l’échelle gauche-droite ou en ne se sentant de proximité avec aucun parti) ».

Et ce chiffre, franchement inquiétant : « seulement 51 % des jeunes se sentent très attachés à la démocratie, contre 59 % des parents et 71 % des baby-boomers ».

Même ambiguïté dans les résultats du sondage Harris interactive de décembre 2021 sur le rapport des Français à la démocratie : si 83 % des Français se déclarent attachés au régime démocratique, 57 % pensent qu’un régime autoritaire peut être plus efficace qu’une démocratie pour faire face aux crises multiples qui se succèdent. C’est donc la forme démocratique elle-même qui est ici questionnée.

Alors que ce moment central de la vie politique française condense les nombreux défis auxquels nous avons à faire face – changement climatique, crise sanitaire, guerre en Ukraine, accroissement des inégalités, transition de notre modèle énergétique… -, elle montre donc aussi notre incapacité collective à organiser des débats autour de ces sujets, pourtant cruciaux pour les cinq prochaines années. Si débattre, sur des sujets aussi complexes revient à s’exposer, on peut comprendre que le jeu politique du moment soit d’éviter habilement les débats et de monologuer à partir de principes explicatifs simples, sans aucune contradiction. Ces moments de crise, qui devraient être des occasions de débats nécessaires, de confrontation d’idées et de partages d’expertises, aboutissent à une crise du débat démocratique en lui-même.

Seulement, la méthode de l’évitement du débat aboutit, chez les citoyens, à un sentiment d’incompétence des hommes et des femmes politiques, mais aussi, c’est ce qui est le plus inquiétant, à la mise en évidence d’une forme d’impuissance collective à proposer des solutions et à agir dans ce sens. Une démocratie qui ne débat plus, ou qui débat mal, est une démocratie impuissante. Or, toujours d’après l’enquête Harris interactive, ce sont les Français qui se sentent les plus impuissants qui, à la fois déplorent de ne pas être en démocratie et ne sont pas attachés au régime démocratique.

Cet apparent paradoxe peut être expliqué par un autre : le paradoxe de l’autorité en temps de crise. Alors que plus de 1186 élus ont été menacés et agressés en 2021, selon le Ministère de l’intérieur, remettant en cause leur autorité et leur légitimité, certains citoyens attendent aussi un « maître », quelqu’un dont le savoir ou le pouvoir seraient providentiels – un maître qui ne devrait jamais se tromper et dont le savoir devrait être infalsifiable. C’est ainsi que face aux hésitations du gouvernement durant la crise sanitaire, Didier Raoult s’est imposé, pour certains, comme un « sachant » qui pouvait nous indiquer la voie à suivre, sans même avoir à prouver scientifiquement sa démarche.

De tels « maîtres » ne manquent pas de s’imposer ailleurs et certains émergent ici, nous l’avons vu, qui peuvent prétendre à s’affranchir du réel lui-même : la vérité des faits, la science, l’histoire, leurs propres limites. C’est ainsi que l’aspiration démocratique et la remise en cause des autorités élues peut aboutir en une aspiration autoritaire. C’est ainsi que, selon Dominique Bourg, les déstabilisations liées au changement climatique pourraient aboutir à une forme de climato-fascisme, dont il voit les prémisses dans la guerre en Ukraine. Les idéologies politiques du XXIe siècle pourraient ainsi se reconfigurer autour de nouveaux récits politiques démocratiques ou autoritaires.

Le sociologue Ulrich Beck soulignait déjà ce paradoxe d’une impuissance autoritaire durant la crise économique en 2008 dans Le Monde :

« À lui seul, un gouvernement ne peut combattre ni le terrorisme global, ni le dérèglement climatique, ni parer la menace d’une catastrophe financière. [...] La globalisation des risques financiers pourrait aussi engendrer des « États faibles » – même dans les pays occidentaux. La structure étatique qui émergerait de ce contexte aurait pour caractéristiques l’impuissance et l’autoritarisme postdémocratique ».

L’impuissance est une fois encore pointée comme la source d’un risque de glissement vers un régime autoritaire. Autrement dit : impuissance et autoritarisme sont les deux faces d’une même médaille, l’autoritarisme véhiculant le fantasme d’une « toute-puissance » retrouvée.

Aussi, il serait contre-productif de s’arc-bouter sur une forme de citoyenneté qui produit de l’impuissance : une idée de la participation citoyenne reposant uniquement sur l’exercice du « pouvoir » (élire, être élu, et participer aux institutions) et qui exclut toutes les autres actions transformatrices possibles. Il s’agit, au contraire, de concevoir une forme de puissance citoyenne, une manière de proposer, de développer ses capacités politiques et d’agir qui ne soit pas ignorée par les institutions.

C’est donc une dialectique subtile qui doit s’engager entre une « citoyenneté-pouvoir » et une « citoyenneté-puissance ». La formule alchimique est la suivante : la perpétuation de notre régime démocratique dépend de cette aptitude à transformer l’impuissance des citoyens en pouvoir d’action.

Et ce n’est pas une vaine incantation : comme le souligne la sociologue Patricia Loncle, « en dehors des rencontres électorales, les jeunes développent des formes d’engagement multiples » et font changer les choses, sur le terrain, dans le domaine de l’écologie, du féminisme, ou encore de l’accueil des migrants.

C’est depuis ces initiatives de terrain qu’il sera aussi possible de redéfinir les grandes problématiques de notre époque, comme les militants d’Act Up-Paris ont su le faire pour bouger les lignes et aboutir à la loi du 4 mars 2002, fondatrice de la démocratie en santé à la française.

Aussi, il nous faut construire des institutions républicaines accueillantes de ces initiatives et actions. Une autre démocratie est possible, qui passe par une responsabilisation précoce des individus, qui développe les capacités citoyennes tout au long de la vie, et qui suppose que nous parvenions à vivre en bonne entente. Mais pour cela, il s’agirait de développer et institutionnaliser les démarches de débats citoyens dans la conception et la mise en place des politiques publiques, de faire une place privilégiée à l’expertise des personnes concernées, d’apprendre à orchestrer les controverses au cœur des crises, de manière pacifique et en posant les questions de manière argumentée, et intégrer la pratique du débat dans les programmes scolaires. Nous ne dirons jamais assez qu’au-delà de l’efficacité du régime, la démocratie est une fin en soi, un mode de vie partagé, une manière d’habiter le monde.

_____

Par Sébastien Claeys, Professeur associé et responsable du Master Conseil éditorial, responsable de la médiation à l’Espace éthique Île-de-France, Sorbonne Université ; Nathanaël Wallenhorst, Maître de conférences HDR en Sciences de l’éducation, Université Catholique d’Angers, chercheur associé laboratoire LISEC, Université de Haute-Alsace (UHA) et Renaud Hétier, Enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’UCO Angers, chercheur associé au LIRSEC, Université de Haute-Alsace (UHA).

Economie, politique, société: les plus lus (2 mai 2022- 6h25)

Poutine un jour devant la justice internationale ?

Retraites : un réforme politique inutile

Retraites : un réforme politique inutile 

 A peine Emmanuel Macron réélu, les ministres de la majorité insistent sur la nécessité d’une réforme des retraites. Par Bernard Laurent, EM Lyon.

 

Dès le lendemain de la réélection d’Emmanuel Macron à l’Élysée, des ministres de la majorité comme Bruno Le Maire et Élisabeth Borne ont insisté sur la nécessité de la réforme des retraites. Pendant sa campagne, le président candidat avait fait du recul de l’âge légal de départ à 65 ans une mesure phare de son programme économique, même s’il a affirmé pendant l’entre-deux-tours que cette option ne constituait « pas un dogme » et que l’organisation d’un référendum était envisageable.

Lundi 25 avril, la ministre du Travail, tout en assurant que la réforme était « nécessaire », a précisé sur RTL qu’il y avait de la «place pour la concertation ». Sur France Info, le ministre de l’Économie abondait dans le même sens, estimant que la réforme devait « faire l’objet, le plus possible, de discussion et de dialogue, avec l’espoir de parvenir à un compromis ».

Les contours de ce compromis reste à définir et ne seront pas faciles à trouver : l’ensemble des centrales syndicales s’opposent aujourd’hui à la réforme proposée par Emmanuel Macron, tout comme les oppositions politiques qui ont fait du blocage du projet l’un des sujets de la campagne des législatives. Cependant, la majorité semble bien déterminée à aller au bout, lors du second quinquennat Macron, d’une réforme abandonnée au printemps 2020.

La réforme des retraites fut en effet l’un des grands points de discussion de cet entre-deux tours de l’élection présidentielle 2022. Nous pourrions le résumé en une affaire de plagiat généralisé : Macron 2022 plagiait Pécresse, comme la candidate des Républicains le dénonça durant la campagne, tandis que Le Pen plagiait, en partie, Macron 2017.

Le candidat de l’époque annonçait, à raison, le dossier des retraites réglés à la suite de la réforme Fillon si bien qu’il promettait d’engager un vaste chantier d’unification de l’ensemble des 42 régimes d’une part et l’adoption pour le régime général d’un système à point sur le modèle des retraites complémentaires. Les spécialistes qualifièrent de systémiques ces chantiers à engager.

Jean-Paul Delevoye fut nommé, en 2017, haut-commissaire à la réforme des retraites. Il ne ménagea pas sa peine pour consulter les partenaires sociaux et menaça de démissionner lorsque certains députés LREM évoquèrent la nécessité de repousser l’âge légal au-delà de 62 ans. En outre, il n’hésita pas à parler, comme le fit avant lui Alain Juppé, de la nécessité de recourir à l’immigration pour régler cette question de l’équilibre des régimes de retraite, tout en prenant soin de placer ce débat migratoire sur le plan européen. Pour autant, il fut confirmé dans son poste.

Un problème d’ores et déjà réglé

Des problèmes d’atteinte à la déontologie l’ont conduit à démissionner fin 2019. Le départ d’une figure emblématique du dialogue social, puis la crise du Covid, eurent raison de la réforme systémique voulue par le président Macron. En 2020, le gouvernement d’Édouard Philippe avait proposé une réforme qui conduisit à plusieurs semaines de grèves et de manifestations.

Le texte maintenait l’idée de la généralisation d’une retraite par points et l’unification des régimes, mais il s’avéra confus en imaginant un report progressif de l’âge légal à 64 ans tout en maintenant l’idée d’un départ possible dès 62 ans, sans annoncer précisément les décotes liées à un départ précoce ni la liste précise des exceptions au départ à 64 ans pour les métiers difficiles.

En 2022, le candidat Macron a repris ce dernier projet en abandonnant toutefois son idée initiale de système par points pour s’en tenir au report de l’âge légal cette fois-ci à 65 ans, plagiant ainsi les réformes proposées par les politiques les plus libéraux, Valérie Pécresse en l’occurrence dans la campagne de premier tour.

Cependant, un examen sérieux du dossier nous permet d’affirmer que la question de l’équilibre des régimes de retraite, qu’il s’agisse du régime général ou celui des retraites complémentaires, est d’ores et déjà réglée.

En effet, les effets de la réforme Fillon-Woerth (2010) complétée par la réforme Touraine (2014) avec le recul de l’âge légal à 62 ans et l’allongement de la durée de cotisation à 42 ans (génération née en 1961,62,63) puis à 43 ans (personnes nées à partir de 1973), pour pouvoir prétendre toucher la retraite du régime général à taux plein, ainsi que la réforme des retraites complémentaires négociée entre les partenaires sociaux (2015) qui augmente la durée du travail d’une année pour éviter l’application d’une décote de 10 % pendant 3 ans sur le montant des retraites complémentaires, ont conduit à une augmentation spectaculaire ces 5 dernières années du taux d’emploi des 55-64 ans (40 % en 2010, 46 % en 2012 et 56,2 % en 2020).

Si nous ne regardons que les 60-64 ans, il passe de 20 % en 2010 à 33 % en 2020. Tout naturellement l’âge moyen de départ à la retraite (femme-homme) ne cesse d’augmenter (60,5 en 2010 à 61,4 et à 62,2 en 2019).

Ces données montrent que la question de l’âge légal n’est pas pertinente pour aborder la question des retraites. C’est bien la durée de cotisation qui est la mesure la plus appropriée. À cet égard, la France dispose de l’un des régimes de répartition les plus durs. La comparaison des systèmes nationaux se fait de façon trop superficielle pour livrer des enseignements intéressants. Ainsi lorsque les commentateurs avancent la durée de cotisation fixée à 45 ans en Allemagne pour stigmatiser les mesures françaises qui seraient insuffisantes, ils se gardent de préciser que les années d’apprentissage entrent dans le calcul des années cotisées dans un pays où la moitié d’une classe d’âge suit ce type de formation.

De même les prévisions de déficit annoncées par le Conseil d’orientation des retraites (COR) pour les années à venir reposent-elles sur d’insupportables hypothèses malthusiennes s’agissant de la quantification de la population active. Certes, la démographie l’explique mais le Conseil élude la réponse migratoire possible.

Dans son dernier rapport de 2021, il retient pour l’avenir les tendances migratoires de la dernière décennie, marquée par des politiques restrictives, nettement inférieures aux évolutions des années antérieures à 2010. Aux 80 000 entrées retenues, il suffirait de compter sur l’apport de 50 000 personnes supplémentaires. Nous voilà bien loin des prévisions migratoires apocalyptiques.

Nous pouvons ainsi suspecter le président candidat, rallié aux thèses les plus libérales sur ce dossier alors que sa position de 2017 le classait au centre gauche, de vouloir financer la dépendance à l’aide des cotisations retraites.

La jeune génération appréciera d’être à nouveau l’otage des « boomers » dont la grande majorité est loin du besoin. Bénéficiaires patrimonialement de la hausse ahurissante des prix de l’immobilier, empêchant les jeunes de se loger décemment dans les grands centres urbains, les voilà demandant aux actifs de les aider pour leurs vieux jours. En plagiant le programme libéral, le président candidat semble avant tout chercher à capter l’électorat fillonniste de 2017.

______

Par Bernard Laurent, Professeur, EM Lyon.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Syndicalisme « S’adapter ou mourir » (CFDT)

Syndicalisme « S’adapter ou mourir » (CFDT)

Le secrétaire général de la CFDT ne le nie pas : le syndicalisme est en danger de mort, pris en tenailles des profondes transformations (télétravail, digitalisation, plateformisation, externalisations, désaffection de la jeunesse) qui fragilisent son terreau : les collectifs « physiques » de travail, là où se tissent les liens humains et sociaux. Un paradoxe, car le syndicalisme n’a peut-être jamais été aussi essentiel, afin de riposter à la déshumanisation, lente et sournoise, dont ces mutations menacent le travail. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune – N°9 « Travailler, est-ce bien raisonnable? », actuellement en kiosque)

 

Depuis mars 2020 et l’irruption de la pandémie de Covid-19, le travail connaît des mutations importantes, brutales et inédites. S’en porte-t-il forcément moins bien ?

LAURENT BERGER - Tout dépend des déterminants que nous affectons au travail. Si l’on se réfère aux actes de production, qu’il s’agisse de biens ou de services, les travailleurs ont répondu présent. Et cela quelle que soit leur situation, en présentiel ou en télétravail – rappelons que 70 % des salariés exercent une activité non éligible à ce dernier. Les entreprises n’ont aucune raison de se plaindre de l’implication et du soin que les salariés ont apportés à tenir leur emploi. En revanche, un autre volet du travail jette l’ombre sur votre question : la manière dont l’exercice du travail a été appréhendé, expérimenté et vécu à l’épreuve de la vie personnelle. Et dans ce domaine, nous sommes loin de pouvoir en tirer tous les enseignements.

D’abord, il y a le télétravail, objet d’immenses paradoxes auxquels la CFDT elle-même est nécessairement confrontée, comme toute entreprise. Des collaborateurs ou adhérents y ont goûté avec plaisir, d’autres en sont écœurés. Tout dépend bien sûr du contexte – logement, distance, situation familiale, etc. Sur les manières de coopérer, l’efficacité des réunions, la dimension affective, la compétence collective, nous n’avons pas fini de mesurer les effets vertueux et ceux délétères. Toutefois, je ne peux m’empêcher de considérer que le sens du travail, par nature lié aux interactions humaines et sociales, pâtit globalement de ce phénomène. Ce qui fait qu’un emploi « humanise » : dialoguer, rencontrer, rire, parfois ferrailler, se constituer des amitiés (et même des amours), bref partager, se délite dans cette digitalisation accélérée du travail. Bien sûr aussi, le télétravail met en péril l’étanchéité des temps professionnel et personnel. Chez beaucoup, ces temps se sont entremêlés, la ligne de frontière est de plus en plus indétectable, ouvrant les vannes d’une intensification et d’une pression supplémentaires.

Enfin, que dire de tous ces travailleurs auparavant invisibilisés et dont on a « découvert » l’immense utilité… et l’immense injustice à laquelle le manque de reconnaissance et des rémunérations indigentes les confrontent ? Travailleurs du commerce, de la logistique, de l’agroalimentaire, du nettoyage, de la sécurité privée, ils sont enfin un peu mieux considérés. Et que dire des professionnels du soin ? Voilà plus de dix ans qu’à la CFDT nous alertons sur la situation dramatique de l’hôpital, et il a fallu une crise pandémique pour que politiques, médias et opinion publique s’en saisissent !

Le télétravail accélère la fragmentation des espaces et des moments « physiques » du travail collectif, il dissémine et isole les salariés, il met au défi les liens humains et sociaux, l’esprit de coopération, le sentiment d’appartenance, l’intelligence partagée, le « management humain » : pour ces raisons, il est un poison pour les organisations syndicales…

Les deux années extrêmement difficiles que nous avons tous passées l’ont été aussi pour les organisations syndicales – songez par exemple dans nombre d’entreprises que nous n’avions pas accès aux boîtes mail professionnelles des salariés, ce qui nous aurait permis d’entrer en contact avec eux. Le lien interpersonnel se tisse dans la confiance, et cette dernière dans l’action collective. Laquelle est contestée dans un contexte de modification durable des organisations du travail où entretenir le lien avec les travailleurs sera plus compliqué. Nous ne savons pas si cela traduit un reflux du collectif au bénéfice de la singularité de chacun ; or le télétravail précise cette dernière selon les conditions dans lesquelles on l’exerce et la manière dont on veut (ou non) l’inscrire dans une perspective collective. Comment reconstruire du collectif en prise avec le télétravail : voilà un immense défi pour les entreprises, mais aussi pour les organisations syndicales exhortées à se réinventer.

Faut-il craindre que les entreprises se saisissent de ce phénomène – spontané ou contraint – d’individualisation pour externaliser toujours plus, pour atomiser davantage les collectifs du travail – notamment en se déchargeant des contrats au profit de l’auto-entrepreneuriat ?

Le risque est à plusieurs niveaux. Faire télétravailler à 95 % condamne toute opportunité de rencontres « physiques » et d’interaction sociale. Et en effet, poussée à son paroxysme, la logique d’autonomisation des fonctions peut amener à externaliser les postes, et à substituer au salariat le statut d’entrepreneur individuel. À propos de ce statut qui a connu en 2021 un vif succès, on a tendance à se focaliser sur la face émergée de l’iceberg (indépendance, gestion de son temps et de son lieu de travail, etc.) mais sous la ligne de flottaison les dangers sont nombreux. Être salarié ou prestataire ne donne pas accès aux mêmes droits. Et ne confère pas au travail un même « sens ».

Justement, la quête de sens fait résonance avec une lame de fond, que la pandémie a exacerbée : la digitalisation (et, sous-jacentes, la dématérialisation et la délocalisation) du travail, qui concerne tout particulièrement une jeunesse par nature très peu sensible au syndicalisme. Comment vous adaptez-vous à ce qui ressemble à un péril pour les organisations syndicales ?

Le défi de réhumaniser les relations doit composer avec cette réalité du digital. Laquelle va bien davantage bouleverser le travail que l’emploi. Continuer de créer du lien, continuer de nourrir un sentiment commun d’appartenance à la condition de travailleur, continuer de traiter tout ce qui altère l’épanouissement au travail : risques d’aliénation, d’intensification, de précarisation, d’isolement, de statut dégradé, etc. Le défi est de continuer d’avoir un regard sur l’évolution du travail et de faire la démonstration de notre utilité – notamment en donnant une existence, une reconnaissance à tous ces emplois « invisibles ».

Le syndicalisme doit choisir : s’adapter ou mourir. Et au profit des droits à construire, il doit solliciter un levier capital : celui de la régulation, axé sur le partage de la valeur et de la gouvernance. Il faut absolument rééquilibrer les pouvoirs dans l’entreprise.

Le salut peut-il venir de l’Europe ? En tant que président de la Confédération européenne des syndicats (CES), qu’attendez-vous de manière concrète et réaliste de la présidence française de l’Union européenne qui s’étire jusqu’en juin ?

Un salaire minimum dans toute l’Europe n’est plus une utopie. Cette convergence sociale est indispensable. Ce sera compliqué, mais on peut y parvenir. Autres sujets : lutter contre l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes, un véritable scandale dont les entreprises se rendent coupables en dépit des lois. Accroître la protection et la couverture sociale des travailleurs indépendants, très vulnérables – une directive sur la présomption de salariat est en projet, qui mettrait fin à l’exploitation elle aussi scandaleuse de l’auto-entrepreneuriat « subi » ; que l’on cesse de nous prendre pour des abrutis en affirmant que l’on est pleinement heureux de traverser Paris sous la pluie et livrer une pizza pour quelques dizaines de centimes ! Enfin, au niveau européen, nous pouvons peser sur le comportement social et environnemental des entreprises – en leur sein mais surtout chez leurs sous-traitants hors Europe, dans les pays dépourvus de normes exigeantes. C’est l’objectif du combat que la CES mène en faveur d’une directive sur le devoir de vigilance au niveau européen.

Sur le thème du travail, que restera-t-il du quinquennat d’Emmanuel Macron ?

Une approche minimum. La priorité a été donnée à l’emploi (meilleur accès, moins de règles et de contraintes) avec un certain succès sur des points en particulier comme l’apprentissage, et donc le travail a été traité comme un « sous-produit ». Rien des attributs du travail que nous venons d’évoquer n’a été abordé. Pendant la pandémie, de bonnes mesures en faveur des travailleurs et de l’activité ont été mises en œuvre. Du futur président, j’attends qu’il décrète l’organisation de grandes Assises du travail, dédiées à cerner ce qu’est et ce que doit devenir le travail : qu’est-il désormais, à quoi et qui sert-il, comment inoculer du sens, par quels moyens faire lien, comment répartir la valeur, quelles organisations, etc. Une approche globale – sociologique, philosophique, économique, managériale, organisationnelle – pour positionner le travail au cœur de notre épanouissement, et au cœur de la société.

À quelles conditions le travail peut-il « faire réconciliation » entre l’employé et l’employeur ?

Juste avant d’entrer dans l’usine, de s’attabler à son bureau, d’ouvrir son commerce, ou d’enclencher le moteur de son camion, le travailleur ne sort pas son cerveau du crâne pour le laisser à la porte ! Tout travailleur peut être contributeur de son propre travail, de l’amélioration de son travail, d’une meilleure performance au travail, et donc il participe substantiellement à la réussite économique et sociale de l’entreprise… si on lui en donne la possibilité. Cela requiert quelques conditions : être écouté, considéré, respecté, configurer le travail pour qu’il soit source d’émancipation et de réalisation de soi, cultiver les opportunités de coopération et de partage – à tous points de vue, y compris dans la gouvernance. Il y a une place pour l’humanisme au travail.

……………………………………………………………….

Article issu de T La Revue n°9 « Travailler, est-ce bien raisonnable? » – Actuellement en kiosque et disponible sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

Revoir la politique des territoires outre-mer

 

Revoir la politique des territoires outre-mer

Par Antoine Joly(Ancien ambassadeur en Amérique latine et dans les caraïbes, ancien délégué à l’action extérieure des collectivités territoriales)

(Le Monde)

 

Tribune.

 

Lors du premier tour de l’élection présidentielle, les territoires d’outre-mer ont majoritairement voté Jean-Luc Mélenchon et, au second tour, Marine Le Pen. Dimanche 24 avril, le résultat en outre-mer a même été exactement l’inverse que le résultat global national : 58 % pour la candidate du Rassemblement national, contre 42 % pour le président sortant. L’outre-mer a-t-il basculé dans l’extrême droite et ses luttes contre les migrations, ou est-elle devenue subitement « insoumise » ?

Le plus vraisemblable est que nos outre-mer sont arrivés à une étape de leur histoire où la relation avec la métropole doit être profondément reformée. Les choix nationaux proposés lors des élections générales françaises ne correspondent plus aux aspirations des citoyens français de l’océan Indien, des Caraïbes ou de l’Amérique du Sud et aux difficultés particulières de ces territoires.

La réponse aux problèmes spécifiques de régions insérées dans un environnement bien différent de la métropole ne peut désormais venir que des territoires eux-mêmes et de leurs habitants. Y compris sur des sujets considérés comme régaliens. On pourrait commencer par les questions de sécurité, de politique migratoire ou de nationalité, ou encore la santé, mais je voudrais dans ce court espace évoquer la politique étrangère.

Il est habituel de dire que nos territoires sont une chance pour la France, porte d’entrée en Amérique latine, aux Caraïbes ou dans l’océan Indien. La réalité est toutefois beaucoup plus contrastée. Le Quai d’Orsay, en laissant largement la main au ministère des outre-mer pour l’intégration régionale de ces territoires, s’est en partie désintéressé d’une diplomatie de proximité, tandis que l’outre-mer se focalise surtout sur les questions de sécurité.

Les élus locaux, quant à eux, légitimes pour porter une ambition régionale, considèrent à raison qu’ils n’en ont pas la compétence constitutionnelle s’agissant de relations avec d’autres Etats, sauf à demander expressément, et à chaque fois, l’autorisation à Paris.

Surtout, la présence de territoires français en Amérique du Sud, dans la Caraïbe ou l’océan Indien donne malgré tout à notre pays dans ces régions l’image d’une nation dont les horloges restent réglées au siècle précédent. Ces territoires aujourd’hui pèsent donc plus sur nos relations internationales dans la zone qu’elles les servent.

Si la Communauté des Caraïbes (Caricom) est si frileuse à accepter les Antilles et la Guyane comme membres associés, c’est en grande partie parce qu’elle a l’impression qu’elle ferait entrer Paris dans cette enceinte plutôt que Cayenne, Fort-de-France ou Pointe-à-Pitre. Pour les mêmes raisons, la France n’est pas membre de l’Organisation du traité de coopération amazonienne (OTCA) par le refus des autres Etats membres, alors que son territoire en recouvre une partie avec la Guyane.

Conséquences de l’inflation : l’austérité

Conséquences de l’inflation : la sobriété pour tous

Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC, Geoffroy Roux de Bézieux,  pésident du Medef, ainsi que l’économiste Patrick Artus et le politologue Jérôme Fourquet ont débattu dans le « Monde » des urgences économiques et sociales, jeudi 28 avril, à l’aube du second quinquennat d’Emmanuel Macron.

 

La syndicaliste, le patron, l’économiste et le politologue s’inquiètent des ravages de l’inflation et de son impact sur le pouvoir d’achat et les comptes publics.

Le paysage politique

Jérôme Fourquet : [L’élection présidentielle de] 2017 n’était pas un accident. Le paysage électoral se met tardivement en conformité avec la réalité économique, sociale et culturelle du pays, qui s’est profondément métamorphosé en quelques décennies. Le Parti socialiste et Les Républicains ne représentent plus que 6,5 % des suffrages exprimés. Un nouveau duopole s’installe, mettant aux prises La République en marche et le Rassemblement national. Il n’est pas aussi structurant et agrégateur que par le passé. Ainsi, la France mélenchoniste ne se reconnaît ni dans l’un ni dans l’autre.

En outre, ce duopole met en scène une société en millefeuille, avec un haut qui regarde le bas, et un bas qui regarde le haut : 74 % des cadres et des professions intellectuelles au second tour [de la présidentielle d’avril 2022] ont voté pour Emmanuel Macron, 65 % des ouvriers ont choisi Marine Le Pen. Cette situation est compliquée à gérer politiquement, socialement et économiquement, dans un contexte où les préoccupations autour du pouvoir d’achat sont très fortes.

Pascale Coton : La fracture entre ville et campagne que nous dénonçons depuis des années se reflète dans le résultat de l’élection. Emmanuel Macron réalise ses meilleurs scores dans les grandes villes, Marine Le Pen dans les campagnes, où les habitants éprouvent des difficultés pour aller travailler et sont souvent confrontés à une nette dégradation des services publics. On dit constamment au salarié qu’il y aura un déficit de la retraite, de la Sécurité sociale… Comment voulez-vous qu’il arrive à se projeter correctement et positivement avec ses enfants confrontés à une école abîmée ces dernières années, et une organisation du travail chamboulée ?

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le vote RN progresse dans les territoires ruraux et périurbains

Geoffroy Roux de Bézieux : Paris a voté à 85 % pour Emmanuel Macron, Colombey-les-deux-Eglises, le village du général de Gaulle, a donné pour la première fois une majorité au Rassemblement national [avec 56,73 % des voix]. Le sous-jacent de cette situation est d’abord économique, avant d’être identitaire. Plus un territoire est désindustrialisé et en perte d’emploi, plus il vote pour les extrêmes. Il faut faire renaître une Datar [Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale] moderne, capable de penser l’aménagement du territoire et l’attractivité régionale. Le développement de la croissance économique dans des villes moyennes qui n’ont pas de spécificités est un sujet majeur.

 

Patrick Artus : Nous sommes revenus dans un monde de rareté. Nous avons un problème de ressources, d’énergie, de matières premières, de transport, de composants, et même d’emploi. A cela s’ajoutent les sanctions contre la Russie et la transition énergétique. La production mondiale de lithium doit être multipliée par 40 pour équiper nos véhicules électriques. Tout cela crée de l’inflation, comme à l’époque des années 1970-1990. Cela va conduire à une remontée des taux d’intérêt, qui imposera des contraintes budgétaires et donc la fin du « quoi qu’il en coûte ». Cela change complètement l’action publique.


Si nous avions aujourd’hui une parfaite indexation des salaires sur les prix et une parfaite indexation des prix sur les coûts des entreprises, nous nous dirigerions vers 20 % d’inflation. Celle que nous avons en Europe aujourd’hui, qui n’est pas loin de 8 %, n’est que l’effet mécanique des matières premières. Il n’y a eu aucun effet boule de neige. Le risque est donc devant nous.

Économie : changement de paradigme avec le retour de la stagflation

Économie   : changement de paradigme avec le retour de la stagflation

 

Il est clair que la plupart des programmes électoraux n’ont  tenu aucun compte de l’évolution économique et que de ce point de vue,  ils sont largement obsolètes car les moyens évoqués notamment financiers sont illusoires.

Bref, un changement de paradigme avec le retour de la stagflation

Jusque-là en effet on se réjouissait à juste titre d’une nette reprise de la croissance et d’une grande maîtrise de l’inflation. Or aujourd’hui, on connaît l’inverse avec un net ralentissement de l’activité qui se traduit notamment en France pour le premier trimestre par une absence de croissance du PIB. Dans le même temps l’inflation se situe sur une perspective de 5 à 6 %. Du coup,le pouvoir d’achat des consommateurs est largement entamé  puisque salaires, épargne et pensions ne suivent pas. La conséquence est une baisse de la consommation qui vient impacter la croissance. Malheureusement avec le maintien d’un très haut niveau des prix du fait des perturbations logistiques qui perdurent notamment avec la Chine, de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine.

La consommation des ménages, traditionnel moteur de la croissance tricolore a reculé au cours du premier trimestre à -1,3% après 0,6%.

La flambée des contaminations due au virus Omicron en fin d’année 2021 au moment des fêtes de Noël et pendant les premières semaines de 2022 a considérablement pesé sur le moral des ménages. Du côté des investissements, les chiffres montrent une lente progression à 0,2% contre 0,3% au T4. La dynamique est principalement portée par les entreprises et les administrations publiques. En revanche, les dépenses d’investissement des ménages sont en repli de -1,1%.

Initialement le gouvernement a fixé l’augmentation de la croissance à 4 % en 2022. Un objective maintenant impossible à accroître et qui mécaniquement faute de recettes fiscales et de dépenses supplémentaires va encore accroître le déficit budgétaire et la dette. Une dette colossale passée de 100 % avant la crise sanitaire à 115 % fins 2021 et qui va encore s’accroître ne serait-ce que pour financer les dépenses de fonctionnement.

Du coup, la plupart des promesses faites dans le cas de la campagne électorale risque d’être remise en cause.Croissance en berne, inflation record, déficit amplifié et explosion de la dette vont exiger un changement de paradigme par rapport aus scénarios théoriques de la campagne électorale. Sans parler des risques de l’environnement géostratégique.

Environnement : l’obsolescence du modèle individuel de voiture

Environnement : l’obsolescence du modèle individuel de voiture 

 

Quelque 81 % des kilomètres parcourus par les Français le sont en voiture et le taux d’occupation est de 1,3 passager par véhicule. Dans une tribune au « Monde », des élus et des experts en transport appellent à une mobilité intelligente et durable.

 

Le seul secteur de l’Union européenne dont les émissions de gaz à effets de serre (GES) augmentent, quand celles de tous les autres diminuent ? Les transports. Le secteur le plus émetteur en France ? Les transports. Dont plus de la moitié des émissions (54 %) proviennent des véhicules particuliers.

La transition impose donc de révolutionner le modèle obsolète de la voiture individuelle. Sachant qu’elle représente encore 81 % des kilomètres parcourus par les Français, un changement complet de vision est indispensable, avec en particulier le taux d’occupation (TO) comme nouvelle boussole.

La démocratisation de l’accès aux véhicules depuis un siècle a conduit à une individualisation de leur usage : aujourd’hui, le taux d’occupation des voitures, en baisse constante, est de seulement 1,3 personne pour les trajets quotidiens. Soit un taux de gaspillage de la capacité de transport de presque 75 %.

Conséquences : une hausse du trafic et donc des impacts, sur le climat mais aussi des pollutions atmosphérique et sonore, l’artificialisation des sols (étalement urbain et infrastructures), la qualité de vie (pouvoir d’achat, congestion, etc.). Pourtant, en matière de mobilité, les pistes d’action arbitrées jusqu’à présent pour enclencher la transition perpétuent ce modèle individualiste, qui confine à l’absurde.

Les solutions technophiles ? Par le passé, les gains de performance des véhicules thermiques ont été compensés par d’autres effets (masse augmentée, TO diminué, etc.). Actuellement, l’énorme et nécessaire effort public et privé engagé pour électrifier les véhicules ne permettra d’avoir renouvelé le parc que vers 2040 au mieux. Par ailleurs, l’électrification ne résoudra pas seule certains enjeux (émissions sur le cycle de vie, congestion, précarité de mobilité, etc.). La technologie est nécessaire, mais insuffisante.

Le report modal vers des déplacements moins polluants ? Si les transports collectifs ont été développés avec succès en zones denses, les véhicules particuliers continuent de représenter 75 % du trafic. D’où l’importance de mettre l’accent sur les zones moins denses, périurbaines et rurales – dans lesquelles il n’y a pas assez de passagers pour remplir un bus de cinquante places toutes les dix minutes. Quant au vélo, s’il prend depuis quelques années un essor significatif avec un potentiel d’impact réel, il ne répond pas à tous les besoins de déplacement.

Sortir du « système voiture individuelle » inefficace impose d’aller plus loin et de changer radicalement de point de vue sur la mobilité routière. Cela passe par la définition d’indicateurs fiables mesurant l’efficacité environnementale et économique du « système routier » (véhicules + infrastructures).

Environnement : Conférence Mondiale biodiversité menacée?

Environnement : Conférence Mondiale biodiversité menacée?

Le grand rendez-vous mondial visant à freiner l’effondrement du vivant doit se tenir en Chine à la fin de l’été. Mais sa préparation s’avère complexe, et le pays hôte, peu impliqué, n’en a toujours pas confirmé la tenue.

 

Analyse.

 

La COP15 n’est pas sur les bons rails. La COP… 15 ? Non, il n’y a pas d’erreur de chiffre : en novembre 2021, c’est bien la 26e conférence mondiale sur le climat qui s’est tenue à Glasgow, en Ecosse. Mais, en parallèle des négociations climatiques, une autre Convention-cadre des Nations unies, la Convention sur la diversité biologique, créée en 1992, organise tous les deux ans d’autres « Conférences des parties » (COP), portant cette fois sur la biodiversité.(le « Monde »)

Moins connus, ces rendez-vous n’en sont pas moins importants. L’enjeu de cette COP15, annoncée jusqu’ici pour la fin de l’été à Kunming, en Chine, est même vital : il s’agit d’adopter un nouveau cadre mondial pour mettre un terme à l’érosion de la biodiversité d’ici à 2030. Les accords d’Aichi, signés en 2010, prévoyaient déjà d’atteindre cet objectif en… 2020, mais ils ont échoué quasiment sur toute la ligne. Beaucoup espèrent que l’accord de Kunming sera, pour la nature, l’équivalent de ce que l’accord de Paris a été pour le climat, en matière de prise de conscience et d’engagements.

Fin mars, une session de négociations s’est donc tenue à Genève, en Suisse, pour préparer cette COP, et notamment le projet de cadre mondial. Hélas, les progrès ont été bien plus limités qu’espéré. Un symbole résume, à lui seul, la lenteur avec laquelle ont progressé les discussions : les crochets. Dès qu’une délégation n’est pas d’accord avec l’un des termes proposés, celui-ci est mis entre crochets. A Genève, le projet d’accord, construit autour de vingt et un objectifs concrets pour 2030, s’est ainsi rempli de crochets au point de ressembler, selon les mots des organisateurs, à un arbre de Noël auquel chacun aurait accroché sa guirlande de propositions.

Bien sûr, cette étape où les textes « gonflent » pour prendre en compte l’ensemble des points de vue est indispensable et inhérente au processus de négociation. Encore faut-il qu’ils puissent « dégonfler » à temps, au fur et à mesure qu’émergent des consensus. Le processus peine à avancer. L’agenda des quinze jours de travail, au cours desquels trois discussions ont été menées en parallèle (sur les aspects scientifiques et techniques, sur la mise en œuvre et sur le texte qui sera finalement adopté), était extrêmement chargé. Les 2 000 délégués de 151 pays se rencontraient aussi pour la première fois après deux années de discussions à distance : il faut du temps pour renouer le contact et bâtir la confiance.

Mais, malgré l’implication de la majorité des représentants et des avancées manifestes sur l’objectif de protéger 30 % des terres et des mers d’ici à 2030, ou sur l’inclusion des peuples indigènes, par exemple, le travail qu’il reste à mener pour espérer un succès de la COP est colossal. Sur l’enjeu-clé du financement, le clivage entre pays développés et en développement s’est durci en Suisse et ne sera pas facilement résolu.

La Chine veut tuer la démocratie monde

La volonté d’hégémonie de la Chine sur le monde

Dans la troisième édition de son ouvrage, Jean-Pierre Cabestan note une inflexion plus belliqueuse dans la volonté de puissance de la Chine, qui souhaite imposer son leadership.

 

La Politique internationale de la Chine de Jean-Pierre Cabestan, 3e édition, Presses de Sciences Po, 720 p., 26 euros.

Analyse dans le » Monde »

 

  Il y a sept ans, en 2015, lorsque le sinologue Jean-Pierre Cabestan achevait la première réédition de son essai La Politique internationale de la Chine (Presses de Science Po), il n’avait pas éprouvé le besoin de modifier le titre de sa conclusion. « Volonté de puissance et fragilités de la Chine populaire », le titre retenu lors de la première publication du livre, en 2010, lui semblait toujours d’actualité. En revanche, dans la troisième édition qui vient de paraître, le directeur de recherche au CNRS change radicalement de perspective. Le titre de sa conclusion sonne désormais comme une mise en garde : « Intégration, volonté de puissance et risques de guerre ». Tout est dit.

Depuis l’arrivée de Xi Jinping à la présidence de la République, en mars 2013, la Chine revendique une place centrale dans le concert des nations. Rien que de très normal, vu qu’elle est non seulement le pays le plus peuplé, mais également celui qui, d’ici à la fin de la décennie, devrait produire le plus de richesse, avec un PIB qui s’apprête à détrôner celui des Etats-Unis. Alors que nombre d’historiens et de diplomates s’interrogent pour savoir si la Chine accepte de s’inscrire dans l’ordre international tel qu’il a été redéfini après la seconde guerre mondiale, Jean-Pierre Cabestan remarque que « par sa masse, son histoire, sa rapide remontée en puissance et l’influence internationale qu’elle a acquise ou recouvrée, la Chine ne peut être qu’une puissance presque naturellement, ou plutôt mécaniquement, révisionniste ».

Pour qui n’en serait pas convaincu, les 330 pages que l’ouvrage consacre aux différentes relations bilatérales que la Chine entretient avec le reste du monde (Etats-Unis, Japon, Inde, Russie et Asie centrale, Union européenne, pays émergents…) sont éclairantes. On y suit pas à pas la montée en puissance économique, diplomatique, mais aussi militaire de la Chine, pays qui dispose à la fois du premier réseau diplomatique au monde et du plus grand nombre de navires militaires. Mais Jean-Pierre Cabestan ne se contente pas de décrire la diplomatie bilatérale de Pékin, il présente d’abord de façon détaillée les orientations générales de la politique de sécurité de Pékin et les principales instances de décision chargées de les mettre en œuvre. Hormis la psychologie personnelle de Xi Jinping, Jean-Pierre Cabestan passe tous les aspects de la question en revue dans ce livre, qui n’a pas d’équivalent en français.

Nouvelle guerre froide

Comme le titre de la conclusion le prouve, son constat n’est guère optimiste. Car non seulement la Chine est « par nature » révisionniste, mais son idéologie l’est également. Et c’est là que le bât blesse. « Plus que jamais, la République populaire compte modifier l’ordre international dans un sens qui lui est favorable, afin non seulement de mieux protéger ses intérêts fondamentaux, mais aussi d’affaiblir l’Occident et plus largement les démocraties, et d’instaurer ainsi son leadership mondial », met en garde ce juriste établi à Hongkong.

Covid France 2 mai 2022 :+36.726 nouveaux cas en 24h.

Covid France 2 mai 2022 :+36.726 nouveaux cas en 24h.

On enregistre ce dimanche 1 mai 2022 : +36.726 nouveaux cas en 24h,145.962 morts au total, +32 morts supplémentaires. Le nombre de décès en EHPAD et EMS fait état de 28.769 (+10) décès au total. Le nombre total de décès en milieu hospitalier est lui de 117.193 (+22 en 24h).

Le taux de reproductivité R est de 0,74 le taux d’incidence à 631,24 et la tension hospitalière à 30,8 %. Le taux de positivité est à 21,8 %.

La France compte actuellement 23.327 (+25) personnes hospitalisées et 1.557 (-5) malades en réanimation.

Selon les données de Santé Publique France, Découvrez le bilan des différentes régions françaises et leur évolution :

  • Ile-de-France : 4.949 (+17) hospitalisées, 397 (0) en réanimation et +2 décès en 24h
  • Grand Est : 2.017 (+6) hospitalisés, 130 (0) en réanimation et 0 décès en 24h
  • Hauts de France : 2.162 (-7) hospitalisés, 163 (-1) en réanimation et +3 décès en 24h
  • Auvergne Rhône Alpes : 2.504 (+3) hospitalisés, 146 (-1) en réanimation et +2 décès en 24h
  • Provence-Alpes Côte d’Azur : 2.104 (-3) hospitalisé, 129 (0) en réanimation et +3 décès en 24h
  • Bretagne: 947 (-4) hospitalisés, 55 (-1) en réanimation et +5 décès en 24h
  • Normandie : 1.790 (+1) hospitalisés, 72 (0) en réanimation et 0 décès en 24h
  • Nouvelle-Aquitaine : 1.576 (-2) hospitalisés, 106 (+3) en réanimation et +4 décès en 24h
  • Pays de la Loire : 795 (+5) hospitalisés, 62 (+3) en réanimation et +1 décès en 24h
  • Occitanie: 1.858 (0) hospitalisés, , 135 (-6) en réanimation et +2 décès en 24h
  • Centre-Val de Loire : 969 (+1) hospitalisés, 59 (-2) en réanimation et 0 décès en 24h
  • Bourgogne-Franche-Comté : 1.057 (+4) hospitalisés, 70 (-1) en réanimation et 0 décès en 24h
1...3637383940



L'actu écologique |
bessay |
Mr. Sandro's Blog |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | astucesquotidiennes
| MIEUX-ETRE
| louis crusol