Dette publique : Les désaccords au sein de l’Union européenne
En raison de la pandémie, les critères de Maastricht portant sur les budgets et la dette publique ont été suspendus. L’Allemagne plaide en faveur d’un retour à leur application, contrairement aux pays du Sud de l’Europe, Italie et France en tête, qui parient sur la croissance pour réduire les déficits. Un choix qui n’est pas sans risque. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs à l’Essec ( la Tribune)
Au début de la crise du Covid-19, en mars 2020, l’Union européenne (UE) a activé la clause générale de sauvegarde qui suspend la règle prudentielle de gestion budgétaire (Fiscal Compact), notamment le déficit maximal de 3%. Les gouvernements du Sud de l’Europe ont assimilé cet assouplissement à une licence à dépenser sans limites, le retour à la règle budgétaire étant remis aux calendes grecques. Cette semaine, l’UE a décidé de maintenir la suspension pour 2023.
La crise du Covid-19 pouvant être aujourd’hui considérée comme passée les pays européens font maintenant face à la gestion de la dette post-Covid-19 et aux divergences qu’elle révèle. Le point de vue exprimé par Christian Linder, le ministre allemand des Finances, dans le Financial Times du 21 mai 2021, semble en opposition nette avec le point de vue exprimé dans la lettre commune rédigée par Emmanuel Macron et Mario Draghi, le 31 décembre 2021 dans le même journal.
La croissance ne se décrète pas
Selon le duo latin, la bonne manière de réduire le poids de la dette est de favoriser la croissance. S’il est exact qu’une forte croissance réduise automatiquement le poids de la dette par rapport au PIB, nous sommes dubitatifs de voir les deux dirigeants des économies parmi les moins dynamiques de la zone euro faire fond sur cette stratégie. En effet, la croissance ne se décrète pas et ne s’est encore jamais obtenu à coup de grands plans de réindustrialisation et d’investissements publics dans la recherche. Si les deux compères tablent sur une croissance nominale nourrie par l’inflation, ils commettent une erreur grave en imaginant que les taux d’intérêt vont rester constants. En effet, le taux des obligations du trésor est sur le point d’augmenter avec l’inflation anticipée, et, face à l’inflation actuelle, la BCE n’a plus la capacité de racheter des dettes sans limite, sous peine de dégrader encore plus ces anticipations d’inflation.
Le ministre allemand Christian Linder plaide sans surprise pour un retour rapide aux règles pré-Covid-19 de déficits maitrisés et affirme clairement que si les pays membres de la zone euro peuvent encore actuellement dévier de la règle budgétaire, cela ne signifie pas qu’il est raisonnable de le faire.
L’Allemagne présente une gestion des finances publiques extrêmement rigoureuse, dont le principe de stabilité est gravé dans la constitution. En 2019, le ratio dette sur PIB de l’Allemagne était de 58,9% du PIB. Pendant la crise du Covid-19, le pays a mis en place de fortes mesures de soutien budgétaire qui ont porté la dette à 69,3% du PIB en 2021, ratio toutefois inférieur à son endettement de 2015 (données Eurostat). A situation exceptionnelle réponse exceptionnelle, puis ce pays s’est orienté vers un retour rapide à l’équilibre budgétaire, le déficit public allemand passant de -4,3% en 2020 à -3,7% en 2021.
La situation en Italie, Espagne, France et autres pays du Sud était déjà dans le rouge avant le Covid-19 avec des dettes publiques sur PIB respectivement de 134%, 98,3% et 97,4% en 2019. La lutte contre le Covid-19 les a fait passer à respectivement 150,8%, 118,4% et 112,9% du PIB en 2021. Avec des déficits publics à -6,9%, -7,2% et -6,5% en 2021, le retour rapide du déficit sous la barre des 3% semble être impossible. En France, où la campagne présidentielle a donné lieu à un concours de promesses et largesses électorales de tous les candidats, François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, s’est senti obligé, le 10 mai, de recommander à Emmanuel Macron de restreindre ses ambitions dépensières ou de nouvelles réductions d’impôts.
Un raisonnement superficiel nous dit que lorsque la dette publique représente 100% du PIB, si le taux d’intérêt augmente de 1 point de pourcentage, le coût de la dette augmente de 1% du PIB. Dans la mesure où les obligations du Trésor ont des maturités très variées, l’impact de la hausse du taux d’intérêt n’est pas immédiat mais il faut toutefois anticiper ses effets. D’ailleurs une partie de l’endettement public est basé sur des obligations indexées sur l’inflation qui répercutent immédiatement les anticipations d’inflation. En 2021, la charge d’intérêt de la dette a rebondi de 5 milliards d’euros comparé à 2020, essentiellement en raison de ces instruments.
Si le gouvernement se décide à adopter une politique de rigueur budgétaire, la réduction du poids de la dette ne va pas non plus être immédiate. Pour prendre un exemple simple, en supposant que le déficit primaire soit nul, avec un taux d’intérêt à 2% et une croissance nominale à 5%, la réduction du ratio dette/PIB de 100% à 60% prendrait… 17 ans. Avec un taux d’intérêt de 1%, il faudrait quand même 13 ans pour revenir à 60%.
Nous nous réjouissons du fait qu’Emmanuel Macron a décidé de mettre en place une planification énergétique pour réduire les émissions de carbone en ligne avec ses engagements européens. Il serait tout aussi sage de mettre en place une vraie planification budgétaire. S’il ne faut pas laisser la planète en piteux état aux générations futures, il ne faut pas non plus leur léguer une montagne de dettes publiques ayant essentiellement servi à soutenir le confort de cette génération. Si le débat est vif sur la règle budgétaire que l’Union européenne devrait adopter dans le monde d’après Covid-19, il est fort probable que la discipline budgétaire sera imposée aux gouvernements par le marché lui-même via la remontée des taux d’intérêts et le coût de la dette. Dès lors, la réduction de la dette relève plus de la sagesse pratique que de la discipline dogmatique.
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