Législatives : Des retournements de veste pitoyables
Maxime Tandonnet explique que les retournements de veste’à l’occasion des législatives sont particulièrement pitoyables et mortelles pour la classe politique (Le Figaro)
TRIBUNE - Les personnalités qui, avant ou après la présidentielle, ont abandonné le parti de la droite classique pour Emmanuel Macron, contribuent au discrédit de LR et au rejet des politiques en général, s’inquiète l’historien.
Historien et essayiste, Maxime Tandonnet est l’auteur de nombreux ouvrages salués par la critique. Il a notamment publié 1940: un autre 11 Novembre (Tallandier, 2009), Histoire des présidents de la République (Perrin, 2013, édité en poche dans la coll. Tempus et actualisé en 2017), Les Parias de la République (Perrin, 2017) et André Tardieu, l’incompris (Perrin, 2019). Dernier ouvrage paru : Georges Bidault. De la Résistance à l’Algérie française (Perrin, 2022, 368 p., 23,50 €).
Le mot « trahison » a pris une place importante dans le discours politique de ces derniers mois. Pour Carole Delga, présidente socialiste du conseil régional d’Occitanie, « Le dégoût que les Français ont pour la politique, ce sont toutes ces trahisons ». Le député LR Aurélien Pradié l’affirme: « Quelqu’un qui trahit sa famille politique pour une gamelle est un traître, évidemment ». Par-delà le caractère infamant des termes de « trahison » et de « traître », force est de constater que les retournements de veste ont pris depuis quelques années une ampleur jusqu’alors inusitée sous la Ve république.
En certaines périodes particulièrement confuses des régimes précédents, il était habituel d’associer, dans un même gouvernement des personnalités issues de courants politiques antagonistes. À la fin de la IIIème République à partir de 1935, les cabinets mêlaient indifféremment des hommes présumés de droite comme Flandin ou Laval et d’autres marqués à gauche, tels Daladier ou Chautemps. De même sous la IVème République agonisante à compter de 1954 se retrouvaient dans les mêmes ministères des personnalités de tout bord. Telle était la règle du jeu.
Par réaction, la Ve République a longtemps fonctionné sur une logique de clivage entre une majorité et une opposition, relativement homogènes. Cependant, la réélection en 1988 du président Mitterrand et la désignation de Michel Rocard a donné lieu à quelques «débauchages » de personnalités classées jusqu’alors dans le camp de la droite et du centre. Puis en 2007, le président Sarkozy a constitué son gouvernement en donnant une place importante à « l’ouverture » c’est-à-dire la désignation emblématique de personnalités de gauche dans son gouvernement, à l’image de Bernard Kouchner aux Affaires étrangères. Ces nominations paradoxales restaient l’exception.
À l’issue de son élection à la présidence de la République en 2017, le président Macron, lui, a pris l’option de « déconstruire » un fondamental de la Ve République qui est l’opposition droite-gauche. Cet ancien conseiller, puis ministre de l’Économie des gouvernements socialistes de François Hollande, s’est doté en 2017 d’un premier ministre issu de la droite, Édouard Philippe, et de plusieurs ministres importants venus du même camp, associés à ses fidèles venus pour la plupart du parti socialiste.
Le ralliement à la candidature Macron d’une partie des notables de LR – déstabilisés par l’effondrement de la candidature de François Fillon – avait d’ailleurs été manigancé de longue date par « le groupe de Bellota (nom d’un restaurant où ils se réunissaient), comme le révèle Patrick Stefanini dans son livre Déflagration (Robert Laffont 2017).
Le jeu des « débauchages » dans le camp de la droite républicaine a repris à l’occasion des élections nationales de 2022. Deux personnalités de premier plan de LR, exerçant des responsabilités stratégiques à l’Assemblée nationale, ont ainsi changé de camp pour rallier le macronisme : Éric Woerth, président de la commission des finances avant la présidentielle et Damien Abad, président du groupe LR, dans la perspective des législatives.
Ces ralliements, quoique moins nombreux cette fois-ci qu’il était escompté, ont eu un effet ravageur pour la droite dite de gouvernement. Cumulés aux précédents intervenus en 2017, la cascade des défections en faveur de la présidence Macron a eu pour effet de dévaster la réputation d’un courant politique. Le soupçon d’infidélité aux engagements et aux convictions a rejailli – injustement – sur l’ensemble du mouvement : quelle confiance accorder à des hommes et des femmes si prompts, même potentiellement, à retourner leur veste et se compromettre dans le camp adverse ?
Pour l’opinion, ces ralliements sont bel et bien perçus comme relevant de l’opportunisme ou de la compromission et nourrissent une image extrêmement délétère de la politique ressentie comme une course aux fromages au détriment des convictions, de l’honneur et de l’intérêt général
Maxime Tandonnet
Ces vagues de transfert ont eu aussi pour effet d’accréditer l’idée d’une fongibilité entre macronisme venu du PS et droite dite « de gouvernement ». Elles sont en partie à l’origine de la débâcle de LR à la présidentielle et des sondages préoccupants pour ce parti en vue des législatives.
Les transfuges utilisent deux justifications.
La première est qu’ils ne se reconnaîtraient plus dans leur ancien parti qui selon eux, « court après l’extrême droite ». Mais les mêmes n’exprimaient aucune réserve quand leur parti avait le vent en poupe en tenant un discours au moins aussi droitier qu’aujourd’hui et triomphait, en 2007, sous l’étendard de l’identité nationale. Par ailleurs, ils affirment que le président Macron a réalisé « les réformes que la droite n’a jamais osé faire ». Pourtant, avant leur ralliement, ils n’étaient pas les derniers à fustiger une politique aux antipodes des projets de la droite : hausse vertigineuse des dépenses, des déficits et de la dette publique, augmentation considérable des flux migratoires, PMA sans père remboursée par la sécurité sociale, nivellement par le bas en matière éducative (effondrement du niveau scolaire), saccage des libertés individuelles pendant la crise sanitaire, fulgurant déclin industriel (déficits commerciaux records), violence en augmentation débridée, aggravation de la pauvreté et de l’assistanat (2 millions de RSA), etc.
Pour l’opinion, ces ralliements sont bel et bien perçus comme relevant de l’opportunisme ou de la compromission et nourrissent une image extrêmement délétère de la politique ressentie comme une course aux fromages au détriment des convictions, de l’honneur et de l’intérêt général. Environ 80% des Français ont une vision négative de la politique selon une enquête annuelle de Cevipof. Cette crise de confiance est la source d’un profond malaise démocratique, de la montée de l’abstentionnisme, de la poussée fulgurante des votes « antisystème » ou démagogique de gauche ou de droite. Elle conduit inévitablement, tôt ou tard, à la révolte et au chaos. La banalisation de la déloyauté en politique a toute sa part dans ce naufrage.
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