Santé : cri d’alarme
Le médecin anesthésiste-réanimateur Philippe Bizouarn dénonce une gestion des hôpitaux publics centrée sur la seule rentabilité financière, cause première de leur mauvaise organisation et des tensions en matière de personnel.( Le Monde)
D’où parle M. Véran quand il affirme, le 12 mai sur BFM-TV, que les problèmes du manque de soignants, entraînant la fermeture de lits et de services hospitaliers, ne résultent pas uniquement d’un problème de salaires, mais d’organisation ?
Il a raison de dire qu’il y a un réel problème d’organisation à l’hôpital public, quand les fermetures de lits et de services provoquent un chaos au sein de l’hôpital, obligeant les soignants à changer d’horaires, à revenir sur leurs congés, à prendre en charge des patients dont ils ne connaissent pas toujours très bien la pathologie. Il a raison de dire que ce problème d’organisation risque de conduire à une forme de maltraitance pour les professionnels survivants et pour les patients dans l’attente d’un lit pour être soignés convenablement.
Mais ne confond-il pas l’effet et la cause ? La désorganisation « organisée » n’est-elle pas le résultat des politiques de santé engagées depuis plusieurs dizaines d’années, centrées sur la seule rentabilité financière des hôpitaux publics ? La désorganisation – cause de toute chose – ne résulte-t-elle pas du manque de moyens que la crise du Covid-19 avait occulté en partie ? On a cru que cette crise sanitaire allait permettre une remise en question des politiques néolibérales de santé publique, or il s’avère qu’en 2022 rien n’a été fait, au contraire de ce qu’affirme le gouvernement en répétant que des milliards ont été alloués à l’hôpital public. Dans de nombreux établissements, il manque des millions pour « boucler » le Ségur – ce mantra répété par le ministre –, reportant les demandes de renforts nécessaires pour remédier au manque de personnel. Les hôpitaux ne sauraient pas organiser la pénurie ? Ne sauraient-ils plus attirer les soignants – si grassement payés maintenant ?
L’autre nom de la désorganisation est la bureaucratie. M. Véran a en effet raison quand il souligne que les charges administratives qui pèsent sur les soignants les empêchent de tenir cette main-là, de rassurer ce patient-là, quand il faut tracer, noter, entrer des données abstraites sur les ordinateurs du service, et les traiter ensuite pour le comptage. M. Véran a mille fois raison de souligner que cette lourdeur insensée ne peut que nuire à la qualité du travail. Mais cette lourdeur administrative n’est-elle pas la conséquence d’une forme de privatisation de l’hôpital dont le seul impératif catégorique serait l’équilibre des dépenses ?
Heureusement, comme l’affirme M. Véran, que « la qualité et la sécurité des soins sont au rendez-vous » ! Les patients allongés sur leur brancard pendant des heures aux urgences pourraient en témoigner. Sans oublier, hélas, les familles endeuillées après qu’un des leurs est décédé dans ces couloirs où les soignants, héros malgré eux, s’inquiètent de ne pas trouver de lit pour ce patient-là. Heureusement, comme l’affirme encore le ministre, que « tous les Français qui doivent accéder à des soins d’urgence y accèdent ». Les habitants de Senlis (Oise), de Redon (Ille-et-Vilaine), de Bailleul (Sartre) et de bien d’autres petites villes, obligés de se déplacer à plusieurs dizaines de kilomètres pour trouver un service d’urgences ouvert, sauront apprécier les propos du ministre. La faute sans doute au manque de praticiens libéraux, détachés des gardes, refusant de nouveaux patients car débordés, poussant ceux-ci aux urgences de l’hôpital le plus proche. M. Véran, encore une fois, a raison, en reconnaissant l’inégal accès aux soins dans ces déserts où l’ensemble des services publics fait défaut.
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