La Constitution n’impose pas une pratique jupitérienne
La conception verticale du pouvoir sous la Vᵉ République est héritée d’une pratique gaullo-mitterrandienne dont le locataire de l’Elysée pourrait s’affranchir, sans avoir besoin de réviser la Constitution, observe le professeur de droit public Matthieu Caron dans une tribune au « Monde ».
La présidence jupitérienne n’est pas une fatalité constitutionnelle. Le césarisme et l’hubris ne figurent nullement dans la lettre de la Constitution de la Ve République ; ils procèdent de la déification gaullo-mitterrandienne de l’esprit présidentiel.
Cette déformation du texte constitutionnel pourrait aisément être révisée sans s’enliser dans les apories de la présidence normale. Entre la toute-puissance et l’impuissance, il y a la tempérance. Sans qu’il soit nécessaire de modifier la moindre virgule de la Constitution, tout nouveau président de la République peut présider autrement, en incarnant un leadership de service plutôt qu’en personnalisant le pouvoir.
Nul besoin, tout d’abord, d’une révision de la Constitution, pour que le Parlement exerce la plénitude de ses prérogatives. Le juriste Guy Carcassonne (1951-2013) professait que « ce qui manque à l’Assemblée nationale, ce ne sont pas des pouvoirs mais plutôt des parlementaires pour les exercer ». C’est particulièrement juste mais l’Assemblée manque également d’un président de la République qui ne l’entrave pas. Certains mécanismes de parlementarisme rationalisé, à commencer par les ordonnances de l’article 38 et l’article 49.3 de la Constitution, ne devraient plus être employés sur des sujets ne faisant pas socialement consensus à l’exception des cas d’impérieuse nécessité (crises ou obstruction parlementaire systématique).
Nulle nécessité, ensuite, d’une révision de la Constitution pour que le chef de l’Etat laisse travailler son gouvernement à encourager l’initiative parlementaire de la loi ainsi qu’à reprendre davantage d’amendements de la majorité comme de l’opposition, en particulier lorsqu’il s’agit de sujets sensibles.
De surcroît, en l’absence de représentation proportionnelle à l’Assemblée, il serait salutaire que le chef de l’Etat reçoive régulièrement à l’Elysée les responsables de l’opposition parlementaire. Car un président ne doit jamais ignorer que le fait majoritaire constitue moins un droit absolu qu’un mécanisme de stabilité institutionnelle aussi nécessaire que fragile.
Nouveau contrat démocratique
Nulle obligation, enfin, d’une révision de la Constitution pour que le chef de l’Etat laisse travailler son gouvernement plus librement. La Constitution du 4 octobre 1958 conçoit le rôle du président de la République comme arbitre de la nation (article 5) tandis qu’il appartient au gouvernement de déterminer et de conduire la politique de celle-ci (article 20).
En réalité, hors période de cohabitation, c’est le président qui détermine et conduit lui-même, pour partie, la politique du pays. Si le chef de l’Etat a normalement la charge des institutions, de la défense, des affaires étrangères et de la construction européenne, dans les faits – eu égard à son élection au suffrage universel direct –, il s’immisce dans la plupart des domaines de l’action gouvernementale.
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