Numérique et décarbonation
Depuis plusieurs années, différents travaux montrent que les technologies digitales sont d’importants émetteurs de CO2. De nombreuses voix, dont celle de Gilles Babinet (*), se sont élevés pour rappeler que que celles-ci participent aussi à réduire les atteintes à l’environnement. Qu’en est il réellement et quelles sont les perspectives à moyen terme ?
Le numérique émet il autant de CO2 qu’on le dit généralement ? Il représente directement entre 2 et 4% de l’ensemble des émissions de CO2 soit 400 à 900 millions de tonnes de CO2 sur une base annuelle. C’est comparable à l’aviation commerciale, mais c’est très peu rapporté au temps que l’on y passe. Un film sur Netflix, ce n’est pas 1 à 3 Kg de CO2 comme on l’a parfois lu, mais plutôt moins de cent grammes et ce chiffre se réduit d’année en année.
Avant même les usages, ce qui crée du CO2, ce sont les achats d’équipement. C’est 80 à 90% de ses émissions et probablement plus encore en France où l’énergie est très décarbonée et donc l’usage très faiblement émetteur de carbone. La fabrication des sous parties électronique émet du CO2 parce qu’elle recours à des processus de production très énergivores, et que ces équipements sont majoritairement produit dans des pays à forte intensité carbone, comme la Chine, Taiwan, la Corée, la Thaïlande, etc. Avec une moyenne de 27 Kg de Co2 émis par kilo d’électronique, avoir des écrans plats partout dans sa maison n’est pas une bonne idée. Beaucoup dénoncent par ailleurs le consumérisme numérique : le fait qu’il est très facile d’acheter un week-end à Venise en avion sur internet pour une bouchée de pain. Et il est vrai que cette facilité ne nous aide pas pour l’instant à prendre conscience des externalités de nos actions en terme de carbone .
Changer de téléphone mobile dès qu’une nouvelle version sort n’est pas une bonne idée pour le climat, mais paradoxalement, changer certains équipements de datacenter à forte intensité énergétique lorsqu’ils sont amortis peut avoir un effet positif tant les gains de performance sont importants d’une génération à l’autre. C’est d’autant plus vrai s’ils sont utilisés dans des pays où l’énergie est très carbonée. Les calculs liés à l’intelligence artificielle devraient connaitre des facteurs de réduction d’intensité énergétique assez significatifs dans les années à venir du fait de nouvelles formes d’architectures et d’algorithmes. On peut aussi avoir des pratiques positives : utiliser les comparateurs de trajet pour privilégier les mobilités douces et le train plutôt que la voiture et l’avion.
Le numérique peut faire beaucoup. En premier lieu, nous aider à comprendre ce qui crée du carbone et des gaz à effet de serre, et comment éviter cela. Dans l’agriculture par exemple, qui est faite de processus très complexes et nécessitant beaucoup d’adaptation locale, le numérique permettra peut être un jour d’avoir une agriculture tout à la fois productive et captant du carbone. Dans l’industrie et la distribution, il permet aussi de considérablement améliorer les supplychains en les décarbonant. Avoir un stock plus important de pièces pour un acteur industriel peut s’avérer meilleur pour le climat que d’être en flux tendu avec ses fournisseurs l’approvisionnant par avion. Le taux d’usage pour une voiture, c’est 6% – le reste c’est du temps de parking – pour un immeuble tertiaire, le temps d’usage c’est 24%, pour une maison de vacances, cela peut être moins de 2%. Le numérique peut aider à améliorer ce taux d’usage et aider à faire fonctionner des systèmes très asymétriques, comme les réseaux d’électricité où l’offre et la demande ne s’expriment que rarement au même moment.
D’une façon plus générale, le numérique permet de mieux affecter le capital. Si vous avez des infrastructures qui sont faiblement utilisées, c’est un gâchis d’énergie et donc une émission nette de CO2. Il permet également de mettre en évidence les externalités. Or, en économie, ce qui ne se mesure pas n’existe pas.
Introduire une taxe carbone sur l’électronique serait une bonne idée. Ca redonnerait un atout compétitif à l’Europe et pousserait tout le monde dans la bonne direction. Par ailleurs développer fortement des pratiques environnementales basées sur l’intelligence artificielle pourrait être d’un apport considérable. La voiture autonome permettrait par exemple d’accroitre de façon radicale le taux d’usage évoqué auparavant.
De même, une agriculture « AIdynamique » devrait avoir un fort potentiel. Même chose dans les supplychains… Or, cette expertise est vraiment très difficile d’accès en France du fait du manque de compétences et de données ouvertes. Enfin dans la Green New Deal de la Commission européenne, il est prévu de créer des passeports numériques pour chaque objet qui comprendrait le détail des externalités que celui-ci induit : c’est potentiellement un facteur énorme d’incitation au changement.
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* Gilles Babinet est un entrepreneur dans le domaine digital. Il est contributeur de l’institut Montaigne sur les questions numériques et travaille actuellement sur les enjeux liés au numérique et aux émissions de CO2.
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