Cette voiture électrique qui renforce le poids du charbon
Le charbon fait office de matière première pour produire de l’essence synthétique et de l’électricité en Afrique du Sud et, surtout, en Chine, observe Jean-Baptiste Fressoz dans sa chronique au Monde.
L’usine qui a émis le plus de dioxyde de carbone (CO2) au monde en 2021 se trouve en Afrique du Sud. Elle appartient à la South African Synthetic Oil Limited (Sasol) et son activité principale consiste à liquéfier le charbon pour le transformer en essence. Avec 57 millions de tonnes par an, cette usine émet à elle seule davantage de CO2 que des pays comme le Portugal, la Norvège ou la Suisse. Elle produit aussi 7,6 millions de tonnes d’essence à partir de charbon, un tiers des besoins du pays.
La liquéfaction du charbon est une technique de « souveraineté énergétique » de grande importance. Son histoire commence en Allemagne durant l’entre-deux-guerres avec les procédés d’hydrogénation du charbon développés par le chimiste Friedrich Bergius. Pendant la guerre, les usines de carburants synthétiques font voler les avions de la Luftwaffe et avancer une bonne partie des tanks de la Wehrmacht. Prouesse technologique, l’hydrogénation était un désastre économique et environnemental : la réaction avait lieu à 400 °C ; 100 atmosphères et 4 à 6 tonnes de charbon étaient nécessaires pour produire une tonne d’essence, qui revenait de 10 à 15 fois plus cher que son équivalent tiré du pétrole.
Malgré ces défauts, des pays comme la France, l’Angleterre, le Japon et même l’Italie, pourtant pauvre en charbon, se lancèrent dans les années 1930 dans la liquéfaction en invoquant la souveraineté énergétique et, à plus long terme, l’épuisement des puits de pétrole. La liquéfaction du charbon ne disparaît pas dans les décombres du nazisme. Bien au contraire : après la guerre, les experts allemands sont convoités, en particulier par l’Afrique du Sud, pauvre en pétrole et riche en charbon. En 1955, le gouvernement ségrégationniste crée la Sasol et subventionne sa production pour contrer les sanctions économiques liées à l’apartheid et préserver sa souveraineté énergétique. Avec les chocs pétroliers des années 1970, la Sasol devient le leader technologique du domaine, enviée du monde entier. L’administration américaine de Jimmy Carter crée une entreprise publique dotée de 20 milliards de dollars, la Synthetic Fuels Corporation, qui prévoit de produire 3 millions de barils par jour dans les années 1990. Le contre-choc pétrolier aura raison de ce projet.
Mais c’est surtout en Chine, après le troisième choc pétrolier de 2007-2008, que la liquéfaction du charbon connaît son plus grand essor. Shenhua et Yitai, deux des plus grandes compagnies minières au monde, qui opèrent principalement dans le Shanxi et en Mongolie intérieure, se sont massivement lancées dans les carburants synthétiques. Presque inexistante en 2009, la production chinoise atteint 2 millions de tonnes par an (Mt/an) en 2010, 15 en 2017 et, selon les dernières statistiques disponibles, 35 en 2019. A titre de comparaison, l’industrie nazie de carburants synthétiques, avec ses 21 usines, n’en avait produit que 2,3 Mt à son apogée. Si on ajoute à cela les 80 millions de tonnes de méthanol produit en Chine à partir du charbon, on peut estimer qu’entre un cinquième et un sixième des carburants chinois provient du charbon.
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