La réindustrialisation : Enjeu majeur de Macron II
À quelques jours de l’officialisation de son élection à l’Elysée, Macron doit choisir un ou une ministre en charge du Made in France. Rien n’est encore tranché à ce stade selon nos informations alors que le prochain gouvernement doit être annoncé dans les prochains jours. Le résultat des élections législatives au mois de juin pourrait déterminer le choix du président sur cette question brûlante de la réindustrialisation. ( la « Tribune »)
Au lendemain de la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle, les salariés de l’emblématique fonderie de la Sam ont quitté dans la douleur leur usine implantée dans l’Aveyron après 154 jours d’occupation. Cette usine sous-traitant de Renault est le symbole d’un premier quinquennat marqué par des fermetures d’usines et des milliers de postes détruits dans l’industrie tricolore déjà foudroyée par plusieurs décennies de délocalisations.
Il faut dire que la pandémie a laissé de profondes traces sur le tissu productif hexagonal. Après plusieurs confinements à répétition et des pagailles en série sur les chaînes d’approvisionnement, l’industrie a payé au prix fort les répercussions économiques et sociales de cette maladie infectieuse.
L’invasion russe en Ukraine depuis le mois de février et les nouveaux confinements en Chine ont une nouvelle fois plongé l’industrie européenne dans un épais brouillard. Au lendemain de l’éclatement du conflit, le gouvernement avait réuni en urgence les grandes filières industrielles tricolores pour faire un inventaire des problèmes rencontrés par les entreprises.
L’exécutif a finalement répondu par un plan de résilience dont certaines mesures doivent permettre d’amortir une partie du choc énergétique mais cette enveloppe ne devrait pas suffire. En attendant la nomination d’un prochain gouvernement prévu dans les jours à venir, Emmanuel Macron sait qu’il devra absolument accélérer sur la réindustrialisation de l’économie tricolore s’il ne veut pas se retrouver à nouveau en fortes difficultés.
À ce stade, il est encore trop tôt pour savoir si un ou une membre du prochain gouvernement obtiendra un poste de ministre de l’industrie ou de secrétaire d’Etat. D’après plusieurs sources interrogées à Bercy, rien n’est encore tranché pour l’heure. Emmanuel Macron a choisi de jouer la montre avant d’annoncer la nomination du prochain gouvernement dans les jours à venir.
Il faut rappeler que l’industrie n’a pas toujours occupé une place de premier ordre sous le premier quinquennat Macron. En 2017, le président de la République, chantre de « la start-up nation » n’avait pas attribué de portefeuille spécifique au moment de la nomination de son premier gouvernement. Entre 2017 et octobre 2018, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire était en charge de l’industrie mais il n’y avait pas de portefeuille spécifique. Ce qui était une première depuis 1886, sous la IIIe République, et la nomination d’Édouard Simon en tant que ministre du Commerce et de l’Industrie. Le dernier titulaire du portefeuille, sous la présidence de François Hollande, était le secrétaire d’État Christophe Sirurgue, parti en mai 2017.
Juste avant la crise des Gilets Jaunes en novembre 2018, Agnès-Pannier Runacher arrive à Bercy pour reprendre les dossiers de Delphine Gény-Stephann sans obtenir de maroquin propre à l’industrie. Ce n’est qu’en juillet 2020 au moment de la nomination de Jean Castex à Matignon qu’elle devient ministre déléguée à l’industrie avec des missions plus précises. Malgré cette progression dans l’ordre protocolaire ministériel, l’industrie tricolore est encore loin d’avoir retrouvé des couleurs. « La réindustrialisation ne se fait pas en claquement de doigts. Les derniers chiffres du cabinet Trendeo montrent que cette politique a porté ses fruits mais il faut continuer d’accélérer », assure un proche de l’exécutif.
A l’exception des impôts de production et de mesures favorables à l’offre, le programme d’Emmanuel Macron présenté à la mi-mars à Aubervilliers devant des centaines de journalistes ne comporte pas de stratégie précise en matière de politique industrielle. »Le programme de Macron est assez creux sur le thème de l’industrie. C’est un programme technique mais il n’y a pas de vision très claire », explique Anaïs Voy-Gillis, docteur en géographie et auteur avec Olivier Lluansi de l’ouvrage « Vers la renaissance industrielle », (Editions Marie B). »C’est bien de baisser les impôts de production mais elles sont aussi une ressource pour les collectivités locales alors que la décentralisation est une forte demande des citoyens », ajoute-t-elle.
Il faut dire que le président de la République avait déjà dessiné à l’automne les contours des principales mesures pour l’industrie à l’occasion d’une grande présentation à l’Elysée du plan France 2030. Devant un parterre de ministres, chefs d’entreprise, économistes et étudiants, Emmanuel Macron avait posé les jalons du programme industriel pour les cinq prochaines années.
Doté d’une enveloppe de 30 milliards d’euros, ce plan est destiné à soutenir notamment les petits réacteurs nucléaires (1 milliard), l’avion bas carbone (4 milliards d’euros), les énergies renouvelables (500 millions d’euros), la décarbonation de l’industrie, l’agriculture et l’agroalimentaire (2 milliards d’euros) ou encore la santé (7,5 milliards d’euros).
Après plusieurs mois d’hésitations, c’est finalement le député de la République en Marche Bruno Bonnel qui est en charge du pilotage de ce plan. Pour Anaïs Voy-Gillis, »le plan France 2030 manque encore de profondeur. Comment ce plan va-t-il s’articuler dans les filières ? Beaucoup de petites entreprises ont des solutions opérationnelles par rapport aux grands groupes. Comment ces petites entreprises peuvent-elles se trouver une place dans les écosystèmes ? Comment on rapatrie des chaînes de valeur en Europe ? Le plan France 2030 pose encore beaucoup de questions. «
Réindustrialiser dans le contexte du changement climatique, un défi économique colossal pour le prochain quinquennat
La multiplication des catastrophes climatiques à l’échelle du globe accélère la nécessité pour les Etats développés de réindustrialiser leurs économies tout en prenant en compte l’impact environnemental. Sur ce point, la transition apparaît déjà comme un chantier colossal pour le prochain quinquennat. Il s’agit de réindustrialiser l’économie tricolore tout en respectant les engagements de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de lutte contre le réchauffement climatique. Et sur tous ces sujets sensibles, l’Etat français est loin d’être exemplaire.
En 2021, la justice a condamné l’Etat pour inaction climatique et l’a obligé à « réparer le préjudice écologique dont il est responsable », avant 2022 dans sa décision dévoilée à l’automne dernier. Dans ce contexte, les marges de manoeuvre du prochain gouvernement seront particulièrement étroites.
« Dans le programme d’Emmanuel Macron, il n’y a pas vraiment de lien entre la réindustrialisation et la question environnementale », regrette Anaïs Voy-Gillis. »La décarbonation de l’industrie n’est qu’un aspect de ce thème majeur. La biodiversité par exemple n’a pas été abordée alors que c’est un enjeu essentiel ».
De son côté, l’économiste du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) Thomas Grjebine, estime dans un récent entretien accordé à La Tribune »qu’il n’est pas évident de concilier la transition écologique avec la réindustrialisation de l’économie française. Il n’est en effet pas clair aujourd’hui si cette transition est une opportunité pour notre tissu industriel ou si au contraire cela risque de conduire à un choc d’offre très négatif (on va mettre au rebus une partie du capital). »
Le retour en force de la planification
La pandémie et l’urgence climatique ont rappelé la nécessité de mettre en place des filières stratégiques dans le domaine de la santé et de la transition énergétique. Lors de la présentation de son programme, le président alors candidat avait dessiné les grands objectifs de cette politique économique.
« J’assume d’avoir une volonté de planification, qu’il s’agisse de la production d’énergie, comme du déploiement de nouvelles filières industrielles, et de décliner ensuite ces objectifs par territoire en laissant la liberté d’adaptation. Dans ce contexte-là, l’Etat aura à reprendre en main plusieurs aspects de la filière énergétique [...] Nous aurons à reprendre le contrôle capitalistique de plusieurs secteurs industriels », a déclaré Emmanuel Macron lors de la présentation de son programme. Les regards et les spéculations se tournent forcément vers EDF, et le scénario d’une nationalisation du géant français de l’électricité n’est pas exclu, après l’annonce en février de lancer la construction de six réacteurs EPR, plus huit en option.
Après le premier tour de la présidentielle, le président s’était même engagé à ce que son Premier ministre soit « directement chargé de la planification écologique » s’il était réélu, reprenant un terme utilisé par Jean-Luc Mélenchon arrivé sur la troisième marche du podium.
Cette planification autrefois largement critiquée est aujourd’hui réclamée par des industriels. »C’est un thème important repris sur l’ensemble de l’échiquier politique. Beaucoup de secteurs énergétiques comme le nucléaire doivent passer par une forme de planification et de soutien public. C’est une bonne chose de sortir du dogme libéral et de la vision plus orthodoxe pour aider certains projets industriels. La France ne peut pas être présente dans tous les domaines. La planification est devenue relativement consensuelle », avait expliqué à La Tribune il y a quelques semaines l’économiste de l’université de Californie François Geerolf.
De son côté, Anaïs Voy Gillis estime que « la planification apparaît surtout comme un outil technique dans le programme de Macron. On ne comprend pas vraiment l’objectif poursuivi. Comment on accompagne socialement et économiquement ces transitions ? Comment repositionne-t-on les sites industriels en difficulté ? » Il faut dire que la mise en oeuvre du Haut-Commissariat au plan en septembre 2020 sous la houlette de François Bayrou a suscité de vives interrogations chez la plupart des économistes interrogés par La Tribune.
La réindustrialisation, un enjeu politique majeur
La bataille de la réindustrialisation est loin de se jouer uniquement sur le plan économique. Au-delà des incantations pour le Made in France scandées pendant la dernière campagne électorale, les derniers résultats à la présidentielle rappellent que la désindustrialisation a laissé des séquelles profondes sur de nombreux territoires.
La progression spectaculaire du Rassemblement national (RN) dans une trentaine de départements contre seulement deux en 2017 laisse augurer des perspectives bien assombries sur le plan politique pour le président de la République et son futur gouvernement. Dans une récente étude pour la fondation Jean Jaurès, le directeur du département Opinion chez Ifop Jérôme Fourquet avait montré que les intentions de votes chez les ouvriers en faveur du FN/RN avaient quasiment triplé en près de 30 ans, passant de 17% en 1988 à 45% en 2021.
Sur cette période, le nombre d’emplois industriels a dégringolé en France, passant de 4,5 millions à 3,1 millions, soit une chute spectaculaire de 45%. Et durant le quinquennat Macron, l’industrie a encore perdu des emplois (environ 4.000 emplois en moins) entre la fin du T2 2017 et la fin de l’année 2021 selon les derniers chiffres de l’Insee. « Entre 1974 et 2018 les branches industrielles ont perdu près de la moitié de leurs effectifs (2,5 millions d’emplois), l’industrie ne représentant plus aujourd’hui que 10,3 % du total des emplois », explique le dernier rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la désindustrialisation. En parallèle, la part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) a continué de s’effondrer au cours des dernières décennies.
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