L’usure au travail, motif de retraite ?

L’usure au travail, motif de retraite ?

 

 

Le politiste Bruno Palier, Directeur de recherche au CNRS  souligne dans une tribune au « Monde » que l’attachement des Français à prendre leur retraite le plus tôt possible a été étudié en détail par la recherche. C’est la poursuite par les entreprises d’une productivité toujours plus grande qui explique le plus souvent le désir des seniors d’arrêter de travailler.

Un article intéressant qui distingue les  catégories socioprofessionnelles et conditions sociales de travail dans le débat sur la retraite. NDLR

 

Malgré l’allongement de la durée de vie, de plus trois mois chaque année jusqu’à récemment, la plupart des Français ne souhaitent pas travailler plus longtemps. Quand l’occasion se présente, ils partent en retraite le plus tôt possible. Différentes enquêtes analysent les motivations de ces départs à la retraite. Celle menée par la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV) en 2008, confirmée par de nombreuses enquêtes dirigées depuis par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des affaires sociales, souligne que ceux qui veulent bien travailler plus longtemps sont ceux qui associent travail et « réalisation de soi, épanouissement personnel, valorisation et expression de soi, utilité sociale, bien-être et lien social ». Il s’agit le plus souvent de cadres, de professions intellectuelles, de diplômés du supérieur.

En revanche, ceux, beaucoup plus nombreux, qui souhaitent partir le plus tôt possible associent travail et « fatigue au travail (physique et morale), contraintes (horaires, rythme de vie), obligations, usure, stress, pression, dégradation de l’ambiance au travail et du statut personnel ». Les enquêtes menées depuis confirment que l’usure au travail constitue une motivation forte au départ.

De nombreux travaux de sociologues montrent depuis longtemps les dégradations des situations de travail et du rapport au travail en France. Les troubles musculo-squelettiques (TMS) représentent une très forte majorité des maladies professionnelles et augmentent depuis dix ans (35 000 nouveaux cas par an). Tous ces indices soulignent le rythme toujours plus soutenu de l’organisation du travail, les contraintes organisationnelles accrues et le stress au travail.

Il s’agit là des conséquences concrètes des stratégies retenues par la plupart des entreprises françaises. Pour rester compétitives dans une économie mondialisée, les entreprises ont choisi de ne garder que les salariés les plus productifs, et de leur demander de travailler toujours plus intensément. Si l’on regarde les taux d’emploi en France, en particulier ceux des seniors, on s’aperçoit qu’ils sont plus faibles que dans beaucoup de pays européens : 53,3 % des personnes de 55-65 ans sont en emploi en 2018, tandis que la moyenne européenne est de 58,7 % (71,4 % en Allemagne ou 77,9 % en Suède), ce qui a fait dire au candidat Macron que l’on travaillait moins en France qu’ailleurs.

Certes, moins de gens travaillent que dans d’autres pays, en particulier parmi les seniors, mais ceux qui travaillent le font de manière de plus en plus soutenue. La France combine un taux d’emploi faible des seniors et des jeunes avec une productivité horaire du travail parmi les plus élevées d’Europe (117 pour la France pour une base 100 correspondant à la moyenne européenne, données Eurostat pour 2019). Comme le mentionne l’étude de la CNAV de 2008, « les assurés de moins de 60 ans ont souvent insisté sur la détérioration du climat professionnel, dénonçant la quête de productivité et la course au rendement. Il semble que ces nouvelles valeurs managériales aient conduit à la perte d’une ambiance sereine et conviviale que certains assurés ont connue en début de carrière, ambiance pâtissant désormais de comportements plus individualistes. Elles ont aussi amené des restrictions de personnel et ainsi contribué à l’accroissement des charges de travail » (Aouici et al., 2008, page 23). Si les nombreux suicides chez les constructeurs automobiles ou bien à France Télécom ont illustré à l’extrême les impasses de cette stratégie d’hyperproductivité, d’une façon générale, celle-ci explique en grande partie pourquoi ceux qui travaillent ne souhaitent pas le faire plus longtemps. Quant à ceux qui n’ont pas accès à l’emploi, ils ne comprennent pas qu’on demande de travailler plus longtemps alors qu’ils n’en ont même pas la possibilité.

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