À l’occasion de la guerre en Ukraine, favoriser une Europe puissance
Une réflexion sur les causes de l’échec de la Communauté européenne de défense en 1954 peut aider à définir les conditions qui rendront possible une « Europe puissance », explique, dans une tribune au « Monde », Jean-Marc Lieberherr, le président de l’Institut Jean-Monnet.
« Là où manque l’imagination les peuples périssent », disait Jean Monnet (1888-1979). Il est grand temps de puiser dans la pensée et l’action des pères fondateurs les voies d’un renouveau susceptible de convaincre les Français de la nécessité de l’Union. C’est souvent en revenant à l’origine et à l’essence d’une idée que l’on peut imaginer ses développements futurs.
Les Mémoires de Jean Monnet sont à cet égard un texte fondateur d’une étonnante actualité. Il y tire notamment les leçons de l’échec de la Communauté européenne de défense (CED), en 1954, et propose une méthode pour transformer les crises successives en opportunités pour l’Europe.
Le 3 septembre 1950, alors que la guerre de Corée menace d’embraser le reste du monde, Jean Monnet adresse à René Pleven (1901-1993) [président du Conseil en juillet 1950] une lettre qui porte en elle les prémices du projet d’armée européenne : « Je vous propose d’apporter à nos associés la contribution d’une pensée forte, constructive, déterminée à créer notre défense extérieure en Europe. »
De l’aveu même de Monnet, le projet de CED venait trop tôt. La perspective d’une renaissance militaire de l’Allemagne avait précipité sa création, mais les esprits n’y étaient pas préparés. Le Parlement français devait, en 1954, rejeter ce projet. Malgré cet échec, Monnet reste convaincu que l’Europe « n’aura de conscience et de force que dans l’unité », condition d’une véritable souveraineté européenne fondée sur une capacité d’action indépendante des Etats-Unis.
En 2022, l’irruption de la guerre en Europe est venue nous rappeler que la paix, ce trésor que les Européens ont considéré comme acquis, procède d’un équilibre fragile. Le fait que l’Europe ne soit pas capable de la garantir de manière autonome est en soi une source d’instabilité. Il est donc nécessaire de se pencher sur les causes de l’échec de la CED pour définir les conditions qui rendront peut-être possible, demain, l’avènement d’une Europe puissance.
La première cause, et peut-être la plus importante, est que le projet impliquait – pour que cette défense soit indépendante – un saut politique auquel la France n’était pas prête. La dimension politique de la CED allait à l’encontre de la méthode dite « des petits pas » lancée par Monnet avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA).
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