Archive mensuelle de avril 2022

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L’enjeu de la formation au numérique

L’enjeu de la formation au numérique

La mise sur pied de la Grande Ecole du Numérique a répondu, pour partie, aux défis de la 3ème révolution industrielle, au travers d’un label d’excellence. Mais, explique Guy Mamou-Mani, nous sommes encore loin du compte car il faudrait former 50000 informaticiens chaque année pour répondre aux besoins du marché.

Tribune

Par Guy Mamou-Mani (coprésident Groupe Open dans les « Echos  »

 

Lors des campagnes pour les présidentielles de 2012 et 2017, aucun des candidats n’avait inscrit la question de la transformation numérique au coeur de son programme ni fait de la formation un des axes forts de sa campagne.

Emmanuel Macron a pour sa part, pendant la campagne 2022, esquissé la vision de la formation avec deux idées maîtresses : l’orientation vers des filières professionnalisantes et la fin de la gratuité des formations .

Ces questions d’orientation, de professionnalisation et de financement soulevées à juste titre par celui qui était alors un président-candidat sont au coeur du malaise qui règne dans l’enseignement supérieur français. Des voix ont pu s’élever pour dénoncer sa volonté de « privatiser » l’université française, les droits d’inscription n’en jouent pas moins un rôle crucial dans la régulation du système. Leur montant explique pour une très large part les écarts qui se creusent entre les formations dispensées dans le supérieur public et le privé et leur capacité respective à former en nombre suffisant les ingénieurs dont la France a besoin.

La mise sur pied de la Grande Ecole du Numérique (GEN) répond pour une part aux défis de la 3ème révolution industrielle au travers d’un label d’excellence. 500 formations aux métiers du numérique ont été identifiées et sont aujourd’hui labellisées « GEN ». 31 000 personnes ont bénéficié de ces formations depuis 2016. Mais nous sommes encore loin du compte quand on sait qu’il faudrait former tous les ans entre 40 et 50000 informaticiens pour être en phase avec les besoins du marché.

On peut d’ailleurs légitimement se demander pourquoi l’Etat français n’a pas accru les moyens de ses meilleures écoles d’ingénieurs publiques du numérique. Elles ont vu les subventions qui leur étaient allouées s’éroder régulièrement, leur budget de fonctionnement drastiquement diminué. Quant aux droits de scolarité – qui s’élèvent aujourd’hui à 3500€/ an à CentraleSupélec et à 2800€ /an à Telecom Paris alors que l’année-élève coûte entre 15 000 et 20 000€ -, ils sont notoirement insuffisants.

Force est de reconnaître que l’université française et nos grandes écoles souffrent d’un mal endémique. Leur sous-financement chronique ne leur permet pas de dégager les ressources leur permettant de faire croître leur flux de diplômés de plus de 10% sans baisser le niveau des étudiants, ce qui serait inéluctable avec le taux d’encadrement qui est le leur. L’augmenter conduirait à creuser leur déficit.

Pour autant, toutes les écoles d’ingénieurs ne pâtissent pas des mêmes difficultés. Le malthusianisme que connaît l’enseignement supérieur public a créé un effet booster pour l’enseignement supérieur privé en général et particulièrement dans le numérique qui a vu ses écoles d’ingénieurs croître tant en nombre qu’en flux de diplômés.

L’enseignement supérieur privé est en plein essor. Une école du numérique comme l’EPITA qui garantit une formation professionnalisante à ses étudiants a vu non seulement ses effectifs croître de 40% ces dernières années mais arrive même en tête du classement 2020 de L’Usine Nouvelle devant Polytechnique (meilleurs salaires de sortie).

Il y a un rapport entre la rentabilité d’un système de formation et les effectifs. Mathias Emmerich, Président exécutif d’INSEEC U, l’a bien résumé : « la principale façon de gagner de l’argent, c’est d’augmenter les effectifs. Les pouvoirs publics seraient bien inspirés d’en tirer la leçon et d’investir dans l’enseignement supérieur public français du numérique dans l’intérêt économique du pays qui s’appauvrira sans ingénieurs.» Même si tous les candidats de la dernière présidentielle ne se sont pas saisis de ce sujet, en ont sous-estimé l’importance et n’ont pas inscrit la formation au numérique parmi leurs priorités, il y va de notre avenir !

Guy Mamou-Mani, Coprésident du Groupe OPEN, ancien président de Syntec Numérique et VP du CNNum

Rachat de Twitter par Elon Musk : la menace libertiarienne capitaliste

Rachat de Twitter par Elon Musk : la menace libertiarienne capitaliste

Au nom d’une liberté qui permet de tout dire et surtout de manipuler l’opinion, l’homme le plus riche qui vaut plus de 300 milliards  Elon Musk  veut se servir du réseau Twitter qu’il vient de racheter pour 44 milliards pour contester les règles de droit dans la société concernant aussi bien l’économie, le social, la démocratie. Une vision très proche de Trump qu’il a soutenu et l’hypocrisie du système « du renard libre dans le poulailler libre » ou l’utilisation de la démagogie et du populisme pour servir en réalité d’immenses intérêt capitalistes.

Un article diffusé par France Info fait le point des enjeux.

L’homme le plus riche de la planète, suivi par 83 millions de personnes, compte bien bousculer le petit oiseau bleu. Par le passé, il a en effet souvent regretté que les modérateurs de Twitter aillent « trop loin » et « interviennent trop », rappelle Le New York Times* . C’est d’ailleurs ce qu’il s’est empressé de redire dans son communiqué* annonçant le rachat : selon lui,  »la liberté d’expression est le fondement d’une démocratie qui fonctionne, et Twitter est la place publique numérique où sont débattues les questions vitales pour l’avenir de l’Humanité ». C’est d’ailleurs pour en être le seul maître à bord qu’il propose de retirer le réseau social des entreprises cotées en Bourse aux Etats-Unis. Une décision qui permettrait à la plateforme d’échapper à tout contrôle externe.

Quelques jours avant la finalisation du rachat, Marianne décrivait justement Elon Musk comme un « absolutiste en matière de liberté d’expression » qui « libérerait le potentiel de Twitter » en laissant les gens  »parler librement dans les limites de la loi ». « Or puisque les discours racistes et antisémites, ou encore la diffusion d’informations privées sont légaux aux Etats-Unis, ce genre de propos pourraient de nouveau être autorisés sur Twitter », fait remarquer l’hebdomadaire.

Dans une interview accordée à La Tribunele chercheur Olivier Ertzscheid, spécialiste des nouvelles technologies à l’Université de Nantes, ne peut que confirmer. « Il faut bien comprendre qu’il existe deux conceptions de la liberté d’expression. La première, plutôt américaine, est radicale : la liberté est au-dessus de tout, ce qui signifie que tout point de vue, quel qu’il soit, peut être exprimé dans l’espace public. Y compris, donc, un point de vue raciste, xénophobe, antisémite ou la diffusion d’une ‘fake news’. La deuxième conception, plutôt européenne et française, est qu’il y a des limites légales à ce qu’on peut dire dans l’espace public. »

Dit autrement, la liberté d’expression façon Elon Musk doit être  »totale », résume l’universitaire. L’utilisateur doit pouvoir écrire ce qu’il veut, sans limites, peu importe si  »l’Histoire récente a démontré que les algorithmes des réseaux sociaux ne sont pas neutres et qu’ils peuvent avoir un impact négatif majeur sur la vie démocratique, partout dans le monde, des Etats-Unis à l’Inde en passant par les Ouïghours en Chine, ou en Europe. »

D’ailleurs, Elon Musk n’a pas attendu de prendre les commandes de Twitter pour y dire tout ce qui lui passe par la tête. Il plaisante, provoque, critique, se moque… Pas plus tard que samedi 23 avril, l’entrepreneur a publié un montage photo grossophobe comparant Bill Gates à un homme enceint. Il était accompagné de la légende suivante : « Au cas où vous auriez besoin de mettre rapidement fin à une érection ».

Trois semaines après le début de la guerre en Ukraine, il proposait de défier le président russe Vladimir Poutine dans un combat « d’homme à homme ». En mars 2020, il avait qualifié de  »débile » la panique que provoquait chez les gens la pandémie de Covid-19.

La liste est encore longue. Et « Elon Musk n’a jamais été banni, ni même suspendu temporairement de Twitter pour l’ensemble de ces propos », rappelle Le HuffPost. Après tout, pourquoi l’aurait-il été ? Selon le patron de Tesla,  »les politiques des plateformes des médias sociaux sont bonnes si les 10% les plus extrêmes de gauche et de droite sont également mécontents », écrivait-il dans un tweet, le 19 avril.

 

En concluant cet accord, « Elon Musk a un projet politique derrière la tête », fait remarquer sur franceinfo Olivier Lascar, le rédacteur en chef du pôle digital de Sciences et Avenir-La Recherche. Avec Twitter, Elon Musk s’achète en réalité « un instrument d’influence », une arme de communication massive qui lui permet d’« avoir l’oreille des politiques et peut-être de trouver les amitiés » nécessaires pour son développement.

A commencer par un certain Donald Trump. L’ancien président américain, banni à vie de Twitter après l’assaut du Capitole à Washington en janvier 2021, pourrait-il y refaire son apparition ? L’intéressé a assuré sur Fox News, lundi, qu’il ne reviendrait pas, malgré l’arrivée d’Elon Musk. Il n’empêche : la prise en main du réseau social par le patron de Tesla et de SpaceX inquiète le monde politique américain. « Cet accord est dangereux pour notre démocratie. Les milliardaires comme Elon Musk jouent selon un ensemble de règles différent de tout le monde, accumulant du pouvoir pour leur propre bénéfice. Nous avons besoin d’un impôt sur la fortune et de règles strictes pour que la ‘big tech’ soit responsable de ses actes », a par exemple dénoncé la sénatrice démocrate Elizabeth Warren.

Réaction similaire du président de l’organisation pour les droits civiques NAACP.  »Monsieur Musk, la liberté d’expression est merveilleuse, le discours de haine inacceptable. La désinformation, la mésinformation et le discours de haine n’ont AUCUNE PLACE sur Twitter, prévient Derrick Johnson dans un communiqué*. Ne permettez pas à [Donald Trump] de revenir sur la plateforme… Protéger notre démocratie est de la plus haute importance, surtout à l’approche des élections de mi-mandat [en novembre]. Monsieur Musk, des vies sont en danger, tout comme la démocratie américaine. »

Dans un autre communiqué*, la codirectrice de l’ONG Free Press ne mâche pas non plus ses mots. « Elon Musk lui-même a utilisé Twitter et d’autres plateformes pour attaquer et réduire au silence d’autres personnes. Il a répandu de la désinformation sur le Covid-19 et les vaccins. Il s’est servi de Twitter pour manipuler les marchés et augmenter sa fortune déjà considérable ».

Quand il entend quelqu’un présenter Elon Musk comme un grand défenseur des libertés, Olivier Lascar raconte cette anecdote. « Dans le passé, Elon Musk a déjà démontré que la liberté d’expression avait ses limites dans sa conception, tient à souligner le journaliste, toujours sur franceinfoChez SpaceX, il n’y a que lui qui a le droit de parler, ou son numéro 2. Un internaute s’était amusé à référencer les vols de son jet privé et à les publier en commentaires des propres tweets d’Elon Musk pour montrer qu’il avait un comportement pas très vertueux en termes de dégagement de gaz à effet de serre. » L’histoire s’était terminée ainsi : le milliardaire avait fini par bloquer l’internaute sur le réseau social.

* Tous les liens suivis d’un astérisque mènent vers des contenus en anglais.

Les fournisseurs alternatif d’électricité : du pipeau

Les fournisseurs alternatif d’électricité : du pipeau

Dans un article de la « Tribune », on démontre que la concurrence par des fournisseurs alternatifs d’électricité est une illusion et même une escroquerie. En prenant en effet en compte la totalité des éléments, ces fournisseurs sont aussi chers et pour cause puisqu’ils ne produisent pas ni ne distribuent eux-mêmes d’électricité qu’ils rachètent à EDF.Comble de illusion, certains vendent de l’électricité « verte ». En réalité la même qu’EDF puisqu’il s’agit du même réseau !

Dopés par l’envolée des prix des hydrocarbures, les cours de l’électricité flambent en Europe depuis un an. Alors qu’il s’est encore amplifié avec la guerre en Ukraine, le phénomène est loin d’apparaître dans les factures des clients en raison du bouclier tarifaire mis en place par l’Etat. Pourtant, les fournisseurs ont réagi différemment à la crise : tandis que certains ont drastiquement augmenté leurs tarifs, voire ont fait faillite, d’autres ont su les maintenir en-dessous du tarif réglementé. Toutefois, si l’explosion des prix de marché perdure, la situation risque de devenir intenable pour tous.

Le gouvernement ne cessait de le marteler à l’automne dernier, lors de la mise en place du bouclier tarifaire. La crise de l’énergie n’était pas partie pour durer. Sept mois plus tard, force est de constater que les prix restent anormalement hauts sur les marchés. L’exécutif, qui tablait sur un retour à la normale dès le début du printemps avec le redoux de la météo, a ensuite été confronté aux conséquences de la guerre en Ukraine. Celle-ci a encore accentué la flambée des cours. Il n’a pas non plus anticipé l’identification d’un défaut de corrosion dans plusieurs réacteurs nucléaires français, qui a obligé EDF à mettre à l’arrêt une bonne partie de son parc atomique, privant au pire moment le pays de marges de production précieuses. Résultat : hier, dans l’Hexagone, le prix « spot » de l’électricité sur la bourse Epex s’élevait toujours à près de 240 euros le MWh, contre environ 45 euros en moyenne avant le début de la crise.

Dans ces conditions, la campagne présidentielle qui vient de s’achever a signé le grand retour du pouvoir d’achat comme préoccupation majeure des Français, notamment dans le domaine de l’énergie. Et pour cause, ces derniers mois, les fournisseurs d’électricité n’ont eu d’autre choix que d’augmenter leurs tarifs.

L’offre d’EDF réglementée par les pouvoirs publics, le fameux tarif réglementé de vente (TRV) ou « tarif bleu », n’y a pas non plus échappé, étant donné que son niveau dépend en partie de celui des marchés de gros. Concrètement, alors que la facture annuelle d’électricité TTC d’un foyer moyen au TRV s’élevait à 1.978 euros à l’été 2021, celle-ci flirte aujourd’hui avec les 2.120 euros, selon les données du courtier en énergie Selectra.

Une hausse néanmoins largement amortie par l’action des pouvoirs publics, puisque, sans « bouclier tarifaire », le TRV aurait bondi d’environ 40%, a récemment affirmé la Commission de régulation de l’énergie (CRE), contre 4% depuis février.

« Les consommateurs au TRV paient donc un prix très très inférieur à ce qu’ils devraient payer », souligne Xavier Pinon, cofondateur et gérant de Selectra.

Cependant, d’autres fournisseurs, comme Mint Energie, ont quant à eux enregistré des hausses significatives malgré l’accompagnement de l’Etat, en imposant des tarifs jusqu’à 30 ou 40% plus élevés par rapport à l’an dernier. Ainsi, la facture annuelle TTC pour les foyers ayant souscrit à l’une des 10% des offres les plus chères du marché a explosé passant de 2.165 euros en juillet 2021,à presque 5.000 euros au début de l’année 2022 !

Certains concurrents d’EDF ont même dû se résoudre à jeter l’éponge, parmi lesquels Leclerc, GreenYellow (Casino), ou ont carrément fait faillite, à l’instar de Planète Oui ou Bulb.

Carburants : une aide très floue pour les gros rouleurs !

Carburants : une aide très floue pour les gros rouleurs !  

 

 

Il est clair que la remise de 15 à 0,18 € octroyée par le gouvernement depuis le 1er avril manquait sérieusement de ciblage et n’était par ailleurs guère cohérentes avec une politique environnementale.

Du coup ,le gouvernement envisage désormais un nouveau dispositif d’aide en direction des » gros rouleurs ». Mais d’une certaine manière, cette perspective sera également très contradictoire avec une préoccupation environnementale. Pour schématiser à outrance, c’est un peu comme si pour lutter contre l’alcoolisme, on encourageait les gros buveurs à boire !

Aider financièrement les gros rouleurs n’a pas de sens environnemental, social ou économique. Il faut en effet distinguer sans doute d’abord les professionnels dont le carburant représente une part importante de leur coût. Ensuite distinguer les particuliers contraints d’effectuer de longs voyages en automobile entre le domicile et le lieu de travail. Bref, définir une politique fine bien ciblée cohérente économiquement et écologiquement.

L’idée étant que cette mesure soit votée «vers le mois de juillet». Pour l’heure, les contours de celle-ci restent flous. Contacté, Bercy renvoie la responsabilité au prochain gouvernement – dont le chef, successeur de Jean Castex, pourrait être connu la semaine prochaine.

Premièrement, la forme de ce soutien n’est pas arrêtée. Quant aux publics ciblés, deux catégories semblent être privilégiées, comme l’avait expliqué Jean Castex sur TF1 le mois dernier. Le premier ministre avait dit préparer «un dispositif plus intensif pour deux catégories de nos concitoyens» : «ceux qui ne gagnent pas beaucoup» et «ceux qui roulent beaucoup».

Techniquement voit mal comment l’État pourrait distinguer et croiser les données des populations visées à moins d’une ristourne rétroactive accordée dans le cadre d’une procédure qui cathédrale administrative. La mesure la plus simple et AF est immédiat est évidemment la ristourne à la pompe pour tout le monde avec le défaut qu’elle est en contradiction avec la redistribution et la prise en compte environnementale.
Notons par parenthèse que la martingale des écolos politisés qui visent à augmenter de carburant ( via la taxe carbone ou autre) vient de démontrer encore son inefficacité. En effet, en dépit du très haut niveau des prix du carburant, la mobilité par automobile n’a guère évolué.

Une prolongation de la remise carburant ne semble donc pas écartée, malgré les propos de la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili en mars sur RTL, qui avait assuré qu’elle n’avait pas vocation à «durer».


 

Législatives: LREM va payer le recrutement de députés venus de nulle part

Législatives: LREM va payer le recrutement de députés venus de nulle part

 

 

 

 Si elle part gagnante après la réélection d’Emmanuel Macron, la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale est épuisée par le précédent quinquennat et n’a pas su s’implanter localement, analyse l’universitaire dans le Figaro. .

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

 

 L’élection présidentielle vient à peine de désigner de vainqueur que les états-majors des partis planchent déjà sur le «troisième tour»: les législatives des 12 et 19 juin. La recomposition chez les oppositions de gauche et de droite, après leur bérézina à la présidentielle, devrait-elle à nouveau profiter à LREM ?

BENJAMIN MOREL. - La République en Marche, ou quel que soit le nom que portera la majorité présidentielle lors de ces élections, part en effet plutôt gagnante. Ses avantages sont de trois natures dans ce scrutin.

D’abord, le mode de scrutin majoritaire à deux tours favorise fortement les partis centristes. Pour vous maintenir au second tour, vous avez besoin de 12,5% des inscrits au premier. C’est un chiffre difficile à atteindre, surtout en cas de forte abstention. Or, s’il n’y a pas des triangulaires et que le centre se retrouve face à la droite, la gauche vient en renfort au second tout, et vice versa… De là vient la surreprésentation des partis de centre gauche et de centre droit dans notre vie politique.

Ensuite, le scrutin favorise les partis en situation d’alliance dès le premier tour. Pour arriver au second, il faut en effet avoir la capacité d’unir son camp, sinon vous prenez le risque de vous faire doubler par deux concurrents. Or LREM a mis en place un système d’alliance structuré qui couvre l’ensemble de son espace électoral. Les pôles de droite (notamment RN et Reconquête!), et pour l’instant de gauche, apparaissent encore désunis. Il est donc probable qu’à ce stade la plupart des candidats LREM soient en capacité d’atteindre le second tour, et si c’est le cas, pour les raisons que l’on a données, de l’emporter.

Il n’est pas certain que LR parte tout à fait perdant dans cette élection. Il faut se garder de plaquer les résultats par circonscription de la présidentielle pour en tirer des conclusions pour les législatives.

 

Enfin, dans les législatives post-quinquennat, on assiste à une élection de confirmation de la présidentielle. Cela n’est pas dû à l’éternelle antienne des éditorialistes selon laquelle «les Français sont cohérents et veulent donner une majorité au président élu». C’est simplement lié à un phénomène de participation différentielle. L’électorat d’opposition est groggy par sa défaite aux présidentielles et ne se mobilise pas, laissant l’électorat de la majorité dominer le jeu. Ce sera peut-être un peu moins vrai cette fois. Le temps entre les deux élections est important et l’on assiste à une volonté de revanche d’une partie des électeurs qui peut induire une remobilisation.

Une «majorité de coalition» sur quelques points de programme, avec des députés de droite notamment, est-elle la seule solution pour LREM afin d’obtenir une majorité confortable ? À l’inverse, LR devra-t-il passer par là pour survivre ?

Les députés LR peut-être ; LR en tant que tel, ce n’est pas évident. Si certains accords locaux peuvent permettre de sauver quelques sièges, un accord national impliquerait pour la droite de ne plus présenter de candidats dans la majorité des circonscriptions qui seraient campées par LREM, et de ne plus être présent que sans ses fiefs. Ce serait d’abord en rajouter aux difficultés financières, étant donné que le financement des partis pour les cinq années qui viennent est calculé sur la base du nombre de voix reçues aux législatives.

Par ailleurs, il n’est pas certain que LR parte tout à fait perdant dans cette élection. Il faut se garder de plaquer les résultats par circonscription de la présidentielle pour en tirer des conclusions pour les législatives. Les logiques de vote ne sont pas les mêmes. Cette élection va avoir une particularité. C’est la première fois depuis le début du quinquennat qu’un président est reconduit et demande la même chose pour sa majorité. La majorité de 2002 a été reconduite en 2007, mais avec un nouveau président de la République. Or, la majorité est non seulement épuisée par ces cinq années, mais elle n’a pas su s’implanter. Elle paie le recrutement il y a cinq ans de députés venus de nulle part, élus dans le souffle d’une présidentielle, mais qui devrait être moins fort cette fois-ci au regard des facteurs déjà vus et d’une réélection d’Emmanuel Macron en partie par défaut. Elle paie également la fin du cumul des mandats qui permettait à ses prédécesseurs de parier sur une notoriété et des appuis locaux. LR peut compter sur un personnel politique bien implanté qui, en cas de difficulté pour la majorité ou d’élection jugée peu lisible, a des arguments à faire valoir. On a vu combien ce point avait joué aux municipales, aux départementales et aux régionales. Si ces élections passent sous les radars et deviennent une addition de 577 petites élections, LR a tout pour tenir.

Le Rassemblement national a été historiquement handicapé par le scrutin majoritaire à deux tours. Malgré ses 13,2 % des voix au premier tour des législatives de 2017, le parti n’avait obtenu que sept députés. Insuffisant pour disposer d’un groupe. Une alliance avec le parti d’Éric Zemmour, Reconquête!, pourrait-elle changer la donne ?

Il y a là un dilemme compliqué pour le RN… On l’a dit, le mode de scrutin joue contre ce parti. Il favorise les partis centristes, mais défavorise les partis les plus polarisés qui dès lors qu’ils se retrouvent au second tour, sans alliance, doivent affronter l’ensemble du champ politique. Or en cas de division entre Reconquête et le RN, face à la majorité et à une gauche qui peut s’unir, la plupart des candidats de ce camp politique risquent de se voir écartés dès le premier tour. C’est d’autant plus vrai que si l’électorat zemmourien pèse peu relativement aux légions lepénistes, c’est un électorat peu abstentionniste. C’est toute la difficulté du RN aux élections législatives. Son électorat se déplace aux présidentielles, mais pas après.

La participation différentielle pourrait rééquilibrer le rapport de force entre les partis dans le cadre de cette élection. Pour le RN, il serait donc tactiquement nécessaire de se rapprocher de Reconquête!, sauf que, stratégiquement c’est faire la courte échelle à un concurrent. L’appel d’Éric Zemmour pourrait être traduit par la phrase de Racine: «J’embrasse mon ennemi, mais c’est pour mieux l’étouffer». En effet, aider Reconquête! dans cette élection, ce serait lui permettre d’avoir des députés, faciliter son financement à travers les dispositifs déjà décrits de financement des partis lors des législatives. Bref, ce serait lui permettre d’installer structurellement un parti rival cherchant explicitement à remplacer le RN dans la vie politique. Bref, l’alliance de la carpe et du lapin.

L’électorat de banlieue est très concentré géographiquement, ce qui fait que son abstention n’est pas si déterminante quand il s’agit de s’imposer dans une circonscription.

 

De leur côté, les Insoumis entendent bâtir une coalition avec les communistes et les écologistes, en quête d’élus pour former un groupe. Quelles sont les conditions nécessaires pour qu’un grand pôle «social-écologiste» face son entrée à l’Assemblée ?

Comme je l’ai dit, pour avoir une place au soleil lors des législatives, il y a trois conditions. Un réseau d’alliances vous permettant d’unifier votre espace politique ; un personnel politique implanté ; une capacité à trianguler au centre. A priori, LFI est mal doté sur les trois items sauf que, trois choses se sont produites ces dernières semaines qui rebattent les cartes. La première est que, malgré ce que l’on avait pu en dire et ce que socialistes et écologistes avaient cru, l’électorat de gauche n’a massivement pas craint de voter pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour. Il n’y a donc pas une frontière infranchissable entre le centre gauche et LFI. Ensuite, EELV a vu non seulement ses velléités hégémoniques battues en brèche, mais est ruinée et a vu son aile écoréaliste-centriste fragilisée par l’échec de la campagne de Jadot. Enfin, le conseil national du PS, dont les élus sont très implantés, a voté pour ouvrir des négociations avec LFI. Ces trois données changent fondamentalement la donne.

La gauche n’est pas majoritaire dans l’électorat mais LREM et ses alliés non plus. Les législatives accordent d’abord une prime à l’organisation d’un camp. Or, si la gauche y parvient, elle devient la principale menace pour la majorité. C’est d’autant plus le cas que si l’électorat Mélenchoniste est fortement abstentionniste, il est aussi plus singulier que celui du RN. L’électorat de banlieue est très concentré géographiquement, ce qui fait que son abstention n’est pas si déterminante quand il s’agit de s’imposer dans une circonscription. Ensuite, l’électorat de centre-ville qui vote plus traditionnellement EELV ou PS pourrait se retrouver sur des candidatures communes. Restent les zones rurales où l’implantation du personnel politique socialiste peut faire la différence. Bref, unie dans l’élection, même minoritaire et divisée sur le fond, la gauche pourrait devenir redoutable.


Ukraine : Le risque de la contagion de la guerre

Ukraine : Le risque de la contagion de la guerre

 

 

Hier 26 avril, Moscou a clairement agité la menace d’une guerre nucléaire si les occidentaux s’impliquent par excès dans le conflit ukrainien.Une menace qui fait suite à la rencontre organisée en Allemagne par les États-Unis de 40 pays pour défendre la démocratie et mieux se préparer à l’éventualité de conflits armés.Le plus grand danger sans doute pourrait être la perspective d’une grave défaite de Poutine qui tenterait de sauver sa peau en utilisant le nucléaire .NDLR

La situation en Ukraine peut déboucher sur une catastrophe géopolitique impliquant y compris la France, souligne, dans une tribune au « Monde », l’anthropologue Véronique Nahoum-Grappe.

 

Tribune.

 

 Nous ne sommes pas en guerre militaire contre la Russie, avec un risque pour nos soldats, mais nous sommes en guerre morale, politique, économique contre le pouvoir qui a commis le crime d’agression contre l’Ukraine, le 24 février. Sans être en guerre, nous ne sommes plus dans l’état de paix d’avant. La période électorale en France se retrouve donc en parallèle avec le déroulement de ce désastre aux portes de l’Europe, au rythme des destructions et crimes terribles commis par l’agresseur, et de la formidable résistance ukrainienne qu’il rencontre. Ce conflit gravissime, son ombre portée de menaces inquiétantes sur un avenir collectif qui dépasse la France, suscite des débats géopolitiques multipliés sur les écrans. En France, nous vivons alors dans deux sphères de conflit, simultanées mais étrangères l’une à l’autre, la première consacrée à la politique intérieure, et la seconde à la tragédie internationale en cours.

 

Lorsque nous sommes enfermés dans le débat électoral de politique intérieure, nous revenons au temps de la paix d’avant cette guerre. La paix ! Rêve absolu des populations sous les bombes, et cadre de vie d’une totale platitude lorsqu’elle s’installe dans la durée, donc dans la normalité. La paix comme cadre invisible est associée à tous les éléments du confort physique : eau courante, électricité, ascenseurs, feux rouges consentis, tasse de café, voiture qui démarre au starter, trottoirs balayés, poubelles vidées, tout-à-l’égout, marchés et supermarchés achalandés, toits, portes et fenêtres bien en place… Et aussi, autour du corps humain, en mille bouquets dont les fleurs seraient les écrans, des possibilités de communication inouïes.

Nous n’imaginons plus, en France, à quel point l’état de paix conditionne le silence de la nuit, la qualité du sommeil, le calme intérieur de la pensée et la divagation des rêveries éveillées, cette forme de liberté intime quand le corps se tait, propre et nourri, non terrorisé. L’état de paix est sans récit, il stabilise le paysage urbain où le passant chemine tranquillement, sans avoir à considérer le risque du prochain pas. C’est exactement ce que cette guerre contre les villes et les campagnes d’Ukraine fait exploser et anéantit. Le silence du monde est détruit, tout hurle.

L’œil des drones nous fait voir ce qu’est une ville massacrée. A Marioupol, le sol est hérissé d’échardes d’acier, de débris de béton, de missiles plantés, de verre, de matières ennemies de la peau humaine, de choses bien pires. Les fenêtres sont décentrées, les balcons tordus et les carcasses des grands immeubles éventrés vomissent des peluches enfantines. C’est toute la matière des choses qui devient hostile au corps humain. Dans ce décor sinistre, un siège criminel a coupé l’eau, l’électricité, la nourriture, le chauffage, toute communication entre proches et toutes les nouvelles du monde, ce qui plonge le survivant dans l’abîme d’une perdition particulière, celle de l’absence de tout lien social, puits de solitude et d’angoisse.

Moscou agite la menace d’un conflit nucléaire

Moscou agite la menace d’un conflit nucléaire

 

D’après le correspondant du Figaro à Moscou , le contexte est périlleux. Il ne peut être exclu qu’en étant augmentée, l’aide militaire occidentale à l’Ukraine ne serve de prétexte à Moscou pour invoquer des «lignes rouges» et dénoncer une «cobelligérance».

Rhétorique ou réalité, Moscou n’écarte pas la possibilité d’une nouvelle escalade. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, ne l’a pas caché, lundi soir, de façon alambiquée mais parfaitement claire sur le fond. «Notre position de principe est l’inadmissibilité d’une guerre nucléaire», a déclaré Sergueï Lavrov, interrogé sur Pervy Kanal, la principale chaîne fédérale russe. «Et naturellement, je ne voudrais pas que maintenant, alors que les risques sont tout à fait importants, ceux-ci soient artificiellement gonflés» a poursuivi le ministre des Affaires étrangères russe, enchaînant: «Le danger est sérieux, il est réel, il ne doit pas être sous-estimé» Et selon le patron du ministère russe des Affaires étrangères, une «troisième guerre mondiale» constitue actuellement un risque «réel» - une éventualité que «nous ne devons en aucun cas permettre».

 

Le contexte est singulièrement périlleux. Il ne peut être exclu qu’en étant augmentée, l’aide militaire occidentale à l’Ukraine ne serve de prétexte à Moscou pour invoquer des «lignes rouges» et dénoncer une «cobelligérance». Le chef des Nations unies, Antonio Guterres, était mardi dans la capitale russe – où il a rencontré Vladimir Poutine et Sergueï Lavrov -, il a appelé à enquêter sur de «possibles crimes de guerre» en Ukraine et a prôné l’ouverture de couloirs humanitaires. Mais la diplomatie est au point mort. Sergueï Lavrov a bien affirmé que les discussions avec les Ukrainiens se poursuivraient mais a dit qu’un éventuel «accord de paix» - notion actuellement bien utopique - serait déterminé par les conditions militaires sur le terrain.

Autres sujets inflammables, susceptibles de mener à des dérapages: des incendies, en territoire russe, que Moscou accuse d’avoir été provoqués par des bombardements ukrainiens. C’est le cas notamment à Briansk, proche de la frontière ukrainienne, où un dépôt pétrolier était en feu au début de la semaine. Une enquête est en cours. De source russe, les Ukrainiens ont tiré en outre cinquante obus de mortiers sur le poste frontière de Troebortnoye, dans cette même région de Briansk, où un village, Klimovo, aurait été bombardé, faisant des blessés. Par ailleurs, près de Belgorod, autre ville russe proche de l’Ukraine, deux villages ont été bombardés, dit-on de même source, provoquant destructions et blessés.

Mardi, tous les regards étaient tournés vers un autre point chaud: la Transnistrie, région séparatiste prorusse de Moldavie soutenue économiquement et militairement par Moscou. La veille, deux détonations avaient endommagé une tour radio, mettant hors service deux antennes relayant les fréquences radiophoniques russes, a affirmé le ministère de l’Intérieur de cette république autoproclamée. La veille, les autorités avaient affirmé que le siège du ministère de la Sécurité publique à Tiraspol – «capitale» de la Transnistrie - avait été la cible d’une attaque au lance-grenades. Des nouvelles qui sont «une source de préoccupation», a réagi Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin. Inquiétude surtout du côté de la Moldavie, ex-République soviétique frontalière de l’Ukraine et qui redoute d’être la prochaine cible de Moscou. La présidente de la Moldavie, Maïa Sandu, a d’ailleurs réuni mardi son Conseil de sécurité nationale après cette série d’explosions dans la région séparatiste.

 

Macron : réélection en trompe-l’œil

Macron : réélection  en trompe-l’œil

.Le succès d’Emmanuel Macron valide une stratégie visant à le faire apparaître comme le champion des « progressistes », mais elle n’a que partiellement fonctionné. Par Mathias Bernard, Université Clermont Auvergne (UCA)

 

Le large succès d’Emmanuel Macron contre Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, le 24 avril 2022, ne constitue pas une surprise. Depuis plus d’un an, il était annoncé par tous les sondages d’opinion – avec une avance qui, finalement, n’a pas été modifiée par une campagne pourtant peu avare en rebondissements.

En avril 2021 déjà, les principaux instituts (Elabe, Harris Interactive, Ifop, Ipsos) situaient le score final du président sortant dans une fourchette allant de 54 à 57 % des voix.

Ce succès s’inscrit en outre dans le prolongement des résultats du premier tour, qui avaient interrompu une dynamique semblant profiter, au début du mois d’avril, aux principaux opposants à Emmanuel Macron (Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon) : avec 4,5 points et 1,6 million d’électeurs d’avance sur sa poursuivante, le président sortant abordait ce second tour en situation de ballotage favorable, d’autant qu’il pouvait compter sur le soutien d’un nombre plus important de candidats du premier tour (Pécresse, Jadot, Roussel, Hidalgo – contre Zemmour et Dupont-Aignan) ainsi que sur l’appel répété de Jean-Luc Mélenchon à ne pas « donner une seule voix à Mme Le Pen ».

Avec cette victoire, Emmanuel Macron est le premier président de la Ve République à avoir été élu à deux reprises au suffrage universel sans être en situation de cohabitation. François Mitterrand en 1988 et Jacques Chirac en 2002 avaient abordé l’élection dans un contexte de cohabitation qui renforçait leur position arbitrale, en surplomb de la scène politique, et leur permettait de capter l’insatisfaction des électeurs face à l’action des gouvernements dirigés par des hommes (Chirac en 1988, Jospin en 2002) qu’ils ont pu ainsi facilement éliminer au second ou au premier tour du scrutin.

Quant au général de Gaulle, réélu en 1965 dans une logique de continuité, il avait été choisi sept ans plus tôt par un collège de 82 000 grands électeurs – et non par le suffrage universel. Emmanuel Macron échappe ainsi à cette malédiction du « vote-sanction » contre le président sortant qui a expliqué les défaites de Valéry Giscard d’Estaing en 1981 et de Nicolas Sarkozy en 2012 et a poussé François Hollande à ne pas se représenter à la présidentielle de 2017.

Ce succès valide, semble-t-il, la stratégie qu’il a engagée dès 2017 et qui visait à le faire apparaître comme le champion des « progressistes », c’est-à-dire des libéraux européens de droite et de gauche, contre les « populistes nationalistes », rassemblés autour de Marine Le Pen. L’action et le discours du président sortant, au cours de ces cinq années, consistaient bien à consolider cette bipolarisation qui avait assuré son succès au second tour de la présidentielle de 2017 et apparaissait comme le sésame en vue d’un second mandat.

Cette stratégie n’a qu’imparfaitement fonctionné. En effet, le paysage politique français est aujourd’hui structuré autour de trois - et non de deux – pôles. Le score de Jean-Luc Mélenchon, qui a gagné en cinq ans plus de voix que Marine Le Pen, a été la plus grande surprise du premier tour de scrutin – tant la capacité du dirigeant de la France insoumise à rassembler les électeurs de gauche hostiles au libéralisme macronien a été sous-évaluée, notamment par un président sortant tout occupé à capter à son profit l’électorat de la droite traditionnelle.

L’attitude des électeurs de la gauche antilibérale a été l’enjeu principal de l’entre-deux-tours. Chacun des deux candidats en lice a cherché à attirer l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen en insistant sur le caractère « social » de son programme, Emmanuel Macron en reprenant la proposition d’une « planification écologique ». Sans convaincre pleinement ni faire bouger réellement les rapports de forces.

Les résultats du second tour semblent indiquer que les électeurs de gauche ne se sont pas comportés de façon mécanique et uniforme. Une proportion non négligeable a voté pour Marine Le Pen, notamment dans les campagnes, où Le Pen est désormais majoritaire, dans cette « France périphérique » décrite par Christophe Guilluy ainsi que dans les outre-mers où la candidate du Rassemblement national recueille la plus grande partie des électeurs qui s’étaient portés en nombre au premier tour sur Jean-Luc Mélenchon : elle obtient ainsi près de 70 % des suffrages en Guadeloupe, où le dirigeant de la France insoumise avait recueilli 56 % des voix quinze jours plus tôt. Le vote lepéniste, majoritaire dans deux départements seulement (l’Aisne et le Pas-de-Calais) il y a cinq ans, prévaut désormais dans plus de vingt départements (principalement dans le nord, l’est et le sud-est de la France) et dans de nombreux territoires ruraux.

Une fraction un peu plus importante a voté pour Emmanuel Macron, notamment dans les grandes agglomérations où les électeurs de Mélenchon ont un profil sociologique assez proche de celui du président sortant : celui-ci conforte ainsi son ancrage dans la France des grandes villes.

Plus nombreux encore sont ceux qui ont refusé de choisir. Plus de 8.5 % des votants ont déposé un bulletin blanc ou nul, contre 2.2 % quinze jours plus tôt. Quant au taux d’abstention (28 %), il est aussi nettement supérieur à celui du premier tour de 2022 (26,3 %) et du second tour de 2017 (25,4 %), lequel était déjà élevé pour un scrutin présidentiel.

Seul le second tour de la présidentielle de 1969 a enregistré un taux d’abstention supérieur (31,2 %) : comme en 2022, le premier tour de cette élection avait été dominé par trois candidatures, celle du gaulliste Georges Pompidou (44,5 %), du centriste d’opposition Alain Poher (23,3 %) et du communiste Jacques Duclos (21,2 %), lequel avait renvoyé dos à dos les deux candidats finalistes, qualifiés de « blancs bonnets et bonnets blancs ». Le score réalisé par Emmanuel Macron est d’ailleurs très proche de celui qu’avait obtenu Georges Pompidou lors de cette élection (58,2 %).

La tripolarisation s’accommode décidément mal du scrutin majoritaire à deux tours : c’est ce qui explique la faible proportion de suffrages exprimés par rapport au nombre d’électeurs inscrits, en 1969 comme en 2022, où elle descend en-dessous de 66 % – ce qui constitue un record pour une présidentielle. C’est ce qui explique qu’Emmanuel Macron soit à la fois l’un des présidents les mieux élus de la Ve République (derrière Chirac en 2002 et lui-même en 2017) si l’on rapporte son score aux suffrages exprimés et, avec Georges Pompidou en 1969, le plus mal élu si on le rapporte plutôt aux électeurs inscrits ((38 % contre 43.5 % pour lui-même en 2017).

La dispersion des électeurs de gauche, et dans une moindre mesure, de la droite traditionnelle explique le résultat obtenu par Macron, qui perd plus de 8 points et près de 2 millions d’électeurs par rapport au second tour de 2017. Cette baisse est sans précédent dans l’histoire des élections présidentielles : Giscard, en 1981, et Sarkozy, en 2012, avaient respectivement perdu 3 et 5 points par rapport à l’élection qui avait permis leur victoire. Il faut y voir moins un vote-sanction (la base électorale du président sortant, au premier tour, ayant assez nettement progressé) que la forte érosion de la logique du « front républicain », qui avait fonctionné, pleinement en 2002, majoritairement en 2017 et plus partiellement en 2022, illustrant la façon dont le vote en faveur de Marine Le Pen s’est banalisé.

La victoire attendue d’Emmanuel Macron ne doit pas masquer les deux principaux enseignements du scrutin : l’extrême droite obtient un niveau jamais atteint lors d’une élection en France, grâce à sa capacité à rassembler assez largement au second tour un électorat hétérogène à dominante populaire ; le paysage politique français, structuré autour de trois pôles, est en décalage avec un mode de scrutin adapté à la bipolarisation, ce qui met en question la représentativité des élus, choisis au second tour par défaut plus que par adhésion, et, au-delà, le fonctionnement même des institutions démocratiques. Ce double constat rend d’autant plus incertaine l’issue des prochaines élections législatives, qui ne seront pas marquées par la même dynamique de changement qu’en 2017, 2012 ou même 2007.

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Par Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Economie, politique, société: les plus lus (27 avril 2022- 5h50)

Poutine un jour devant la justice internationale ?

Inflation : la fausse lutte des banquiers centraux !

Inflation : la fausse lutte des banquiers centraux !

Les banquiers centraux multiplient les effets de manche afin de justifier la lutte contre l’inflation. Sauf que les taux d’intérêt proposés ne collent pas au danger annoncé. Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste.

En clair, les banquiers centraux communiquent beaucoup sur les perspectives de relèvement des taux d’intérêt pour réguler l’inflation mais en vérité utilise cette inflation pour amortir les dettes et les énormes générosités monétaires pendant la crise sanitaire. Ils ne souhaitent pas non plus casser la fragile croissance avec un arrêt brutal de la politique monétaire accommodante Finalement la manière classique qui consiste à utiliser l’inflation pour amortir les excès de la planche à billets. NDLR 

« L’inflation risque de tout raser sur son passage, il faut agir vite et fort. »

Voilà un condensé de ce qui a pu être dit par les membres des banques centrales américaine (Fed) et européenne (BCE) au cours des dernières semaines. Agir vite et fort, mais pas trop vite quand même, précise Christine Lagarde dans son dernier discours. Globalement, on a quand même bien compris le message. Les banquiers centraux ourdissent des politiques monétaires plus restrictives.

Pourtant, quelque chose ne colle pas. Il y a un décalage étonnant entre les mots et les taux. Les mots employés pour parler du danger inflationniste ne se retrouvent pas dans les taux qui sont proposés pour juguler ce risque. En vérité, on est bien loin d’une politique monétaire qui deviendrait restrictive. Il conviendrait plutôt de parler de politique monétaire moins accommodante.

Le cas américain en est la plus parfaite illustration. Aujourd’hui, le taux d’intérêt directeur de la Fed s’établit dans une fourchette allant de 0,25 à 0,5%, alors que l’inflation est en orbite à 8,5%. Le coût de l’argent (taux) est donc bien inférieur au coût de la vie (inflation). On pourrait anticiper alors que la volonté de la Fed de lutter contre l’inflation se traduise par une remontée des taux significative. Oui, la hausse sera significative, de 0,5 à près de 2% fin 2022 si l’on en croit les anticipations. Mais ce coût de l’argent restera bien inférieur au coût de la vie qui devrait décélérer de 8,5% à près de 5%. Même à son acmé en 2023, le coût de l’argent ne parviendrait qu’à revenir au même niveau que l’inflation : 3%. Pas vraiment l’impression d’une politique qui se donne les moyens de lutter contre l’inflation galopante.

En vérité, la lecture devient plus troublante encore si l’on adopte une approche plus fine. En effet, les initiés ont pour habitude de consulter un éventail de règles de politiques monétaires proposées par la recherche académique. Ces règles leur permettent de calibrer un niveau adéquat de taux d’intérêt directeur en fonction des fondamentaux économiques, un niveau qu’ils confrontent alors au taux d’intérêt directeur en vigueur. Si le taux requis par la règle est supérieur au taux en vigueur, on dira alors que la politique monétaire est trop accommodante : la Fed devrait donc remonter ses taux. On peut même se projeter en comparant le taux prévu au taux requis en fonction de différents scénario économiques.

Le constat est sans appel. Sur 21 cas retenus (7 règles et 3 scénarios), 19 justifieraient un taux d’intérêt directeur supérieur aux niveaux actuels de 0,5% aujourd’hui même. A horizon 1 an, 17 cas sur 18 justifieraient un taux directeur supérieur au 2% qui sont prévus. Enfin à horizon 2 ans, 13 cas sur 14 justifieraient un taux directeur supérieur à 3%. Clairement, la politique monétaire n’est pas, ne deviendrait pas restrictive, si les taux prévus par les membres de la Fed ou les marchés sont ceux qui seront appliqués. La Fed restera très accommodante, certes un peu moins.

La BCE n’est pas en reste. Certes son niveau d’inflation est un peu en dessous de celui des Etats-Unis à 7,4%. Mais la BCE ne prévoit pas de remonter ses taux aussi fort et aussi vite que la Fed. Seule une hausse des taux de 0 à 0,25% serait envisagée par la majorité des membres d’ici la fin de l’année. On est bien loin des 2% de la Fed. On peut alors procéder au même type d’analyse que pour la Fed ci-dessus. Le résultat sera du même acabit : la BCE ne pratiquera pas de politique monétaire restrictive ni en 2022 ni en 2023, mais une politique légèrement moins accommodante.

Mais alors pourquoi une telle agressivité verbale des banquiers centraux, pour une politique monétaire tout juste moins accommodante ? La première explication qui vient à l’esprit, c’est qu’ils ne croient pas à ce qu’ils disent. Le risque inflationniste est survendu. Personne ne croit vraiment que cette inflation galopante, dopée par les confinements à répétition et le conflit Ukrainien, ne tisonne un jour les salaires. Personne ne croit vraiment aux effets de second tour sur l’ensemble des prix des biens et services. D’ailleurs, même les marchés obligataires n’y croient pas. Franchement, avec des taux d’intérêt à 10 ans à près de 3% aux Etats-Unis et 1% en Allemagne, alors que l’inflation est à 8,5 et 7,4%, peut – on parler de Krach obligataire ? La hausse des taux depuis le début de l’année est impressionnante, vive et rapide, sans nul doute. Mais on est plus proche de l’allegretto que de l’allegro. Certes, l’histoire n’est pas terminée.

Plus vraisemblablement, les banquiers centraux ne reconnaissent toujours pas le risque inflationniste. En leur for intérieur, ils restent convaincus que l’inflation va retomber comme un soufflet, et qu’il faut éviter à tout prix de pratiquer une politique monétaire restrictive. L’activité économique n’y résisterait pas, et les marchés n’y survivraient pas. Depuis 15 ans les crises successives (Subprime, dette souveraine, Covid) ont rendu la performance économique et financière bien trop dépendante d’une politique monétaire qui devint ultra – accommodante sans jamais motiver de tensions indésirables sur les prix. Un constat que l’on peut faire dans toutes les économies dites développées.

Convaincus que cette période fut marquée par le sceau de l’excellence en matière de politique monétaire, les banquier centraux se refusent de croire qu’elle peut se terminer aussi bêtement. Ils tentent alors de donner le change avec des mots plutôt qu’avec des taux. Ils exagèrent le verbe plutôt que le geste. En art aussi on connût ce genre de pratique au XVIe siècle: on appela cela le maniérisme. L’expression d’un courant qui cherchait sa voix après que les artistes phares de l’époque (XVIe siècle) eurent tutoyé la perfection. Plutôt que de se risquer à quitter l’ivresse du génie, on préféra seulement s’en éloigner un peu, en exagérant les traits, les figures, les motifs. Bref, de l’exubérance plutôt que de l’errance diagnostique.

Macron : Une réélection ambiguë

Macron : Une réélection ambiguë

 

La victoire d’Emmanuel Macron – qui a perdu presque 2 millions de suffrages en cinq ans – le confronte directement à son échec : il n’a pas su faire reculer l’extrémisme ni revitaliser notre vie démocratique. Pour rendre crédible l’« ère nouvelle » annoncée par le président réélu, il importe d’en annoncer rapidement les contours estime un édito du « Monde ». 

 

Editorial du Monde. 

« Cinq années de mieux », et non cinq de plus. Au soir de son second tour une nouvelle fois victorieux face à Marine Le Pen, dimanche 24 avril, Emmanuel Macron a lui-même fixé l’ambition qui peut le distinguer de ses trois prédécesseurs réélus présidents sous la Ve République. Pour Charles de Gaulle, puis François Mitterrand et Jacques Chirac – ces deux derniers renouvelés au sortir d’une période de cohabitation –, le second mandat avait pris la forme d’une longue déception. Comme si la continuité de l’exercice du pouvoir avait fini par étouffer toute l’ardeur de la prise de fonctions.

De fait, Emmanuel Macron, encore jeune président de 44 ans, n’a d’autre choix que de tenter d’échapper à cette langueur du maintien à l’Elysée. Sa prouesse d’avoir résisté au dégagisme qui l’avait porté au pouvoir lui donne toute légitimité pour gouverner, sans pour autant l’éloigner du bord de l’abîme. Deux chiffres, à l’issue de ce scrutin présidentiel, donnent la mesure de ce gouffre qui menace d’avaler notre vie démocratique. Avec près de 13,3 millions de voix – 2,7 millions de plus qu’en 2017 –, Marine Le Pen a établi le meilleur score de l’extrême droite à une élection, toutes périodes confondues. Celles et ceux qui ont décidé de ne pas choisir, par l’abstention, le vote blanc ou nul, pèsent encore plus lourd : près de 16,7 millions de personnes, un nouveau sommet. Sur ces deux points, la victoire d’Emmanuel Macron – qui a lui-même perdu presque 2 millions de suffrages en cinq ans – le confronte donc directement à son échec : il n’a pas su, comme il en avait affiché l’intention, faire reculer l’extrémisme et revitaliser notre vie démocratique.

Sa réélection le maintient aussi sous la pression d’une conjonction inouïe de crises : agression russe de l’Ukraine, catastrophe climatique, pandémie, dérèglements économiques et sociaux. Pour amortir les effets de ces bouleversements en France, et surtout pour attirer des voix acquises à Jean-Luc Mélenchon, M. Macron a choisi, dans l’entre-deux-tours, d’infléchir vers la gauche un programme très nettement orienté à droite. Faire « mieux » consistera dès le début de ce nouveau quinquennat à donner forme à cette synthèse, sans décevoir une nouvelle fois les progressistes.

Sur le réchauffement climatique, des paroles fortes ont été prononcées, qui ont certainement contribué au report des voix d’une partie de la jeunesse sur le président sortant. Confirmées dimanche soir, ces promesses sont tellement appuyées qu’il faut considérer, à rebours du vieil adage chiraquien, qu’elles engagent pour une fois davantage celui qui les a émises que ceux qui les ont reçues. De la part d’un président qui a souvent démontré, au cours du premier quinquennat, une capacité supérieure à traverser les crises qu’à les anticiper, il n’est que temps de réaliser que cette catastrophe n’obère plus seulement notre avenir, mais frappe dès maintenant notre présent.

Face au programme imprégné de xénophobie de Marine Le Pen, Emmanuel Macron a également choisi de renouer avec la réfutation ferme qui était la marque de son début de mandat. Il faut souhaiter que celui qui s’ouvre, éclairé par les déboires de la droite classique qui y a égaré la plupart de ses électeurs et un bout de son âme, ne renouera pas avec les gesticulations et les surenchères des derniers temps.

La composition de l’électorat de la candidate défaite dessine en revanche une piste pour renouer avec des citoyens tentés par le vote protestataire. Alors que le vote Macron agrège les deux bouts de la pyramide des âges, une part de la jeunesse et la quasi-totalité des retraités, celui de Mme Le Pen concentre les tranches du milieu, soit une très grande partie de la population active. C’est dire l’ampleur du trouble qui parcourt le monde de l’emploi, au-delà de la question essentielle du pouvoir d’achat. S’occuper de la qualité du travail, tout autant que de sa quantité, peut contribuer à faire reculer un mal-être qui s’est largement exprimé pendant le soulèvement des « gilets jaunes ». La crise d’un consumérisme centré sur la voiture et le centre commercial, la prise de conscience des excès de la mondialisation peuvent converger avec des objectifs climatiques qui ne pourront être atteints sans mise en place d’une forme de sobriété collective, à condition que les efforts soient équitablement partagés.

La mise en œuvre de telles évolutions ne peut toutefois se passer d’une profonde rénovation de nos fonctionnements démocratiques et institutionnels. Or, sur ce point, le président réélu est resté bien évasif dimanche, après avoir évoqué beaucoup d’idées dans les jours précédents. Cette « invention collective d’une méthode refondée » doit porter tout autant sur le mode de gouvernance, à l’évidence très centralisé, du président lui-même que sur une revitalisation du rôle du Parlement, rabaissé pendant cinq ans. De multiples autres pistes sont envisageables. Pour rendre crédible l’« ère nouvelle » annoncée par M. Macron, il importe d’en annoncer rapidement les contours. S’éloigner de l’abîme exige de fixer au plus vite cette nouvelle direction.

Internet: Une régulation européenne des plates-formes numériques très insuffisante

Une régulation européenne des plates-formes numériques très insuffisante

 

Malgré l’adoption de nouvelles législations volontaristes par l’Union européenne, l’économiste Olivier Bomsel explique, dans une tribune au « Monde », pourquoi la régulation des portiers numériques que sont Google, Amazon et Facebook est un rocher de Sisyphe

La prochaine adoption du Digital Markets Act (DMA) à Bruxelles et le soutien bipartisan [républicain et démocrate] à l’American Innovation and Choice Online Act à Washington sont unanimement salués comme un tournant dans la régulation des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).

Ces deux textes visent à prévenir des abus de position dominante des grandes plates-formes numériques, notamment ceux consistant à privilégier leurs propres produits sur les accès dont ils ont le contrôle.

En gros, Google ne pourra plus privilégier les vidéos de YouTube sur les requêtes du moteur de recherche, et Amazon ne pourra plus faire apparaître sa gamme Amazon Basics en tête de gondole sur son site de e-commerce.

Ces textes ont pour but d’empêcher des pratiques illégales qui ont prospéré jusqu’ici en raison de la difficulté à prouver l’abus éhonté des plates-formes. Il a fallu dix ans à la Commission européenne pour condamner Google qui proposait Google Shopping avant les services concurrents. L’amende a été de 2,4 milliards d’euros. Entre-temps, la plupart des comparateurs évincés ont disparu, instaurant la domination de Google sur ce marché. A l’échelle de Google et de l’avantage obtenu, l’amende est dérisoire.

On veut désormais prévenir. Soit. Mais les problèmes d’application des nouveaux textes s’annoncent déjà ubuesques. Quelles seront les entreprises concernées ? Où se situera la frontière entre celles-ci et les autres ? Ne risque-t-on pas de voir les GAFA réclamer l’inclusion de tel ou tel concurrent ? Quels seront les services visés ? Comment établir des preuves ? Quelles sanctions imposer ? En quoi dissuaderont-elles des titans aux profits colossaux ? Reprochera-t-on à Amazon de présenter une offre bénéficiant de Prime (livraison gratuite en un jour) avant un produit de sa Marketplace n’entrant pas dans ce programme ? Qu’y gagnera le consommateur ?

Il faut redouter beaucoup de procédures pour très peu de résultats. A quoi les régulateurs rétorquent que les plates-formes sont coopératives et vont s’autoréguler. Que ne l’ont-elles fait jusqu’ici ! Tout dans leur attitude démontre le contraire.

Le problème de fond vient de la structure de l’industrie, ce qu’en jargon économique on appelle l’« intégration verticale ». Dès leur entrée en Bourse, Amazon, Google et Facebook ont utilisé leurs ressources pour s’intégrer en amont et en aval de leur métier d’origine.

Abus innombrablesCes points sont techniques et mal connus du grand public. Mais, pour résumer, ils ont permis à Google de contrôler l’accès mobile avec Android et la publicité en ligne avec DoubleClick. A Amazon d’être à la fois un détaillant, une place de marché accueillant des concurrents, un service logistique ultra-compétitif. Et à Facebook de capturer des clients et des annonceurs via WhatsApp et Instagram.

Internet : un pas vers la régulation européenne

Internet : un pas vers la régulation européenne

Le rachat de Twitter par Elon Musk, qui défend une conception radicale de la liberté d’expression, rappelle combien il est urgent de baliser le fonctionnement des réseaux sociaux estime papier du « Monde ». À cet égard, avec le Digital Services Act adopté le 23 avril, l’Union européenne pourra imposer aux grandes plates-formes numériques (Facebook, Amazon) de mieux éliminer les contenus illicites en ligne.

Un pas vers la régulation mais encore bien insuffisant NDLR

 

En un mois, l’Union européenne (UE) s’est dotée d’un arsenal législatif pour faire pièce à la puissance des acteurs du numérique. Après le Digital Markets Act, qui vise à encadrer les plates-formes sur le plan concurrentiel, les instances européennes ont adopté, le 23 avril, le Digital Services Act (DSA). Le but est d’instaurer un Internet plus sûr en obligeant les services en ligne, comme les réseaux sociaux et les sites d’e-commerce, à être plus transparents et responsables quant aux contenus et produits qu’ils diffusent.

Le postulat est que tout ce qui est interdit dans la vie réelle doit l’être également sur Internet, qu’il s’agisse d’incitations à la haine, de harcèlement caractérisé, d’apologie du terrorisme, de pédopornographie, d’atteintes aux mineurs, de diffusion de fausses nouvelles ou de vente de produits de contrefaçon, défectueux ou dangereux.

Face à la lenteur et au manque d’ambition des grandes plates-formes dans ces domaines, l’UE a décidé de leur imposer des obligations de moyens. Ce sera désormais aux géants du Web de démontrer qu’ils déploient suffisamment d’efforts pour modérer efficacement les contenus des utilisateurs, tout en rendant plus accessible le fonctionnement de leurs algorithmes. En cas de défaut, Bruxelles pourra leur infliger de très lourdes sanctions. De quoi inverser le rapport de force.

L’intérêt de cette législation réside dans sa dimension européenne. Aucun Etat pris isolément n’a aujourd’hui la puissance des Vingt-Sept pour faire évoluer le comportement des plates-formes. Par cet accord, l’UE apporte la démonstration de son utilité pour défendre les intérêts de ses citoyens face aux grands enjeux du XXIe siècle.

Jusqu’à présent, les velléités du Vieux Continent de réglementer le numérique ont été interprétées comme un aveu d’impuissance. Ne pouvant faire émerger un « Google européen », les Vingt-Sept étaient soupçonnés de prendre leur revanche en faisant preuve d’un juridisme zélé. Mais, face aux dérives répétées des plates-formes, les régulateurs et le législateur américains regardent désormais avec intérêt les initiatives de l’UE.

 

Réguler salaire et statut du dirigeant d’entreprise

Réguler salaire et statut du dirigeant d’entreprise

 

Dans sa chronique, le professeur en sciences de gestion Armand Hatchuel s’appuie sur la polémique autour de la rémunération du PDG de Stellantis pour questionner la définition juridique des missions d’un dirigeant.

 

Il faudrait remercier le conseil d’administration de Stellantis (fusion de PSA et Fiat Chrysler) pour une décision qui, en faisant l’unanimité contre elle, a sonné l’alerte. Pouvoirs publics, responsables de l’opposition et observateurs ont jugé que la rémunération du PDG, Carlos Tavares, était choquante et injustifiable.

Même les actionnaires de Stellantis ont émis un avis défavorable. Et, si la question des salaires excessifs des dirigeants est ancienne, la réprobation générale a été si forte que le président de la République s’est prononcé, le 14 avril, pour un encadrement de ces rémunérations à l’échelle européenne.

On peut craindre cependant que l’alerte soit vite oubliée. Les administrateurs de Stellantis ne se sont pas souvenus qu’en 2013 Philippe Varin, alors président du directoire de PSA, avait renoncé à une retraite chapeau qui contrastait de façon inacceptable avec les sacrifices demandés aux salariés. Au-delà de l’indignation du moment, cette réforme aboutira si elle repose sur une conception partagée et responsable du chef d’entreprise.

Il faut d’abord contester les idées reçues habituelles. Comme l’alignement sur un « prix de marché mondial » élevé du dirigeant, ou l’idée que le talent de ce dernier est la seule cause du succès de son entreprise. En effet, les rémunérations excessives étaient rares dans la deuxième partie du XXᵉ siècle, et pourtant rien ne permet de dire que les dirigeants de l’époque étaient moins talentueux ou moins sollicités.

Les rémunérations ont ensuite explosé dans les années 1990, quand la doctrine actionnariale de l’entreprise est devenue dominante et prescrivait d’aligner la rémunération des dirigeants sur l’intérêt des actionnaires. Au fondement du salaire du dirigeant, il n’y avait plus les multiples responsabilités vis-à-vis des personnels, de l’écosystème de l’entreprise ou des territoires. Seuls comptaient les résultats financiers de l’entreprise.

Mais ces critiques ne suffiront pas. Pour justifier la limitation des salaires des dirigeants – par exemple, à un certain multiple du salaire minimal – plusieurs travaux soutiennent qu’il faut inscrire dans le droit une définition différente du « chef d’entreprise », afin que ses devoirs soient reconnus par statut (Stéphane Vernac, « Que peuvent attendre les travailleurs d’un statut du dirigeant d’entreprise ? », Revue de droit du travail, Dalloz, 2017, page 519). Car le droit ne connaît que le gérant de société, défini comme la personne autorisée à signer des contrats au nom de cette dernière, ou le représentant de l’employeur tenu de respecter le droit du travail…

Boris Johnson ou le mépris du droit !

 Boris Johnson ou le mépris du droit  !

 

Aurélien Antoine, professeur de droit public et spécialiste du droit britannique, estime dans une tribune au « Monde » que le premier ministre britannique, empêtré dans le « partygate », s’est fait une règle de mépriser l’Etat de droit, une habitude contraire aux traditions des tories.

 

Boris Johnson n’est certainement pas un tory authentique. Par ses violations répétées du droit, il renie l’un des fondements de la doctrine conservatrice outre-Manche, largement partagé par les autres partis, qui réside en l’attachement profond au principe de l’Etat de droit.

L’actuel premier ministre a été qualifié de populiste par son rapport particulier à la réalité. Sans prétendre trancher le débat de la définition du populisme, le point commun entre Boris Johnson, le premier ministre hongrois Viktor Orban, le président polonais Andrzej Duda, Marine Le Pen ou Donald Trump est avant tout la relation presque pathologique qu’ils entretiennent avec la règle de droit. Arguant d’une légitimité issue d’un peuple dont l’unité est contestable, toutes ces personnalités pensent pouvoir s’abstraire des normes, y compris les plus fondamentales.

L’œuvre de Boris Johnson depuis qu’il est entré en fonction en juillet 2019 est édifiante sur le terrain du principe de l’Etat de droit, qui est l’une des valeurs cardinales de la société britannique. D’abord influencé par l’éminence sombre que fut l’ancien conseiller Dominic Cummings, le premier ministre a multiplié les atteintes à la Constitution et au droit international. En 2019, la décision de proroger le Parlement en pleine crise sur l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) a été sévèrement sanctionnée par la Cour suprême.

Toujours dans le cadre du Brexit, la tentative de Boris Johnson de s’extraire des contraintes du protocole nord-irlandais, notamment par le dépôt d’un projet de loi en septembre 2020 sur le marché intérieur britannique, avait conduit la Commission européenne à engager une procédure en manquement qui sera finalement abandonnée, comme d’autres. Dominic Cummings lui-même a dû quitter ses fonctions en raison des atteintes aux règles de confinement lors de la première vague de l’épidémie de Covid-19.

Avec son départ, certains espéraient que Boris Johnson allait faire preuve de plus de pondération juridique. Force est d’admettre qu’il est tombé de Charybde en Scylla. Il est bien aidé en cela par deux ministres qui ne cachent pas leur admiration pour Margaret Thatcher, Priti Patel et Dominic Raab. La première brille par son manque d’humanisme et, bien que fille d’émigrés indiens, est plus royaliste que le roi dans le traitement de la question migratoire. En concluant un accord début avril avec le Rwanda pour « délocaliser » la gestion des flux d’immigrés clandestins, tout en le présentant comme une solution respectueuse de leurs droits, la ministre de l’intérieur a battu un record de cynisme sur ce sujet tragique. La conformité de tels dispositifs au droit international et à la Convention européenne des droits de l’homme est plus que discutable.

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