Archive mensuelle de avril 2022

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Retraites : la réforme impossible ?

Retraites : la réforme impossible ?

Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC, Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, ainsi que l’économiste Patrick Artus et le politologue Jérôme Fourquet ont confronté leurs points de vue dans « le Monde », alors que la bataille contre la réforme voulue par Emmanuel Macron est déjà engagée.

 

 

Geoffroy Roux de Bézieux : Le président de la République a eu raison d’annoncer la couleur pendant la campagne présidentielle : il va falloir travailler plus longtemps, jusqu’à 64 ans ou 65 ans. J’ai toujours pensé que la réforme précédente avait échoué parce qu’elle n’avait pas été détaillée pendant la campagne de 2007. Là, les choses sont dites : le président de la République a, selon moi, la légitimité pour faire aboutir ce chantier.

Jérôme Fourquet : Je serais moins affirmatif que Geoffroy Roux de Bézieux. Depuis vingt ans, les Français sont très réticents à l’idée d’allonger la durée de la vie active. La seule catégorie de la population massivement acquise au report de l’âge du départ à la retraite, ce sont les retraités, qui traditionnellement votent à droite. Le basculement d’une partie de l’électorat de droite vers Emmanuel Macron est vraisemblablement lié à son annonce sur les retraites. Mais ce sera très compliqué de faire passer la pilule auprès du reste des électeurs, même si le sujet du financement de la dépendance engendre une réelle angoisse.

Pascale Coton : La façon dont le sujet est posé est très irritante. A chaque fois qu’un problème budgétaire se présente, on nous explique qu’il va falloir travailler plus longtemps. Les salariés ne veulent plus entendre cela. Ce qu’ils demandent, c’est de pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Ils veulent également que les inégalités existantes soient corrigées. Par exemple, est-il normal que les femmes à bas salaires doivent travailler jusqu’à 67 ans pour bénéficier d’une retraite complète ? Une réforme des retraites digne de ce nom doit prendre en compte tous ces aspects.

G.R.B : Un pays qui dépense beaucoup a besoin de beaucoup de travail pour financer son modèle. L’idéal serait d’augmenter notre taux d’emploi pour nous rapprocher de celui de l’Allemagne, mais cela prendra du temps. En attendant, le plus efficace est d’allonger la durée de la vie active.

Patrick Artus : Aucune économie n’est possible en France, sauf sur les retraites. Quand on compare l’écart de la dépense publique avec l’Allemagne, on trouve ceci : 1,5 point de produit intérieur brut (PIB) au titre des d’aides de l’Etat aux entreprises, 1 point de PIB pour financer la politique familiale, 1 point de PIB pour les dépenses militaires, 0,5 point de PIB pour la culture. Tous ces postes sont intouchables. Il reste quatre points de PIB sur les retraites, qui constituent la seule marge de manœuvre.

J.F. : Un leitmotiv revient dans toutes les enquêtes que nous menons : qu’est-ce qui garantit que l’employeur gardera les salariés jusqu’à 63 ou 64 ans, étant donné que c’est souvent la chasse aux seniors et la placardisation dans les entreprises ?

G.R.B. : Il faut regarder ce qui se passe dans les pays d’Europe du Nord, qui ont mis en place des systèmes de retraite progressive. Il faut que les salariés acceptent de se dire que les deux dernières années seront moins bien payées, avec moins de responsabilités qu’en pleine carrière.

P.C. : Après trente ans de travail dans une entreprise, si on demande à un salarié de régresser de cadre à salarié moyen, ce n’est pas très sympathique. C’est très déstabilisant !

G.R.B. : Du point de vue managérial, je ne vois pas comment on peut garder des gens plus longtemps aux mêmes fonctions et responsabilités. Le salaire est un autre sujet. Une partie peut être prise en charge par le système de retraite. Je parle de l’aspect hiérarchique et du management des postes. Si tout le monde reste à son poste éternellement, il y a un problème.

Ukraine : L’échec de Poutine et la spirale guerrière

Ukraine : L’échec de Poutine et la spirale guerrière

 

Un papier du « Monde » constate  que la Russie enregistre déconvenue sur déconvenue, la parole publique du Kremlin s’hystérise, au risque de justifier une escalade encore plus incontrôlable. Solidaires sans pour autant parler d’une même voix, les soutiens occidentaux de Kiev sont pris dans cette spirale.

 

Plus de deux mois que Vladimir Poutine a lancé ses troupes à l’assaut d’un pays souverain, l’Ukraine, et déjà la guerre se nourrit de sa propre dynamique. L’annonce par le président des Etats-Unis, Joe Biden, jeudi 28 avril, d’une aide militaire massive de 20 milliards de dollars (18,9 milliards d’euros) en est la preuve. La montée en puissance est spectaculaire, après une première riposte centrée sur des sanctions contre la Russie, qui montrent leurs limites.

Le 24 février, après la stupeur initiale et la perspective d’un effondrement rapide des forces ukrainiennes, était venu le temps de la surprise. Celle-ci avait été alimentée à la fois par leur résilience et leur efficacité, et par les ratés inattendus d’un ennemi pourtant nettement supérieur en nombre et en matériel. Le fiasco de l’offensive sur Kiev, suivi d’une retraite piteuse et d’un redéploiement vers le Donbass, a révélé ensuite l’étendue des exactions imputées à une armée russe qui banalise le crime de guerre.

La perspective d’une stabilisation du conflit, d’un cessez-le-feu, voire d’un armistice, est devenue alors illusoire. Côté ukrainien, le prix exorbitant déjà acquitté par les militaires et les civils fait que l’heure n’est plus aux concessions pour éviter le pire, mais à une victoire totalement impensable quelques semaines plus tôt, pour laquelle les armes lourdes occidentales sont indispensables.

Les revers humiliants essuyés par Moscou, à l’image du croiseur Moskva envoyé par le fond en mer Noire, interdisent en retour à Vladimir Poutine de réviser à la baisse ses objectifs. Aucun gain significatif ne lui permet aujourd’hui de mettre fin à l’« opération spéciale » en vantant une mission accomplie. Les déconvenues ne cessent au contraire d’hystériser une parole publique russe, au risque de justifier une escalade encore plus incontrôlable.

Les soutiens occidentaux de l’Ukraine sont pris dans cette spirale. Le cas de l’un des plus timorés, l’Allemagne, l’illustre spectaculairement. Fin janvier, Berlin se contentait de l’envoi de… 5 000 casques, s’attirant les sarcasmes des Ukrainiens. Le 26 avril, Berlin a accepté de fournir des chars antiaériens Gepard et, deux jours plus tard, le Bundestag a donné, à son tour, son feu vert à la livraison d’armes lourdes, à l’unisson des partenaires de l’Allemagne.

Washington n’a pas peu contribué au virage que constituent de tels approvisionnements réclamés par un pays qui se défend, initialement écartés pour éviter le piège de la cobelligérance. Les Etats-Unis, qui tentaient depuis plus d’une décennie de se désengager du théâtre européen pour se recentrer sur la rivalité avec la Chine, ont fait machine arrière. Ils se sont engagés massivement dans le soutien à Kiev, convaincus d’être enfin dans le sens de l’histoire après une succession de fiascos, en Afghanistan comme en Irak.

Solidaires, les Occidentaux ne parlent toutefois pas toujours de la même voix. Là où les Américains adoptent une rhétorique et des objectifs sans nuances, dont celui de cette « Russie affaiblie » énoncé par le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, les Européens restent plus prudents.

Tensions sur le gaz, explosions suspectes en Transnistrie, une région séparatiste moldave, les métastases du conflit ne peuvent que les inquiéter. D’autant que la diplomatie, comme l’ont montré les bombardements de Kiev pendant la visite du secrétaire général des Nations unies, le 28 avril, se réduit pour l’heure à la prolongation de la guerre par d’autres moyens.

Montée de l’extrême droite : Sarkozy, Hollande et Macron responsables

Montée de l’extrême droite : Sarkozy, Hollande et Macron responsables

 

« Par vos actions et vos manquements, vous avez contribué à la montée en puissance de l’extrême-droite et de ses idées », accuse Olivier Brunel  dans Le Monde en s’adressant à Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron et en adjurant les responsables politiques « républicains » de « combattre efficacement l’extrême-droite ».

 

J’accuse ! Je n’ai ni la légitimité ni la puissance d’Emile Zola pour reprendre ses mots forts et symboliques. Affichés il y a plus d’un siècle, ils sont devenus synonymes de justice. Devant la gravité de la situation, je me permets de les emprunter.

En 2002, j’ai pu voter à l’élection présidentielle pour la première fois. J’étais étudiant à Strasbourg, ville que j’ai choisie pour son rôle de capitale européenne. Je me souviens encore de l’incompréhension, de l’horreur et de la colère que nous avons ressenties au soir du premier tour de ces élections. Jean-Marie Le Pen, ses théories racistes, son négationnisme affirmé et son humour daté étaient qualifiés pour le second tour…

Vingt ans plus tard, ce qui était exceptionnel est malheureusement devenu la norme… Le Front national est devenu le Rassemblement national, les gros bras ont laissé la place aux costumes cintrés et la fille a remplacé le père. Les thèses populistes, les idées nauséabondes et les boucs émissaires faciles, eux, sont restés profondément les mêmes. Ce qui a changé, c’est que les candidats défendant des idées d’extrême-droite récoltent de plus en plus de voix. Ce qui a changé, c’est la normalisation de ces candidats et de leurs idées, il n’est plus
honteux aujourd’hui de s’en revendiquer. Ce qui a changé, c’est l’audience, le crédit et la place qui leur sont accordés par et dans les médias.

Qu’est-il arrivé à notre pays ? J’accuse Nicolas Sarkozy d’avoir utilisé et légitimé un langage outrancier et indigne d’un chef d’Etat. Les multiples affaires auxquelles le président a été et est encore mêlé, les conseillers polémiques et l’absence de front républicain lors du second tour des élections cantonales de 2011, entre autres, ont brisé un tabou et durablement affaibli un parti qui ne s’en remet pas et qui pense aujourd’hui que son salut est vers une droite plus dure et moins républicaine. L’influence d’Éric Ciotti dans la campagne désastreuse de Valérie Pécresse en témoigne.

J’accuse François Hollande d’avoir oublié qu’il était un président de gauche. Elu aussi pour redonner une stature au chef de l’Etat français et porteur de nombreux espoirs, il s’est contenté du mariage pour tous, belle avancée au demeurant, comme unique signature de son mandat. Le progrès social, l’humanisme et l’écologie ont été oubliés pendant cinq ans.

J’accuse Emmanuel Macron de mener depuis cinq ans une politique arrogante et déconnectée des réalités. Les réformes des retraites, de l’assurance chômage ou de l’éducation nationale sont hautement impopulaires, menées par un gouvernement de technocrates et accentuent encore la défiance des Français vis-à-vis de leurs représentants. Le mépris et l’absence de dialogue sont des marqueurs de ce gouvernement, le refus de débattre avec les autres candidats avant le premier tour de l’élection présidentielle en témoigne, tout comme le filtrage et l’évacuation systématique de toute voix discordante lors du meeting de Strasbourg entre les deux tours.

Par vos actions et vos manquements, vous avez contribué à la montée en puissance de l’extrême-droite et de ses idées. Aujourd’hui, le paysage politique est en ruines, les partis traditionnels n’existent plus. Le parti présidentiel est réduit à sa tête d’affiche, à ce jour aucune succession n’est envisagée ou envisageable. Les idées ont été remplacées par des punchlines sans profondeur ni réflexion, le débat enrichissant et constructif a disparu. Les équipes, les collectifs, ont laissé la place au culte de la personnalité, à droite comme à gauche. On supporte ou on déteste, en politique comme au foot.

Que se passera-t-il dans cinq ans ? Messieurs les anciens présidents Sarkozy et Hollande, à l’heure où l’on parle de l’un comme ayant « refusé d’adouber la candidate de son parti » et de l’autre comme « participant à un dîner secret en vue de recomposer sa famille politique », il serait bon que vous compreniez et acceptiez que vous êtes des personnages du passé. Laissez vos partis respectifs se reconstruire avec des idées d’avenir, et contentez-vous d’observer cela de loin, avec bienveillance si possible, mais sans entraves.

Monsieur le président, l’autosatisfaction et la joie dont vous avez fait preuve lors des résultats du premier tour sont tristes et dangereuses. On ne peut pas se réjouir du résultat d’une élection qui voit l’extrême-droite être au second tour. Le débat et la République en sont les victimes. La faiblesse de votre score et le taux d’abstention sont des camouflets. Vous n’avez pas été réélu sur votre programme, votre personnalité ou votre équipe, vous avez été réélu car le front républicain, bien que de plus en plus fragile, a tenu encore une fois.

Mais pour combien de temps ? Votre responsabilité directe est engagée. Vous avez semble-t-il découvert l’écologie et les problèmes économiques des Français entre les deux tours et vous faites aujourd’hui de grandes promesses alors que les avancées de ces cinq dernières années sur ces sujets sont très faibles. Je ne demande qu’à voir, mais je doute.

En tant que chef de l’Etat, vous avez cinq ans pour construire et développer une politique sociale et environnementale ambitieuse, partagée, progressiste et transparente. Vous avez cinq ans pour donner les moyens nécessaires aux hôpitaux, aux écoles et aux services publics, institutions auxquelles les Français sont attachés, pour que ces structures puissent remplir leurs fonctions, et notamment leur rôle de ciment républicain, et répondre aux attentes des citoyens.

Vous avez cinq ans pour donner un statut et un salaire dignes de leur fonction essentielle dans la société à ceux qui s’occupent de nos enfants, de nos aînés, de nos malades ou de nos concitoyens en situation de précarité. Vous avez cinq ans pour mettre l’environnement et la qualité de vie comme valeurs cardinales et incontournables des processus de prise de décision. Vous avez cinq ans pour rétablir une justice fiscale, proportionnelle et incitative, sans oublier la mise en œuvre de sanctions dissuasives contre ceux qui cherchent à éviter de participer à la construction du bien commun.

Vous avez cinq ans pour améliorer la liberté de la presse dans notre pays, garantir l’indépendance des médias et exiger une rigueur et une solidité des informations diffusées. Vous avez cinq ans pour reconstruire un service audiovisuel public fort, doté de moyens pérennes lui permettant de reprendre une place prépondérante dans la construction du débat public. Vous avez cinq ans pour défendre et raviver les valeurs européennes : égalité, démocratie, solidarité, droits de l’homme, tolérance… et stopper les compromis avec les adversaires de ces valeurs, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union européenne.

Mesdames et messieurs les responsables de partis politiques républicains, vous avez cinq ans pour assumer vos responsabilités, pour proposer une alternative politique crédible, étayée et solide ainsi que pour désigner les leaders qui incarneront ce renouveau. Vous devez relever ce défi. C’est uniquement comme cela que vous combattrez efficacement l’extrême-droite.

Olivier Brunel, Strasbourg

Immunité financière pour les élus !

Immunité financière pour les élus !

La professeure de droit Stéphanie Damarey se demande, dans une tribune au « Monde », si le nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics permet encore à la Cour des comptes de contrôler l’emploi des fonds publics.

La mise en place d’un régime unifié de responsabilité financière pour les gestionnaires publics était attendue. Elle prend corps avec l’ordonnance du 23 mars 2022 et vise à établir un régime de responsabilité par lequel les acteurs de l’exécution budgétaire ont à rendre des comptes sur l’emploi fait des fonds publics mis à leur disposition.

Présentée par Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, comme confortant la centralité du juge financier dans un nouvel ordre juridictionnel rénové, cette réforme apparaît toutefois décevante et interroge. Avec ce nouveau dispositif, la Cour des comptes est-elle encore en capacité de contrôler l’emploi de ces fonds ?

C’est une réelle inquiétude qui résulte de la lecture des dispositions de cette ordonnance alors que le cadre juridique retenu va limiter les possibilités d’engager la responsabilité des gestionnaires publics. Pour s’en convaincre, il faut comprendre que les principaux ordonnateurs que sont les ministres et les élus locaux vont échapper, sauf à de rares exceptions, à leur responsabilité.

Cette immunité avait été dénoncée notamment par le précédent président de la Cour des comptes, Didier Migaud, qui avait espéré qu’avec cette réforme tous les gestionnaires publics, sans exception, auraient à rendre des comptes. Cela ne sera pas le cas et cela doit interpeller alors que le modèle français présente, sur ce point, une réelle singularité. Pour les modèles européens les plus proches avec lesquels une comparaison peut être faite (Italie, Espagne, Portugal), les ministres comme les élus locaux sont responsables de l’emploi fait des fonds publics.

En France, avec l’actuel régime, ils ne le sont que rarement. Ainsi, un seul ministre a eu à rendre des comptes au juge financier à l’occasion de l’affaire Carrefour du développement (gestion de fait impliquant Christian Nucci, alors ministre de la coopération). Tandis que leur immunité est totale devant cet autre juge financier qu’est la cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Une exclusion qui avait empêché l’examen de la responsabilité financière de Mme Lagarde (« affaire Tapie »).

S’agissant des élus locaux, le nouveau régime reprend les cas d’ouverture restrictifs qui avaient déjà été retenus par le législateur en 1948 lors de la création de la CDBF. Autre écueil du texte, les chambres régionales des comptes perdent leurs compétences juridictionnelles. Ce point doit alarmer. Les chambres régionales des comptes (CRC) avaient été créées pour rapprocher l’examen des comptes publics des territoires.

Covid France 30 avril 2022 : +52.919 cas nouveaux en 24h.

Covid France 30 avril 2022 : +52.919 cas nouveaux en 24h. 

On enregistre ce vendredi 29 avril 2022 :+52.919 cas nouveaux en 24h,  145.869 morts au total, +158 morts supplémentaires. Le nombre de décès en EHPAD et EMS fait état de 28.750 (+9) décès au total. Le nombre total de décès en milieu hospitalier est lui de 117.119 (+149 en 24h).

Le taux de reproductivité R est de 0,74 le taux d’incidence à 739,44 et la tension hospitalière à 31,5 %. Le taux de positivité est à 22,5 %.

La France compte actuellement 23.579 (-551) personnes hospitalisées et 1.591 (-38) malades en réanimation.

Bilan des régions françaises  :

  • Ile-de-France : 4.935 (-11) hospitalisées, 401 (0) en réanimation et +34 décès en 24h
  • Grand Est : 2.045 (-26) hospitalisés, 133 (+2) en réanimation et +20 décès en 24h
  • Hauts de France : 2.163 (-167) hospitalisés, 164 (-2) en réanimation et +20 décès en 24h
  • Auvergne Rhône Alpes : 2.529 (-83) hospitalisés, 147 (-15) en réanimation et +18 décès en 24h
  • Provence-Alpes Côte d’Azur : 2.132 (-66) hospitalisé, 128 (-9) en réanimation et +12 décès en 24h
  • Bretagne: 1.022 (-60) hospitalisés, 63 (-5) en réanimation et +4 décès en 24h
  • Normandie : 1.802 (+5) hospitalisés, 75 (-5) en réanimation et +13 décès en 24h
  • Nouvelle-Aquitaine : 1.610 (-12) hospitalisés, 106 (-2) en réanimation et +8 décès en 24h
  • Pays de la Loire : 812 (-8) hospitalisés, 61 (-3) en réanimation et +4 décès en 24h
  • Occitanie: 1.880 (-44) hospitalisés, , 142 (+4) en réanimation et +4 décès en 24h
  • Centre-Val de Loire : 979 (-11) hospitalisés, 60 (-1) en réanimation et +5 décès en 24h
  • Bourgogne-Franche-Comté : 1.077 (-48) hospitalisés, 73 (+2) en réanimation et +5 décès en 24h

Economie, politique, société: les plus lus (29 avril 2022- 7h40)

Poutine un jour devant la justice internationale ?

Enjeux et avenir de la France face aux crises

Enjeux et avenir de la France face aux crises

Des événements de diverses natures ont entraîné des conséquences géopolitiques bien au-delà de leur perception par leurs contemporains ( article de André Yché dans la Tribune)

En remportant la bataille de Chéronée en 338 avant JC, Philippe II de Macédoine assure la domination de son pays sur la Grèce et prépare l’entreprise conquérante d’Alexandre le Grand qui, pénétrant en Orient jusqu’en Asie Centrale et en Inde, ouvre les « routes de la soie ».

De même, la peste de Justinien, au milieu du VIème siècle, en décimant les armées byzantines engagées dans la reconquête de l’Italie, met un terme à l’ultime tentative de réunification de l’Empire romain et, de fait, scelle le sort, à terme, de l’Empire byzantin.

Les batailles de Chesapeake Bay et de Yorktown, en 1781, remportées par de Grasse et Rochambeau, ouvrent la voie à l’indépendance américaine et jouent un rôle déterminant dans l’Histoire mondiale du XXe siècle.

La bataille de Sadowa, qui accélère le déclin de l’Empire austro-hongrois, marque le début de l’hégémonie prussienne en Europe centrale, avec les conséquences dramatiques que l’on sait.

Enfin, la crise de 1929 n’est surmontée qu’à partir du moment où les Etats-Unis s’engagent dans une politique de réarmement, d’abord au profit des démocraties européennes, puis pour leur compte propre à partir du 8 décembre 1941. Pour soixante-dix ans, la doctrine Monroe est mise entre parenthèses et l’Amérique renonce à son isolationnisme traditionnel. Jusqu’à quand ?

En même temps, la dimension géopolitique de l’Histoire se heurte constamment aux réalités territoriales, aux ancrages nationaux, à l’enracinement des Hommes qui tressent un lien indissoluble entre histoire et géographie.

C’est ainsi que tout au long du premier tiers du XVe siècle, le grand empereur chinois, Yongle, parraine les expéditions maritimes de Zheng He, afin d’ouvrir le monde à la Chine : l’océan Indien, les côtes de l’Afrique de l’Est, la mer Rouge, jusqu’en Egypte. Mais l’agitation turco-mongole sur les frontières du nord impose le recentrage de l’effort budgétaire sur la restauration de la Grande Muraille et, pour protéger le Hebei, l’Empire céleste se détourne durablement du « Grand Large ».

Au cours du dernier tiers du XIXème siècle, alors que monte en Angleterre un courant en faveur du libre-échange qui ouvre le monde entier à la City, porté par l’aristocratie foncière reconvertie dans la finance après l’abrogation des lois protectionnistes sur le blé (« Corn Laws ») par Robert Peel en 1846, une forte opposition se fait jour, conduite aux Communes par Benjamin Disraeli. Derrière ce courant protectionniste, les intérêts portuaires britanniques sont en cause ; ils bénéficient du régime de l’« Exclusif » avec l’Empire qui alimente les réexportations vers le continent. L’entreprise coloniale, ce sont également, à proximité des bases navales, les arsenaux de la Navy et de l’Army qui constituent le cœur de la métallurgie anglaise.

Comme aux Etats-Unis et en France aujourd’hui, les Anglais sont donc en plein débat sur la protection de leur industrie, auquel s’ajoutent les polémiques entre Malthus (protectionniste) et Ricardo (libre-échangiste) sur la souveraineté alimentaire nationale.

Quels enseignements utiles faut-il tirer de ces épisodes historiques quant à l’impact probable de la crise sanitaire, économique et géopolitique que nous traversons?

La France et le Monde

L’expérience pratique de l’Antiquité grecque est celle d’un monde éclaté, dans lequel chaque Cité fixe ses lois, règle son gouvernement, décerne sa citoyenneté. Au-delà, c’est le monde barbare, qui ne parle pas grec et qui, de ce fait, n’est pas civilisé.

Pour autant, Platon n’ignore pas l’idée d’universalité : mais elle est purement intellectuelle ; elle tient dans l’aptitude de tout être humain à penser ; c’est, en quelque sorte, le « Cogito » de Descartes, avant l’heure.

L’universalisme romain ne se conçoit, juridiquement, qu’à travers l’attribution de la citoyenneté, considérablement élargie à partir de l’édit de Caracalla en 212, qui accorde la qualité de citoyen romain à tout homme libre de l’Empire.

Il n’en demeure pas moins que le véritable vecteur du concept d’universalisme réside dans le christianisme, à travers notamment la prédication de Saint Paul :

« Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. »

La réalisation de ce principe soulèvera, bien sûr, maintes difficultés, y compris au sein de la communauté chrétienne et sera à l’origine de très vives tensions entre Paul et Pierre, à l’occasion de leur rencontre à Antioche. Avec la fin de l’Empire, le christianisme demeure le seul cadre porteur de valeurs universelles, ce qui ne manquera pas de susciter de nombreux conflits politiques au Moyen-Age, face à l’émergence des nations : le volet politique de la réforme grégorienne illustre, entre dogmes religieux persistants et nouvelles réalités d’un monde recomposé, une contradiction que Machiavel tranchera définitivement en laïcisant la pensée politique.

Il est nécessaire de percevoir qu’en réalité, la divergence entre principes universalistes et réalités nationales est une constante historique.

Le grand penseur de l’universalisme des Lumières est Emmanuel Kant, qui fait de l’universalité une condition essentielle de la morale : « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse être érigée en loi universelle. ». Ce principe, qu’il élève au rang d’« impératif catégorique », n’est donc pas, à ses yeux, discutable. Pour autant, Kant mesure bien que concrètement, c’est la loi de l’Etat qui s’impose. Il considère que la contrainte physique que peut exercer l’Etat n’a pas d’effet durable sur la société et que ce qui compte, c’est l’obligation morale d’obéir à la loi que chaque individu perçoit intérieurement, parce qu’elle découle, précisément, d’une norme universelle.

Très belle construction intellectuelle, qui inspirera les fondateurs de la Société des Nations, de l’ONU… Mais en pratique, qu’en est-il ? Pour citer Charles Péguy :

« Kant a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, tout comme les textes fondateurs de la République américaine, s’inspirent naturellement de la philosophie kantienne, mais concrètement, la distinction est clairement établie entre ceux qui détiennent des droits subjectifs, les « citoyens », et les autres, les « hommes » qui ne peuvent exciper que de droits objectifs. Et la réalité révolutionnaire est essentiellement nationale (Valmy…) avant de devenir impérialiste, puis colonialiste : Jules Ferry est le symbole de l’ambition civilisatrice universelle de la République, quitte à transiger avec les principes de la laïcité :

« L’anticléricalisme n’est pas un produit d’exportation. »

C’est précisément par la voie de la colonisation que survient la première véritable mondialisation et, bien sûr, elle repose sur un principe d’asymétrie. L’opinion publique pense immédiatement : esclavage, commerce triangulaire. La réalité est plus complexe : c’est le régime de l’Exclusif qui assure à la métropole le monopole des échanges avec ses colonies, de telle sorte que par le biais de réexportations massives qui permettent au colonisateur de capter l’essentiel de la valeur ajoutée, l’équilibre commercial de la puissance colonisatrice est assuré. Ce modèle perdurera jusqu’en 1913 et se traduira par un poids des échanges extérieurs dans l’économie européenne qui ne sera à nouveau atteint qu’à la veille du premier choc pétrolier, au début des années 70.

Entretemps, la science économique a progressé. Le courant de pensée initial est celui des avantages comparatifs de Ricardo, décliné à travers le modèle de Heckscher- Ohlin-Samuelson qui souligne l’importance majeure de la dotation de chaque pays en facteurs de production, de telle sorte, par exemple, que l’abondance de capital aux Etats-Unis devrait conduire l’économie américaine à se spécialiser dans les produits à forte intensité capitalistique, ce qui n’est pas toujours le cas. Par ailleurs, les phénomènes d’accumulation des avantages comparatifs, d’oligopoles et de dissymétrie des termes de l’échange ont conduit à l’émergence d’une critique croissante, en faveur de la réinstauration d’un certain protectionnisme.

La première question est celle des secteurs stratégiques, éléments essentiels de la souveraineté. Mais comment repenser la souveraineté à l’heure de la construction européenne ? L’industrie de défense, l’approvisionnement énergétique occupent le premier rang de ces préoccupations.

Les nanotechnologies, la santé figurent depuis longtemps parmi les priorités industrielles, aux côtés de l’électronique et des technologies de l’information. Mais quelles conséquences en tirer quant à la localisation de ces activités ? La bonne échelle ne serait-elle pas européenne ?

C’est ici qu’intervient la question de l’emploi. Par exemple, il est certain que la maîtrise de la filière du médicament est un sujet stratégique et économique majeur. Mais peut-on analyser de la même manière la fabrication de masques de protection, eu égard à la réalité de la demande en temps normal ? A ce stade de la réflexion, comme en matière énergétique avec le gaz, le pétrole et l’uranium, on voit bien que la question est plutôt celle de la sécurité, notamment politique, des sources d’approvisionnement : le conflit qui déchire l’ex-empire soviétique illustre cette réalité. D’où le problème du « sourcing » chinois, surtout s’il est exclusif. En définitive, l’arbitrage à opérer se posera en termes de maîtrise des approvisionnements qui, n’implique pas une origine nationale, et d’emplois industriels productifs, c’est-à-dire compétitifs. Au-delà, il est évident que les enjeux de pouvoir d’achat, surtout en période d’inflation et de crise des finances publiques, limiteront les ambitions en termes de relocalisation quoiqu’en disent les prophètes annonciateurs d’un « nouveau monde ».

La principale révélation de la crise globale, en pratique, est celle de la relative fragilité de la chaîne logistique, levier essentiel de la mondialisation. Et c’est sur cet aspect du problème, qui n’est pas nouveau en dépit de la propagande chinoise autour des « routes de la soie », que mérite d’être réexaminée la dimension territoriale de l’économie, en lien avec les questions stratégiques et environnementales.

Traiter d’économie territoriale, c’est, d’abord, parler des territoires et de la relation du local au national. Dans cette démarche délicate, quelques fanaux éclairent le cheminement.

Fernand Braudel, d’abord, qui ne vivra pas assez longtemps pour conclure son ouvrage de synthèse, « L’identité de la France », dont il trace néanmoins les grandes lignes : un pays de pays, morcelés par la géographie et réunis par l’Histoire ; une tension entre de multiples irrédentismes et une centralisation opérée par l’Etat, au profit de la capitale et de son rayonnement mondial, au détriment, par exemple, de Lyon, pourtant mieux situé en termes de flux d’échanges européens. Au final, Braudel ne récuse pas ce travail historique et exprime sa méfiance à l’égard de la résurgence politique des territoires. Il n’est guère décentralisateur et il rejoint, sur ce point, Michelet qui résume sa thèse : l’Histoire s’est finalement imposée à la Géographie, et c’est très bien ainsi. La référence absolue, sur la question territoriale, demeure Vidal de la Blache et son « Tableau de la géographie de la France » de 1903, dans lequel il démontre comment, à cette époque, les seules métropoles qui aient véritablement émergé sont périphériques : tous les grands ports, Strasbourg sur le Rhin… Il montre également l’importance des complémentarités entre territoires et le processus de fertilisation croisée qui en résulte, notamment sur le plan démographique : La France est « une terre qui semble faite pour absorber sa propre émigration ». Mais Vidal est un homme de l’intérieur, du continent, qui ne connaît guère les côtes océaniques et qui manque du recul de Braudel pour distinguer les failles du modèle français : la France a raté la mer et n’a acclimaté que tardivement l’industrialisation et le capitalisme parce que pour le meilleur ou pour le pire, elle a toujours été attirée par son terroir et par les frontières continentales, lieu des menaces directes pesant sur son intégrité. Que dire de plus, et qu’en déduire ?

D’abord, que la question des territoires de la République est essentiellement franco-française et n’interfère qu’indirectement et de façon relativement marginale avec les questions de « déglobalisation » et de souveraineté économique. Certes, divers centres de production peuvent être réimplantés sur le territoire national, mais leur localisation précise dépendra surtout de considérations logistiques : la concurrence entre territoires, que l’on peut pressentir, correspondrait donc à une débauche d’énergie, peu productive.

En revanche, des leviers majeurs de redynamisation territoriale existent et, indépendamment de la crise sanitaire et économique, méritent d’être actionnés.

Le premier d’entre eux est relatif au développement de l’offre d’habitat, qui deviendra un facteur d’attractivité essentiel, s’agissant notamment des key-workers, particulièrement de ceux que leur métier écarte du télétravail. Il est évident que l’offre d’habitat intermédiaire à proximité des centres hospitaliers constituera, par exemple, une priorité à réexaminer dans l’avenir. Plus généralement, la revitalisation des villes moyennes et en particulier des « cœurs de ville » passe par la création d’une offre d’habitat adaptée à des clientèles potentiellement intéressées par les aménités culturelles, mais aussi sanitaires et éducatives : l’attractivité du centre-ville conditionne l’avenir de la périphérie.

Le deuxième enjeu, puisqu’il n’existe pas véritablement de territoire autonome en regard de l’économie nationale, réside dans la connexion au marché : national, européen, mondial. Connexion numérique, d’abord, mais aussi logistique physique et, notamment, multimodale.

Le troisième enjeu est relatif à la constitution de clusters autour des établissements universitaires et, à moindre échelle, des centres de formation d’ampleur régionale, de manière à coupler recherche et production, constituant ainsi de véritables pôles d’attractivité.

Au final, il est évident que les enjeux de revitalisation des territoires revêtent une dimension essentiellement nationale et qu’il est quelque peu artificiel de les raccorder à la question de la « déglobalisation », analysée comme ressort de nombreuses « relocalisations » sur le territoire national, ce qu’elle n’est probablement pas.

Si relocalisations il doit y avoir, ce qui paraît vraisemblable, c’est à l’échelle de l’Europe et du pourtour méditerranéen qu’il faudra les concevoir. Dans cette perspective, la connexion politique et opérationnelle entre les territoires et l’Etat central revêtira une importance accrue. En conclusion, la grande erreur est d’avoir pensé le capitalisme indépendamment d’une stratégie régalienne. L’erreur symétrique serait de penser les relocalisations indépendamment des principes du capitalisme.

L’Europe, ainsi nommée par les Grecs selon la célèbre princesse phénicienne enlevée, aux dires d’Esope, par Zeus métamorphosé en taureau, n’a longtemps été qu’une réalité géographique mal connue, à l’Ouest de l’espace hellène. Plus tard, l’entité politique structurante est l’Empire romain, essentiellement méditerranéen, qui ne franchit guère le Rhin et le Danube, tandis que la chrétienté réunit Occident et Orient, le christianisme étant d’ailleurs une religion d’origine orientale. Le premier, l’Empire de Charlemagne s’inscrit brièvement dans un espace correspondant à celui de l’Europe des Six. Issue du traité de Verdun de 843, une « Francia occidentalis » séparée par l’éphémère Lotharingie de son pendant oriental, participe du démembrement de l’Occident. Le Moyen-Age ignore donc la dimension européenne, qui n’est révélée que grâce à la prise de Byzance par les Turcs en 1453. Le pape Pie II s’en inquiète en ces termes : « des querelles intestines laissent les ennemis de la Croix se déchaîner » en préambule de son traité « De Europa ».

Tandis qu’Erasme y voit, déjà, l’espace d’une possible paix perpétuelle, Charles Quint tente, contre François Ier, d’imposer l’union par la force, sans succès ; François Ier n’hésite pas à s’allier à Soleiman pour contrer ce dessein, et la flotte turque, passant un hiver à Toulon, transforme ce port en ville musulmane, peuplée de milliers de janissaires et de leurs captifs chrétiens. François Ier frise l’excommunication, avant que la flotte ottomane ne lève l’ancre pour le Levant.

Napoléon, qui tente d’unifier l’espace péninsulaire du bloc asiatique par la force et par le droit, échoue pareillement et le Congrès de Vienne institue une Sainte Alliance dont ne s’excluent volontairement, signe précurseur, que l’Angleterre et le Vatican.

Dès lors, toute construction idéaliste, comme celle de Victor Hugo, bute sur la rivalité franco-allemande, jusqu’au grandiose projet d’Aristide Briand, à la fin des années vingt, mis à bas par la crise mondiale. Et c’est Churchill, au lendemain de la guerre, qui invite les continentaux à s’unir, sans inclure, lucidement, le Royaume-Uni dans la perspective ainsi tracée.

Ainsi, toute l’histoire de l’Europe met en évidence deux faits saillants : d’abord, que l’Angleterre n’est guère concernée ; ensuite, que la réalisation du projet dépend entièrement de la configuration, naturellement conflictuelle, de l’axe franco-allemand.

Un épisode l’illustre singulièrement : à l’issue de la signature du traité de l’Elysée, en 1963, qui pose les bases du projet européen, l’entregent de Jean Monnet permet à celui-ci de faire introduire devant le Bundestag, pour sa ratification, un préambule repositionnant le traité dans une perspective atlantiste, expressément écartée par le général de Gaulle qui, furieux, évoque la possibilité d’un renversement d’alliance « avec la Russie » ! Les limites politiques du « couple » franco-allemand sont ainsi tracées.

Au fond, c’est sur ce compromis que l’Europe a progressé : un grand marché ouvert au monde libre, supervisé en matière de droit de la concurrence ; la politique agricole commune pour satisfaire la France et quelques Etats méditerranéens ; des fonds structurels pour accompagner les retardataires ; et surtout, en contrepartie d’une clientèle assurée pour l’industrie allemande, une union monétaire, assortie de règles disciplinaires strictes. Un « deal » intelligent, sans doute le meilleur que l’on puisse espérer, et qui s’avère incontestablement « gagnant-gagnant ».

A ceci près qu’une fois encore, la relation franco-allemande soulève des difficultés, non pas à cause d’un écart de compétitivité entre les deux économies, qui fluctue dans le temps, mais d’un différentiel majeur de croissance démographique qui est structurellement stable et qui condamne la France à un taux de chômage élevé, pour des niveaux de croissance équivalents. De là viennent les excédents d’une grande Suisse, les déficits d’une « petite Russie » dépourvue de richesses naturelles, hormis sa puissante agriculture. Et au final, un « spread » croissant sur les marchés financiers.

Cette situation représente-t-elle un problème ? Assurément, dans le contexte de crise globale que nous traversons. Est-il insurmontable ? Peu vraisemblablement : la France et sa dette publique ne peuvent se passer de l’euro, pas plus que l’Allemagne d’un de ses principaux clients.

Pour autant, nous ne saurions ignorer qu’à partir de son origine sanitaire, la crise revêt une dimension économique et, désormais, géopolitique.

L’Union européenne, à travers ses plans de relance et la mobilisation du système européen de banques centrales a couvert, dans des conditions relativement satisfaisantes, son champ d’intervention naturel, économique et financier, sous une réserve majeure : l’enjeu agroalimentaire, et d’abord agricole, ne saurait être abordé selon sa seule dimension écologique, qui ne peut être exclusive de son poids économique et de son impact stratégique. La France aurait beaucoup à perdre de ce cantonnement idéologique.

Ce constat renvoie à une question fondamentale : après le Brexit, l’exclusion de la Turquie et la guerre en Ukraine, l’UE offre-t-elle le cadre pertinent pour parler de sécurité européenne, alors même qu’à l’exception de la France, toutes les nations européennes (hors Grèce, Croatie et Serbie) suivent l’exemple de l’Allemagne pour se détourner de la construction d’une industrie de défense européenne, socle indispensable d’une Europe (au sens de l’UE) de la défense ? Dès lors, puisqu’il ne s’agit que de parler de capacités militaires, au sens de « second pilier de l’OTAN », est-il raisonnable de s’en tenir à un tête-à-tête avec l’Allemagne, sans intégrer le Royaume-Uni, la Suède et la Turquie dont le poids militaire est essentiel sur le théâtre européen.

La question posée est donc celle de la réactivation d’un cadre similaire à celui de l’Union de l’Europe Occidentale, qui pourrait retrouver son utilité lorsque la relance d’un processus de discussion avec la Russie, analogue à celui de l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s’avèrera indispensable. En l’absence d’un tel dispositif, le destin du continent européen pourrait fort bien être traité directement entre Washington et Moscou.

Pour une vraie gouvernance de la planification écologique et énergétique

Pour une vraie gouvernance de la planification écologique et énergétique

Pour le président du think-tank Cérémé, «il faut d’urgence redéfinir la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), en réformer la gouvernance en créant un grand ministère de l’Énergie rattaché à celui de l’Economie, et nommer un Défenseur de l’environnement» ( dans l »‘Opinion »)

 

 

Emmanuel Macron a annoncé vouloir faire de la transition écologique et énergétique une priorité de son nouveau quinquennat, sous le contrôle direct du Premier ministre. Il faut s’en réjouir, car les conséquences de la guerre en Ukraine et la hausse à venir des besoins en électricité montrent la nécessité de réformer en profondeur les priorités et la gouvernance de notre politique énergétique, qui sont aujourd’hui obsolètes et inefficaces. Comment ?

Il nous faut un grand ministère chargé de l’énergie, de l’industrie et de la recherche, rattaché au ministère de l’Economie. Depuis 2008, l’énergie est rattachée au ministère de l’Ecologie et la tutelle du secteur public de l’énergie est partagée entre Bercy et l’Ecologie. C’est une erreur car la politique énergétique ne peut en aucun cas se résumer à sa seule composante écologique. Elle comporte des enjeux industriels, de création d’emplois, de compétitivité, de ré-industrialisation, de souveraineté, de financement…

Il faut donc la remettre au centre du village gouvernemental, c’est-à-dire à Bercy, afin de doter le nouveau ministre chargé de la planification énergétique d’une administration puissante, implantée dans tout le territoire, habituée à opérer des arbitrages entre des intérêts divers, qui a directement la main sur la gestion des deniers publics et qui dispose d’une connaissance intime des acteurs de l’économie qui seront impliqués dans cette transition.

Nous devons aussi voter une nouvelle loi de programmation de l’énergie . Le décret d’avril 2020 fixant la PPE est inadaptée pour atteindre nos objectifs climatiques et obsolète au regard des annonces du Président sur la prolongation du parc nucléaire en activité et le lancement de nouvelles centrales.

La guerre en Ukraine et ses conséquences sur le gaz révèle de manière éclatante l’absurdité de l’objectif de réduction de la part du nucléaire en France pour la remplacer par le couple gaz/énergies renouvelables intermittentes. Ce choix, fait par l’Allemagne,la conduit aujourd’hui à rouvrir des centrales à charbon pour réduire sa dépendance au gaz russe alors que grâce au nucléaire et à l’hydraulique, la France bénéficie d’une électricité décarbonée à 92%, qu’elle produit elle-même et paie beaucoup moins cher que ses voisins européens !

L’objectif de réduction du nucléaire ne repose, en outre, sur aucun fondement climatique. Il procède d’un accord politique visant, pour François Hollande, puis pour Emmanuel Macron, à rallier les Verts dont le credo historique s’est construit sur la lutte contre le nucléaire civil, pour des raisons largement irrationnelles si l’on compare les nuisances du couple indissociable énergies renouvelables intermittentes/énergies fossiles, à celles du nucléaire civil.

Enfin, pour réaliser la décarbonation de notre économie, il faudra de plus en plus électrifier nos moyens de transport, les processus de production industrielle,la régulation thermique des bâtiments et produire de l’hydrogène par électrolyse. Or, comme le disent le GIEC et l’Agence Internationale de l’Energie, au regard de nos connaissances technologiques actuelles, le caractère pilotable, puissant et concentré sur des espaces réduits,  décarboné, et d’un coût compétitif du nucléaire, fait de cette énergie la meilleure option pour répondre à la hausse massive des besoins en électricité. Il est temps de tenir compte de ces réalités et de revoir la PPE en conséquence.

L’Environnement doit être défendu rationnellement. Un défenseur de l’environnement doit être nommé pour faire des citoyens les garants de la primauté donnée à l’environnement. La plupart des candidats à l’élection présidentielle ont appelé à donner aux citoyens plus d’influence sur les décisions publiques. Pour que la protection de l’environnement, haute priorité du Président élu, associe les citoyens aux décisions, il faut l’incarner dans une autorité indépendante qui transcende le foisonnement des procédures locales et qui veille à la cohérence des décisions concernant ce sujet aux multiples composantes.

La création d’un Défenseur de l’environnement, sur le modèle du Défenseur des droits, constituerait une avancée majeure. Elle donnerait progressivement au droit de l’environnement la même assise juridique qu’aux autres libertés publiques. Et elle garantirait que la défense de l’environnement soit respectée par les futurs gouvernements, quelle que soit leur orientation politique.

Choix énergétiques raisonnés, gouvernance efficace, pérennité et incarnation de la protection de l’environnement, telles sont les conditions de la réussite de la planification écologique.

Xavier Moreno est président du think-tank Cérémé (Cercle d’étude réalités écologiques et mix énergétique).

Ukraine: Une guerre intense et de longue durée (Alain Bauer)

Ukraine: Une guerre intense et de longue  durée (Alain Bauer)

A la lumière de l’Ukraine, les Européens doivent revoir leur politique industrielle et redéfinir leur doctrine de défense estime Alain Bauer  dans  « l’Opinion »

Après l’échec d’une « opération spéciale » qui devait se dérouler comme une victoire éclair « libérant » des populations ukrainiennes du joug « nazi », la Russie se dirige, comme souvent, vers une guerre lente de destruction méthodique, faisant table rase de ce qu’elle ne pourrait conquérir.

L’Occident mène sur place une guerre par procuration, fournissant armes et munitions jusqu’à épuisement accéléré des stocks. Durant cette guerre qui commence à dire son nom, le commerce continue vaille que vaille, et tous les secteurs se réorganisent en économie de conflit.

Outre la possible victoire de l’Ukraine (qui devrait éviter la reconquête de la Crimée), il faudra tenter d’éviter une défaite trop cuisante de la Russie (qui n’a pas usé de l’arme nucléaire tactique en Afghanistan) mais qui doit repenser son « espace vital » tel que défini bien avant Vladimir Poutine par Evgueni Primakov, alors premier ministre de Boris Eltsine.

Le Président Poutine avait besoin d’une victoire pour triompher lors des parades de la grande fête nationale du 9 Mai (Grande Guerre Patriotique), équivalent cumulé du 14 juillet, du 8 Mai et du 11 Novembre en intensité.Il ne l’aura sans doute pas, Marioupol résistant toujours, les progrès au Donbass restant millimétriques, l’attaque d’Odessa étant reportée…

Mais il peut encore choisir « l’escalade dans la désescalade », sorte de roulette russe diplomatique, qui amorcerait la reconnaissance d’un état de guerre (la situation financière se dégrade fortement malgré le génie technique de sa gouverneure de Banque centrale, Elvira Nabioullina) et les ventes au rabais de pétrole et de gaz à la Chine ou à l’Inde ne compensent pas les pertes de recettes d’une économie mono-dépendante et bien plus fortement connectée à l’Occident qu’elle ne l’imaginait.

Comme en Ukraine, recréer une Défense Opérationnelle du Territoire (DOT) digne de ce nom, en complément de forces armées professionnelles

Comme lors d’épisodes précédents, notamment la crise des missiles de Cuba (1962), il faudrait alors atteindre le point de rupture pour trouver une issue acceptable permettant un cessez-le-feu, la reconstruction de l’Ukraine (aux frais de la Russie pour une part importante de ses liquidités gelées et du reste du monde pour le solde), et établir un nouveau « Yalta » des frontières permettant de définir clairement les zones d’influence (incluant la Moldavie, la Géorgie, l’Ukraine et tout particulièrement la Crimée, et surtout Kaliningrad).

Guerre froide ou paix brûlante en Europe permettraient alors de se concentrer sur les enjeux véritables du principal acteur visible de la réorganisation du monde, la Chine. Tout en essayant de résoudre les difficultés relationnelles avec l’Inde, le Golfe persique ou l’Afrique du Sud (sans parler du Sénégal), qui n’ont pas soutenu les dispositifs de sanctions contre l’agression russe.

Nouvelles solidarités énergétiques. Il faudra aux Occidentaux définir de nouvelles solidarités énergétiques, tout en continuant à dépendre pour grande partie de l’étranger, revoir leur politique industrielle (y compris militaires pour la production de munitions), redéfinir une doctrine de défense (qui va passer du rêve de la globalisation heureuse pour bisounours consommateurs à celui du risque d’une guerre de haute intensité, d’une guerre de longue intensité).

L’excellent rapport des députés Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot ouvrent la voie à une reprise massive de l’investissement en matière de défense couvrant des champs laissés en jachère ou mal contrôlés : drones, cyber… Mais surtout en recréant une Défense Opérationnelle du Territoire digne de ce nom. Les leçons du conflit en Ukraine, la force d’une armée populaire en complément de forces professionnelles, les changements technologiques majeurs qui imposent de revoir tout le champ de l’investissement et donc celui de la réindustrialisation de souveraineté.
Ce qui n’a pas encore été totalement compris après la crise dde la Covid, doit impérativement être engagé en matière de défense.

Le moment est aussi venu de se délester du fardeau des dettes créées par la gestion de la crise des subprimes et de celle du COVID, en mettant en place ce Fonds Européen de la dette.

Ceci devrait permettre la création d’un Fonds européen de défense d’au moins cent milliards d’euros, permettant d’engager au bénéfice des Etats membres, et tout particulièrement de la France et de l’Allemagne, d’assurer leurs missions qui dépassent largement la protection de leurs frontières continentales.

Le moment est aussi venu de se délester du fardeau des dettes créées par la gestion de la crise des subprimes et de celle de la Covid, en mettant en place ce Fonds européen de la dette, ce qui permettrait d’effacer dans drame supplémentaire une partie des bulles successives créées par l’hyper-spéculation des vingt dernières années.

La guerre est militaire, économique, sociale. Elle est devenue globale. Et sans doute totale. Clemenceau le disait déjà il y a un siècle. Rien n’a vraiment changé, même si tout va plus vite.

Le président de la République réélu, et même mieux qu’espéré, a la légitimité pour engager dans l’Union européenne cette « Révolution » qu’ il appelait de ses vœux lors de sa première campagne et qui devient désormais un enjeu pour la survie de la Nation.

Alain Bauer, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers et responsable scientifique du Pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises.

Dérèglement climatique et tectonique des espèces

  • Dérèglement climatique et tectonique des espèces

 

  • Selon une étude parue ce jeudi dans la revue américaine Nature, avec la modification du climat, nombre d’animaux vont fuir leurs écosystèmes et vivre plus proches les unes des autres. Ils risqueront de se transmettre plus facilement leurs maladies, y compris d’animal à humain.
  • franceinfo )
  • Avec le dérèglement climatique, on assiste à « une tectonique des espèces » qui vont « partager leurs agents pathogènes avec l’espèce humaine », a expliqué jeudi 28 avril sur franceinfo Jean-François Guégan, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et à l’Institut national de recherche pour l’agronomie, l’alimentation et l’environnement (INRAE), spécialiste des relations entre environnement et santé, alors qu’une étude parue ce jeudi dans la revue américaine Nature assure que, dans les décennies à venir, le monde sera non seulement plus chaud, mais aussi plus malade. Le dérèglement climatique va pousser nombre d’animaux à fuir leurs écosystèmes pour des contrées plus vivables : en se mélangeant davantage, les espèces se transmettront aussi davantage leurs virus ce qui favorisera l’émergence de nouvelles maladies potentiellement transmissibles à l’homme.
    • franceinfo : Selon l’étude publiée dans Nature, avec le dérèglement climatique, les risques de maladies devraient augmenter…
    • Jean-François Guégan : C’est ce que met en évidence cet important travail basé sur une analyse de données exceptionnelles sur des espèces de mammifères placentaires et de leurs agents pathogènes. Dans un cadre de changement climatique mais aussi de modification des habitats au travers du développement de l’agriculture et de l’élevage, on voit des espèces, qui autrefois étaient séparées par des barrières physiques, se rassembler, coexister. C’est ce que j’appelle une tectonique des espèces. Puisque ces espèces, avec toutes ces modifications du changement global, peuvent coexister, vivre ensemble dans certains environnements, elles vont aussi partager leurs agents pathogènes et en particulier elles vont pouvoir les partager avec notre espèce, c’est-à-dire l’espèce humaine.
    • Cette évolution du climat va pousser des espèces à changer d’habitat, à se frotter à des environnements différents, avec à chaque fois la possibilité de contracter de nouveaux virus…
    • C’est ce que met en évidence cette analyse qui le chiffre. Mais nous le vivons actuellement tous les jours. Et ce phénomène a commencé depuis environ 40 ou 50 ans. On va avoir des modifications des habitats des espèces, beaucoup plus de rencontres entre certaines espèces qui, autrefois, n’avaient qu’un lieu pour coexister. Mais l’ensemble de ces phénomènes de changements globaux leur permet aujourd’hui de se rencontrer et aussi d’échanger des microbes qu’ils transportent.
    • L’étude prédit au moins 15 000 transmissions virales entre espèces qui pourraient intervenir dans un proche avenir. Est-ce que c’est beaucoup ?
    • Bien entendu, c’est un nombre incroyable. Mais il y a beaucoup plus d’échecs de transmissions. Et les échecs, on ne peut pas les mesurer par rapport à des succès qui peuvent donner la pandémie responsable de la Covid-19 actuellement.
    • Est-il possible d’estimer, de définir la transmission des virus à l’homme ?
    • Cela reste quelque chose de très difficile. Mais on est capable de le faire à partir de l’analyse de certains génomes de virus ou de bactéries, de voir leurs potentialités à un échange et à un transfert vers l’espèce humaine. Mais de plus en plus, on remarque que tous les coups sont permis. C’est-à-dire que l’on observe de plus en plus de passages de l’animal à l’humain, de l’humain à l’animal, mais aussi vers les plantes. Vous avez énormément d’agents microbiens des plantes qui sont capables de passer à l’animal et à l’humain et de produire les maladies actuelles et les futures maladies infectieuses de demain. Ces passages sont de plus en plus importants. Et ils sont aujourd’hui beaucoup plus possibles qu’hier, tout simplement par cette nouvelle coexistence, cette tectonique des espèces qui est en train de se produire. Elle va donner d’autres solutions aux agents microbiens pour pouvoir faire de multiples passages, notamment vers l’espèce humaine. Et donc plus de risques.

Macron « bâtard » de François Hollande (François Ruffin )

  •  Macron  « bâtard » de François Hollande  (François Ruffin )
  •  François Ruffin  a qualifié Macron de « bâtard » de François Hollande et s’expliqué sur Twitter.
  •  (FRANCE INTER / RADIO FRANCE)
  • Bâtard », le mot est fort et il a fait réagir. Interrogé sur France Inter sur l’échec de Jean-Luc Mélenchon et l’état de la gauche après la présidentielle, jeudi 28 avril, François Ruffin a répondu en désignant Emmanuel Macron comme le « bâtard » de François Hollande. « Aujourd’hui, il y a un drapeau de la gauche qui est haut, qui peut briller alors qu’elle pourrait ne plus exister, s’est félicité le député La France insoumise. Quand on a eu cinq ans de Hollande, et que son héritier, son fils ou son bâtard, Emmanuel Macron, est présenté comme étant la continuité de cette gauche-là, ça pourrait être laminé dans le pays, ça ne l’est pas. » L’emploi du mot  »bâtard » pour qualifier le président réélu a fait réagir de nombreux élus de La République en Marche, qui pointent  »la provocation et l’excès » et dénoncent une « insulte ».
  • En guise de réponse, François Ruffin persiste et signe en rappelant sur Twitter la définition du mot bâtard. « ‘Bâtard, n. m. : enfant illégitime’. C’est vrai, ce n’est pas juste : Macron est dans la droite lignée de Hollande. ‘Mon ennemi, c’est la finance’ a accouché d’un banquier à l’Elysée. Avec la même politique : CICE, loi Travail, réforme des retraites et compagnie ».
  • Selon François Ruffin, « l’élection d’Emmanuel Macron est légitime, en revanche, le projet qu’il porte est aujourd’hui minoritaire dans le pays ». Toujours sur France Inter, il retient « deux réussites importantes » de LFI à la présidentielle. La première est qu’« un tiers des jeunes a voté Jean-Luc Mélenchon ». Pour lui, c’est  »un ferment pour l’avenir, ça pourrait être Marine Le Pen, ce n’est pas le cas ». Il se félicite également que « la gauche retrouve un droit de cité dans les quartiers, et ça n’est pas rien, ceux qui se sont longtemps abstenus ». François Ruffin identifie toutefois « un énorme point noir » : la France périurbaine a préféré la candidate du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, à Jean-Luc Mélenchon. « Je pense qu’on ne s’est pas fixé comme priorité d’aller reconquérir cette France-là (…)  dans les anciens bassins industriels ouvriers qui, c’est une réalité, sont abandonnés. »

Sondage Législatives : 86 % des électeurs de gauche pour l’union

Sondage Législatives : 86  % des électeurs de gauche pour l’union

Selon l’enquête Odoxa Backbone-Consulting pour Le Figaro, l’alliance aux législatives est plébiscitée par les sympathisants : 86% d’entre eux la souhaitent. Parmi eux, 70% aspirent à une alliance impliquant les Insoumis.Jusque-là, les soutiens du parti de la rose aspiraient à une forme d’hégémonie au sein de la gauche. «À condition que le PS soit le leader, indique Gaël Sliman. Mais quand on fait dix fois moins que son adversaire à la présidentielle, le drame est que les sympathisants socialistes finissent par accepter l’idée qu’on puisse organiser des accords dans lesquels Jean-Luc Mélenchon serait la pierre angulaire du dispositif.»

À droite, en revanche, l’alliance est plus complexe ou plutôt, moins naturelle. Le concept d’«union des droites», qui illustre l’alliance des personnalités politiques des Républicains, du Rassemblement national et de Reconquête!, est rejeté par une majorité des Français (62%) contre 31% des sympathisants de droite. «Le front républicain et la ligne rouge qui existaient autrefois entre le RPR et le FN ont évolué», analyse Gaël Sliman.

Ceci étant dit, les sympathisants LR sont nettement moins favorables à une alliance en vue des législatives (57%) quand une nette majorité des sympathisants RN, eux, le sont (78%). Du côté des soutiens du parti d’Éric Zemmour, plus de 9 sympathisants sur 10 se prononcent pour ce rapprochement. Si les soutiens du parti des Républicains souhaitent une union de leur famille politique avec d’autres partis, c’est d’abord avec La République en Marche (LREM) : 36% d’entre eux souhaitent un rapprochement avec le mouvement d’Emmanuel Macron contre 26% avec les partis situés plus à droite.

Enfin, près d’un Français sur deux est favorable à ce que LREM obtienne une majorité absolue à l’Assemblée nationale. «Chose étonnante, précise Gaël Sliman, seule une minorité (44%) des sympathisants LREM la souhaite. C’est comme s’ils se disaient : le président a remporté la présidentielle avec 31% des inscrits. Si en plus, on se retrouve avec une majorité absolue, la seule opposition qui pourra se faire entendre sera dans la rue. Il vaut mieux une opposition à l’Assemblée.»

Macronisme : un néo-libéralisme qui ne dit pas son nom

 Macronisme  : un néo-libéralisme qui ne dit pas son nom

Deux ouvrages dressent un bilan très néo-libéral du quinquennat d’Emmanuel Macron en matière de politiques publiques. Par Christophe Bouillaud, Université Grenoble Alpes (UGA) dans la « Tribune ».

Pour résumer à outrance, depuis Sarkozy notamment en passant par Hollande, l’orientation politique est d’installer derrière le masque du pragmatisme un projet de société de marché ou néo libéralisme.

De nombreux livres sur le style de gouvernance d’Emmanuel Macron ou sur certains aspects des politiques publiques menées de 2017 à 2022 ont été publiés par des journalistes pour aider le grand public à former son jugement à la veille de l’élection présidentielle. Ne serait-ce qu’en raison du temps nécessaire pour mener une recherche académique, ceux rédigés par des universitaires s’avèrent eux bien plus rares à ce stade.

Il faut donc saluer la publication en février 2022 de deux ouvrages qui tentent de faire un premier bilan à chaud des années 2017-2022 en respectant les contraintes de la vie académique. Le premier est le fruit d’un travail collectif dirigé par Bernard Dolez, Anne-Cécile Douillet, Julien Fretel, et Rémi Lefebvre, L’entreprise Macron à l’épreuve du pouvoir (PUG/UGA Editions, Fontaine/Grenoble).

En rassemblant pas moins de 29 spécialistes, l’ouvrage ambitionne d’établir un bilan de l’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron et sa majorité. Le second, Les politiques sociales sous Macron (PUG/UGA Editions, Fontaine/Grenoble) résulte au contraire de l’enquête menée par un seul chercheur, Mehdi Arrignon. Ce dernier se focalise sur les seules politiques sociales, à la fois à travers les statistiques disponibles, les changements législatifs et réglementaires en la matière, et des entretiens avec des acteurs de ces dernières du haut en bas de la hiérarchie politico-administrative.

Pour ce qui concerne les politiques publiques proprement dites (en laissant ici de côté les aspects électoraux et partisans aussi traités par l’ouvrage collectif), les deux ouvrages se rejoignent dans leur diagnostic : le macronisme des années 2017-2022 fut bel et bien un néo-libéralisme.

Rappelons que le néo-libéralisme, c’est cette doctrine, énoncée par exemple par Milton Friedman ou Friedrich Hayek dès les années 1960, qui entend mettre la puissance de l’État au service du développement harmonieux de tous les marchés pour atteindre les optima sociaux désirables, que ce soit une meilleure santé, une meilleure éducation, une bonne retraite ou du travail pour tous.

De cette idéologie bien présente dans les discours de Margaret Thatcher ou de Ronald Reagan dans les années 1980, on ne trouve certes guère de trace aussi directe dans les discours tenus depuis 2017 par Emmanuel Macron ou ses proches, tous les auteurs ici cités en sont d’accord.

Le macronisme se présente lui-même, soit comme un pragmatisme qui applique au cas par cas les bonnes solutions aux problèmes rencontrés, soit comme un élan modernisateur qui ne dépend d’aucune idéologie autre qu’un vague progressisme. Seule la technophilie, l’idée d’un salut par l’innovation, distingue alors vraiment le macronisme.

Céder sur l’accessoire pour préserver l’essentiel

Tous les auteurs cités s’accordent cependant sur le fait que les changements ou inflexions de politiques publiques entre 2017 et 2022 sont toujours allés dans la direction qu’indique depuis des décennies désormais la boussole néo-libérale : plus de marchés ou plus de poids donné aux forces du marché (entreprises, concurrence, innovation) et moins de sources structurelles de dépenses publiques pour permettre des baisses d’impôt sur les « premiers de cordées » (en particulier moins de dépenses sociales dites « passives » d’indemnisation, comme celles du chômage).

Rappelons parmi les grandes décisions d’Emmanuel Macron la suppression de l’ISF (Impôt de solidarité sur la fortune) au nom de la théorie dite du « ruissellement » selon laquelle la moindre imposition des plus riches amène à plus d’investissements et donc à plus d’emplois et à une élévation à terme du niveau de vie des plus pauvres. Ou encore la baisse des APL de cinq euros par foyer au nom de la lutte contre la rente foncière censée capter à son seul profit les subventions publiques aux loyers des plus modestes.

Les diverses crises qu’a connues le mandat d’Emmanuel Macron (« gilets jaunes », Covid et désormais l’invasion russe de l’Ukraine) ont pu donner l’impression que les décisions prises au jour le jour s’éloignaient de cette intention fondamentale, avec le désormais célèbre « quoi qu’il en coûte ». Les auteurs montrent plutôt qu’Emmanuel Macron et ses proches ont su à chaque fois céder sur l’accessoire pour préserver l’essentiel.

L’essence du macronisme

Quel est cet essentiel ? En matière économique et sociale, c’est à une priorité au « retour au travail » de tous que l’on assiste depuis 2017. Comme le montre Mehdi Arrignon, dans son chapitre 14, « Justice sociale : les conceptions implicites » (p. 199-208), c’est de fait à un retournement complet de l’idée même de protection sociale que l’on assiste. Il s’agit de forcer tout un chacun à devenir économiquement autonome de toute aide publique, à prendre des risques, à « traverser la rue ».

Les diverses réformes étudiées par M. Arrignon vont en effet toutes dans ce sens : faire du retour au travail rémunéré la solution unique à tous les problèmes rencontrés par les individus.

Les contributions rassemblées dans l’ouvrage collectif portant sur d’autres politiques publiques (sans pouvoir les couvrir toutes cependant) dressent le même diagnostic : sur la politique du logement laissée aux bons soins du marché (Sylvie Fol, Matthieu Gimat, Yoan Miot), sur la fiscalité favorisant les hauts revenus issus du capital mobilier (Kevin Bernard, Camille Herlin-Giret), sur la politique territoriale misant sur l’autonomie de territoires mis en concurrence (Eleanor Breton, Patrick Le Lidec), sur la santé contrainte par un corset financier d’acier trempé (Frédéric Pierru), sur le sort des grandes réformes (retraites, assurances chômage, etc.) maintenues de fait pendant les crises des « gilets jaunes » et du Covid (Rafael Cos, Fabien Escalona).

Le néo-libéralisme demeure au cœur des décisions, à la fois sous son aspect financier, sous la priorité qu’il donne aux marchés et aux entreprises, et enfin pour responsabiliser chacun de son propre sort. Il est noter qu’aucune des contributions ici rassemblées ne fait allusion à un renouvellement de la réflexion au cours des années 2017-2022 de la part des acteurs aux commandes des différentes politiques étudiées. Il n’y a donc pas lieu d’attendre quelque correction de trajectoire de leur part pour les années à venir.

Une grande continuité avec les deux mandats présidentiels précédents

Cependant, tous ces auteurs insistent aussi sur la continuité de ces politiques néo-libérales avec les deux précédents quinquennats (Sarkozy, Hollande). Il n’y a donc pas véritablement rupture, pas de « révolution » telle que promise dans le livre-programme d’Emmanuel Macron de 2016, mais approfondissement d’un sillon déjà bien labouré.

Cette continuité et cet approfondissement que représente le macronisme au pouvoir, largement lié à une continuité des élites politico-administratives (hauts fonctionnaires déjà à la manœuvre dans un domaine de politique publique avant 2017 repérés par les diverses contributions des deux ouvrages cités entre 2017 et 2022, ou élus venus du Parti socialiste ou des Républicains et ralliés en 2017 ou après à Emmanuel Macron comme députés ou ministres) qui conçoivent et mettent en œuvre ces réformes, expliquent sans doute l’insatisfaction des Français face à une bonne part de ces politiques publiques, et surtout à l’égard des institutions où ces politiques publiques sont décidées.

Un programme visant à fonder une société de marché

Selon les données du Baromètre de la confiance politiquel’enquête régulière menée par le CEVIPOF), jamais aucune institution politique nationale ou européenne (Président de la République, Parlement, Sénat, Conseil constitutionnel, Conseil économique social et environnemental, Union européenne) n’a dépassé depuis qu’il existe (2009), et ce jusqu’en janvier 2022, le seuil des 50 % de satisfaits (vague 13, janvier 2022).

L’insatisfaction à l’égard des pouvoirs les plus éloignés est ainsi devenu un très majeur de notre démocratie. Seuls les pouvoirs locaux (Conseil municipal, et, dans une moindre mesure, Conseil départemental et Conseil régional) recueillent encore régulièrement la confiance de plus de 50 % des Français. Quant aux partis politiques, ils représentent de longue date l’institution dans laquelle les Français ont de loin le moins confiance (21 % en janvier 2022).

Le programme en matière économique et sociale présenté par E. Macron le 17 mars 2022 en vue de sa réélection s’avère pourtant en parfaite continuité avec les décisions du quinquennat qui s’achève (retraite à 65 ans, obligation d’avoir une activité partielle pour les bénéficiaires du RSA, fusion de toutes les aides sociales, etc.).

La réélection d’Emmanuel Macron validera donc ce choix d’une « société de marché », comme aurait dit Lionel Jospin (PS) en son temps, alors qu’il refusait justement l’évolution du socialisme français vers le néo-libéralisme.

Une « société de marché » correspondrait à l’idéal néo-libéral enfin réalisé, où le devenir de chaque personne serait très strictement indexé sur sa réussite économique sur le marché. Elle correspond aussi à la volonté d’E. Macron de garantir une égalité aussi parfaite que possible des chances au départ de cette lutte pour profiter des agréments de la vie ou pour éviter ses désagréments, mais de n’offrir que des filets de sécurité les plus minimaux possibles pour les perdants de cette course. Cependant il n’est pas sûr que la pérennisation de ce nouveau modèle (anti-)social français n’accroisse pas encore la défiance d’une bonne part de la population à l’encontre de l’État, des élites, de la politique, voire même de toute autorité instituée.

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Par Christophe Bouillaud Professeur de science politique, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article a été publié dans le cadre du partenariat avec le site Poliverse.fr.

Quelle évolution du droit du travail depuis Macron ?

Quelle évolution du droit du travail depuis Macron  ?

 

Les ordonnances votées en début de quinquennat ont ouvert la voie à une individualisation de la négociation, affaiblissant ainsi le rôle des syndicats. Par David Sanson, ENS de Lyon

 

Les ordonnances Macron de 2017 ont profondément modifié le droit du travail en renforçant le « dialogue social » à l’échelle de l’entreprise, faisant de celle-ci le lieu central de la production des normes d’emploi.

Ce texte entérinait ainsi un changement inédit de hiérarchie des normes dans le droit du travail, en instaurant la primauté des accords d’entreprise sur les accords collectifs de branche professionnelle. Cette transformation radicale permet de faire de la loi non plus un outil de protection des travailleurs, mais, avant tout, un moyen de sécuriser la compétitivité des entreprises.

Cinq ans plus tard, nous vous proposons de revenir sur l’esprit, les raisons et les répercussions inédites de ces mesures phares qui ont fortement marqué le début du quinquennat du président Emmanuel Macron.

 

Rappelons tout d’abord que si ces trente dernières années ont été marquées en France par la consécration du « dialogue social » comme forme légitime des relations sociales en entreprise, la pratique de la négociation collective à l’échelle des organisations a été, pendant très longtemps, quasi inexistante en France.

En effet, ce sont seulement les lois Auroux de 1982 qui ont, pour la première fois, rendu obligatoires les négociations collectives en entreprise. Depuis, de nombreuses réformes législatives se sont succédé, toutes animées par une volonté d’étendre le périmètre et le contenu de ces négociations décentralisées.

Le développement d’un dialogue local est, depuis lors, présenté par le législateur comme une solution privilégiée pour désamorcer les velléités contestataires des syndicats et des salariés, qui reposeraient avant tout sur une incompréhension des réalités économiques et des contraintes managériales auxquelles sont confrontées leurs directions.

Derrière cette promotion d’un idéal démocratique de coopération entre les salariés et leur management, ces transformations de la législation attestent d’une réalité plus sombre. Notamment, ces mesures ont commencé récemment à remettre en question le « principe de faveur » sur lequel le droit du travail français est fondé afin de mieux protéger les travailleurs.

Selon ce principe historiquement ancré, un accord d’entreprise ne pouvait exister que s’il était plus favorable, pour les salariés, aux règles négociées dans la convention collective ou les accords de branche, afin d’éviter une course au « moins-disant » social.

La succession des lois Fillon de 2004 et Bertrand de 2008 sont les premières brèches symboliques qui ont ouvert progressivement des possibilités de dérogation aux conventions collectives pour les accords d’entreprise, mais seulement sur certains critères et dans certaines conditions. Plus récemment, les lois Rebsamen de 2015El Khomri de 2016 puis, surtout, les ordonnances Macron, en 2017, parachèvent cette (r)évolution discrète.

Les ordonnances Macron, tout particulièrement, ont des implications d’une ampleur sans précédent : elles permettent désormais de renégocier complètement les clauses des conventions collectives dans tous les domaines, en actant la primauté aux accords d’entreprise sur les accords collectifs de branche, y compris en cas d’accords moins favorables pour les travailleurs.

En inversant ainsi la hiérarchie des normes, ces décrets ont alors ouvert, pour la première fois, la possibilité d’une individualisation des négociations collectives à l’échelle des entreprises.

Si les ordonnances Macron ne défendent donc pas des idées nouvelles, elles actent cependant l’aboutissement concret de plus de trente ans de « tournant entrepreneurial » du droit du travail : en déconsidérant les notions de classes et de subordination qui en constituaient le fondement, elles interprètent ce droit non plus comme un outil de protection des travailleurs, mais comme un moyen de sécuriser la compétitivité des entreprises.

En ce sens, ces multiples réformes ont surtout permis de relayer les doléances patronales, fidèlement reprises dans les ordonnances Macron, qui, en plus de déplafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciements abusifs (hors cas de harcèlement), facilitent par exemple les procédures de licenciements économiques tout en flexibilisant davantage les accords de maintien dans l’emploi.

C’est également dans cette perspective que ces ordonnances viennent bouleverser les modalités des négociations collectives dans de multiples domaines. En particulier, le fonctionnement des instances de représentation du personnel (IRP) a été profondément remanié.

La fusion des trois instances traditionnelles (CE, CHSCT, DP) en une seule (le Comité social et économique, ou « CSE ») est l’une des mesures les plus emblématiques de ces décrets : présentée comme une manière de simplifier le dialogue dans l’entreprise, cette refonte contraint en réalité fortement les représentants des salariés, en diminuant leurs ressources, et en limitant la portée réelle de leur prérogatives.

Soulignons en ce sens la réduction du nombre de représentants du personnel - jusqu’à 50 % - pour une charge de travail plus importante, ou bien encore le délai raccourci pour les possibilités de recours à des experts extérieurs (dont le financement, jusqu’alors aux frais de l’employeur, doit désormais être pour partie pris en charge sur le budget du CSE).

Notons que la suppression des CHSCT ôte d’ailleurs aux représentants des salariés l’un des dispositifs qui leur était le plus favorable dans le jeu des négociations. Enfin, les modalités même de fonctionnement du CSE peuvent être directement négociées au cas par cas, laissant ainsi toute latitude aux entreprises de définir leurs propres modalités de négociations et faisant dès lors des droits syndicaux eux-mêmes un enjeu (central) de la négociation d’entreprise. C’est ainsi aux représentants des salariés de négocier… leurs propres ressources pour négocier.

Cette vision contractuelle des relations professionnelles, qui passe complètement sous silence la nature asymétrique des liens de subordination propre aux relations hiérarchiques, se trouve en décalage complet avec la réalité des rapports de force que les salariés et leurs représentants peuvent aujourd’hui construire face à leur direction.

La fragilisation des protections collectives confère alors au patronat une position particulièrement favorable pour imposer sans contreparties le contenu et l’issue des négociations. Avec le renversement du « principe de faveur » qui fragilise le droit des salariés, les ordonnances Macron offrent en effet aux équipes de direction des outils supplémentaires d’individualisation et de flexibilisation du travail et des rémunérations, comme l’ont récemment illustré plusieurs enquêtes approfondies.

De façon plus subtile que les anciennes pratiques de répression directe, ces outils du dialogue social peuvent aussi être investis comme des moyens habiles de sélectionner les « bons » représentants des salariés et les « bonnes formes » de contestation, en encourageant notamment un syndicalisme de concertation, plus consensuel et conciliant. À ce titre, les ordonnances Macron consacrent les efforts des représentants du patronat et du législateur pour, comme le soulignait le sociologue Étienne Penissat, « institutionnaliser, légitimer et soutenir un syndicalisme « gestionnaire » compatible avec les exigences du capitalisme contemporain », tout en marginalisant, de fait, les postures syndicales contestataires.

Alors que l’esprit de ces réformes tend à discréditer toute notion de conflits et de subordination, ces évolutions nous invitent ainsi, au contraire, à réfléchir aux manières dont les représentants des salariés peuvent continuer à bâtir un rapport de force favorable à la défense des travailleurs, dans un contexte où l’asymétrie sociale avec leur employeur se trouve renforcée par les nouvelles règles de négociations collectives d’entreprise.

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Par David Sanson, Professeur régulier (eq. MCF), Université du Québec à Montréal (UQAM), ENS de Lyon.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Twitter: Vers la manipulation de l’information

 Twitter: Vers la manipulation de l’information

Twitter, plus que tout autre réseau social, permet de suivre et de commenter les événements en temps réel. L’acquisition de la plate-forme par Elon Musk pourrait radicalement changer la donne. Par Anjana Susarla, Michigan State University ( dans la Tribune)

 

Elon Musk, la personne la plus riche du monde, a acquis Twitter pour 44 milliards de dollars américains le 25 avril 2022, 11 jours après avoir fait son offre. Twitter a annoncé que l’entreprise, côtée à la bourse de New York depuis 2013, passerait entièrement sous la propriété d’Elon Musk.

Dans son dépôt auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis, Elon Musk a expliqué :

« J’ai investi dans Twitter car je crois en son potentiel d’être la plate – forme de la liberté d’expression dans le monde entier, et je pense que la liberté d’expression est un impératif sociétal pour une démocratie en bonne santé. »

En tant que chercheuse spécialiste des réseaux sociaux, je trouve que l’acquisition de Twitter par Elon Musk et les raisons qu’il a invoquées pour ce rachat soulèvent des questions importantes. Ces questions sont liées à la nature même des plates-formes de médias sociaux, qui se distinguent des plates-formes classiques.

Twitter occupe une place unique. Ses messages courts et ses fils de discussion favorisent les conversations en temps réel entre des milliers de personnes, ce qui le rend populaire auprès des célébrités, du monde des médias et des politiques.

Les analystes des médias sociaux prennent en compte la demi-vie du contenu sur ces plates-formes, c’est-à-dire le temps nécessaire pour qu’un contenu atteigne 50 % de l’engagement qu’il aura totalisé à la fin de sa durée de vie, généralement mesuré en nombre de vues ou d’autres mesures de popularité. La demi-vie moyenne d’un tweet est d’environ 20 minutes, contre cinq heures pour les publications Facebook, 20 heures pour les publications Instagram, 24 heures pour les publications LinkedIn et 20 jours pour les vidéos YouTube. Cette demi-vie beaucoup plus courte illustre le rôle central qu’occupe désormais Twitter en suscitant des conversations en temps réel, à mesure que se déroulent les évènements.

La capacité de Twitter à façonner le discours en temps réel, ainsi que la facilité avec laquelle les données, y compris les données géomarquées, peuvent être recueillies sur Twitter, en ont fait une mine d’or pour les chercheurs qui souhaitent analyser une variété de phénomènes sociétaux, allant de la santé publique à la politique. Les données issues de Twitter ont été utilisées pour prédire les visites aux urgences liées à l’asthme, mesurer la sensibilisation du public aux épidémies et modéliser la dispersion de la fumée des feux de forêt.

Les tweets qui constituent une discussion sont affichés par ordre chronologique et, même si une grande partie de l’engagement d’un tweet se fait en amont, les archives de Twitter offrent un accès instantané et complet à tout tweet public. Twitter permet ainsi d’enregistrer les évènements, ce qui en fait, de facto, un outil pour « fact-checker » ce qui s’est réellement passé.

Les projets d’Elon Musk

Il est donc crucial de comprendre comment l’acquisition par Elon Musk de Twitter, ou plus généralement le contrôle privé de plates-formes de médias sociaux affectent le bien-être collectif. Dans une série de tweets supprimés, Elon Musk a fait plusieurs suggestions sur la façon de changer Twitter, notamment en ajoutant un bouton d’édition pour les tweets et en accordant aux utilisateurs premium des badges distinctifs sur leur profil.

Il n’existe aucune preuve expérimentale de la manière dont un bouton d’édition modifierait la transmission des informations sur Twitter. Cependant, il est possible d’extrapoler les analyses de recherches antérieures sur les tweets supprimés.

Il existe de nombreux moyens de récupérer les tweets supprimés, ce qui permet aux chercheurs de les étudier. Alors que certaines études montrent des différences de personnalité significatives entre les utilisateurs qui suppriment leurs tweets et ceux qui ne le font pas, ces résultats suggèrent que la suppression de tweets est un moyen pour les gens de gérer leur identité en ligne.

L’analyse du comportement menant à ces suppressions de tweets peut fournir des indices précieux sur la crédibilité et la désinformation en ligne. De la même façon, si Twitter ajoutait un bouton d’édition, l’analyse des comportements menant à l’édition des tweets pourrait fournir des informations sur les intentions des utilisateurs de Twitter et l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes.

Des études sur l’activité des robots informatiques sur Twitter ont montré que près de la moitié des comptes qui publient des tweets à propos du Covid-19 sont probablement des robots. Étant donné les clivages partisans et la polarisation politique dans les espaces en ligne, permettre aux utilisateurs – qu’il s’agisse de robots informatiques ou de personnes réelles – de modifier leurs tweets pourrait devenir une nouvelle arme dans l’arsenal de désinformation utilisé par ces robots et les propagandistes. L’édition des tweets permettrait aux utilisateurs de déformer ce qu’ils ont dit, de manière sélective, ou de nier certains de leur propos, y compris les plus controversés, ce qui pourrait compliquer le traçage de la désinformation.

Elon Musk a également indiqué vouloir lutter contre les robots sur Twitter, ces comptes automatisés qui tweetent rapidement et de façon répétitive tout en se faisant passer pour de vrais utilisateurs. Il a appelé à authentifier les utilisateurs comme de véritables êtres humains.

Compte tenu des défis posés par les atteintes malveillantes à la vie privée en ligne, comme la pratique dite du « doxxing » - la divulgation de données personnelles pour nuire à un individu -, il est nécessaire que les méthodes d’authentification respectent la vie privée des utilisateurs. Cela est particulièrement important pour les activistes, les dissidents et les lanceurs d’alerte qui sont menacés à cause de leurs activités en ligne. Des mécanismes tels que les protocoles décentralisés permettraient l’authentification tout en garantissant l’anonymat.

Pour comprendre les intentions d’Elon Musk et ce qui attend les plates-formes de médias sociaux telles que Twitter, il est important de prendre en compte le gargantuesque – et opaque - écosystème de la publicité en ligne, qui comprend une variété de technologies utilisées par les réseaux publicitaires, les médias sociaux et les éditeurs qui proposent des espaces publicitaires. La publicité est la principale source de revenus pour Twitter.

Elon Musk a pour projet de générer les revenus de Twitter à partir des abonnements plutôt qu’à partir de la publicité. En s’épargnant le souci d’attirer et de retenir les annonceurs, Twitter aurait moins besoin de se concentrer sur la modération du contenu. Twitter deviendrait ainsi une sorte de site d’opinion, pour des abonnés payants, dénué de contrôle. À l’inverse, Twitter s’est montré jusqu’à présent très actif dans sa modération du contenu afin de lutter contre la désinformation.

La description faite par Elon Musk d’une plateforme qui ne se préoccupe plus de modérer le contenu est inquiétante en considération des préjudices causés par les algorithmes des médias sociaux. Des recherches en ont mis en évidence un grand nombre, comme les algorithmes qui attribuent un sexe aux utilisateurs, les inexactitudes et biais potentiels des algorithmes utilisés pour récolter des informations sur ces plates-formes, et les conséquences pour la santé de ceux qui s’informent en ligne sur ce sujet.

Le témoignage de la lanceuse d’alerte Frances Haugen, ancienne employée de Facebook, et les récents efforts de réglementation, tels que le projet de loi sur la sécurité en ligne dévoilé au Royaume-Uni ou les futures législations de l’Union européenne, montrent que le public est largement préoccupé par le rôle joué par les plates-formes technologiques dans la formation des idées de société et de l’opinion publique. L’acquisition de Twitter par Elon Musk met en lumière toute une série de préoccupations réglementaires.

En raison des autres activités d’Elon Musk, la capacité de Twitter à influencer l’opinion publique dans les secteurs sensibles de l’aviation et de l’automobile provoque automatiquement un conflit d’intérêts, sans compter les implications quant à la divulgation des informations importantes nécessaires aux actionnaires. En ce sens, Elon Musk a déjà été accusé de retarder la divulgation de sa participation dans Twitter.

Le challenge lancé par Twitter aux hackers pour détecter les biais existants dans ses propres algorithmes a montré qu’une approche communautaire était nécessaire pour créer de meilleurs algorithmes. Ainsi, le MIT Media Lab a imaginé un exercice très créatif consistant à demander aux collégiens de réimaginer la plate-forme YouTube en tenant compte de l’éthique. Il est peut-être temps de demander à Elon Musk de faire de même avec Twitter.

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Par Anjana Susarla, Professor of Information Systems, Michigan State University

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

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