Retraites : la réforme impossible ?
Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC, Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, ainsi que l’économiste Patrick Artus et le politologue Jérôme Fourquet ont confronté leurs points de vue dans « le Monde », alors que la bataille contre la réforme voulue par Emmanuel Macron est déjà engagée.
Geoffroy Roux de Bézieux : Le président de la République a eu raison d’annoncer la couleur pendant la campagne présidentielle : il va falloir travailler plus longtemps, jusqu’à 64 ans ou 65 ans. J’ai toujours pensé que la réforme précédente avait échoué parce qu’elle n’avait pas été détaillée pendant la campagne de 2007. Là, les choses sont dites : le président de la République a, selon moi, la légitimité pour faire aboutir ce chantier.
Jérôme Fourquet : Je serais moins affirmatif que Geoffroy Roux de Bézieux. Depuis vingt ans, les Français sont très réticents à l’idée d’allonger la durée de la vie active. La seule catégorie de la population massivement acquise au report de l’âge du départ à la retraite, ce sont les retraités, qui traditionnellement votent à droite. Le basculement d’une partie de l’électorat de droite vers Emmanuel Macron est vraisemblablement lié à son annonce sur les retraites. Mais ce sera très compliqué de faire passer la pilule auprès du reste des électeurs, même si le sujet du financement de la dépendance engendre une réelle angoisse.
Pascale Coton : La façon dont le sujet est posé est très irritante. A chaque fois qu’un problème budgétaire se présente, on nous explique qu’il va falloir travailler plus longtemps. Les salariés ne veulent plus entendre cela. Ce qu’ils demandent, c’est de pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Ils veulent également que les inégalités existantes soient corrigées. Par exemple, est-il normal que les femmes à bas salaires doivent travailler jusqu’à 67 ans pour bénéficier d’une retraite complète ? Une réforme des retraites digne de ce nom doit prendre en compte tous ces aspects.
G.R.B : Un pays qui dépense beaucoup a besoin de beaucoup de travail pour financer son modèle. L’idéal serait d’augmenter notre taux d’emploi pour nous rapprocher de celui de l’Allemagne, mais cela prendra du temps. En attendant, le plus efficace est d’allonger la durée de la vie active.
Patrick Artus : Aucune économie n’est possible en France, sauf sur les retraites. Quand on compare l’écart de la dépense publique avec l’Allemagne, on trouve ceci : 1,5 point de produit intérieur brut (PIB) au titre des d’aides de l’Etat aux entreprises, 1 point de PIB pour financer la politique familiale, 1 point de PIB pour les dépenses militaires, 0,5 point de PIB pour la culture. Tous ces postes sont intouchables. Il reste quatre points de PIB sur les retraites, qui constituent la seule marge de manœuvre.
J.F. : Un leitmotiv revient dans toutes les enquêtes que nous menons : qu’est-ce qui garantit que l’employeur gardera les salariés jusqu’à 63 ou 64 ans, étant donné que c’est souvent la chasse aux seniors et la placardisation dans les entreprises ?
G.R.B. : Il faut regarder ce qui se passe dans les pays d’Europe du Nord, qui ont mis en place des systèmes de retraite progressive. Il faut que les salariés acceptent de se dire que les deux dernières années seront moins bien payées, avec moins de responsabilités qu’en pleine carrière.
P.C. : Après trente ans de travail dans une entreprise, si on demande à un salarié de régresser de cadre à salarié moyen, ce n’est pas très sympathique. C’est très déstabilisant !
G.R.B. : Du point de vue managérial, je ne vois pas comment on peut garder des gens plus longtemps aux mêmes fonctions et responsabilités. Le salaire est un autre sujet. Une partie peut être prise en charge par le système de retraite. Je parle de l’aspect hiérarchique et du management des postes. Si tout le monde reste à son poste éternellement, il y a un problème.
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