La grande intoxication par le mythe russe

La grande intoxication par le mythe russe

 

Inscrite depuis 2020 dans la Constitution russe, la glorification du rôle de l’URSS pendant la seconde guerre mondiale est utilisée par Vladimir Poutine pour justifier l’invasion de l’Ukraine. Une propagande datée directement héritée de l’époque soviétique.( papier « du Monde ».

L’un des mystères qui entourent l’invasion de l’Ukraine tient à l’absurdité apparente de la propagande russe. « Dénazification », lutte contre un gouvernement « pronazi »… L’agression, quels que soient ses buts réels, est invariablement mise en scène comme la guerre de libération d’un peuple ukrainien uni aux Russes « par des liens du sang » – selon les mots du président russe Vladimir Poutine prononcés le 21 février –, un peuple qui aurait « fait face à la montée de l’extrême droite nationaliste (…) rapidement développée en une russophobie agressive et en néonazisme ».

Le fait que de telles affirmations n’entretiennent aucun rapport avec la réalité, alors que le poids de l’extrême droite ukrainienne est aujourd’hui marginal, relève à ce point de l’évidence qu’on peut être tenté de les passer par pertes et profits. Quelle guerre n’entraîne pas son flot de mensonges ? Sauf qu’à tirer le fil de ce discours sur la longue durée, une autre évidence apparaît bientôt, dont on n’a peut-être pas mesuré toutes les implications : l’impossibilité dans laquelle se trouve désormais la Russie de se présenter au monde autrement que comme une puissance antinazie, tant le régime poutinien a fait de la victoire de 1945 contre le IIIe Reich le fondement de sa légitimité, voire de l’identité russe.

Une victoire par laquelle, disait Poutine en la commémorant le 9 mai 2021, « le peuple soviétique a (…) libéré les pays d’Europe de la peste brune ». Neuf ans plus tôt, le 9 mai 2012, il proclamait, dans les mêmes circonstances : « Notre pays (…) a offert la liberté aux peuples du monde entier. » C’est ce libérateur, cet héritier antinazi de l’URSS qui, le 24 février, est entré en Ukraine, poursuivant sa mission historique. Dans son intervention matinale à la télévision, ce jour-là, M. Poutine déclarait encore : « L’issue de la seconde guerre mondiale est sacrée. »

Dans un pays qui, en juillet 2020, a amendé sa Constitution en y introduisant la célébration de « la mémoire des défenseurs de la patrie » et l’interdiction de « minimiser la signification de [leur] héroïsme », il n’est pas étonnant qu’un rappel historique de cette nature apparaisse au cours de l’annonce d’une invasion, même si celle-ci n’a, en réalité, aucun rapport avec lui. Mais cela implique qu’il faut examiner la construction mémorielle qui se fait alors jour. Non pour y dégager ce qui formerait une cause unique des événements, mais parce qu’aucune explication ne vaudrait sans les replacer sur cet arrière-fond, alors que le régime poutinien ne cesse de le faire en célébrant la Grande Guerre patriotique, comme l’on disait en URSS et comme l’on dit toujours dans la Russie contemporaine.

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