Avec la stagflation, déjà un budget de crise
Les mauvais chiffres économiques du premier trimestre et les perspectives vont remettre en cause toutes les prévisions budgétaires. En clair, la plupart des promesses électorales pour la plupart déjà non financées pourront difficilement être tenues. Un papier de la « Tribune » fait sur la situation économique
.Après un fort rebond en 2021 à 7%, la croissance française a stagné au cours du premier trimestre 2022. D’après les chiffres de l’Insee dévoilés ce vendredi 29 avril, le PIB a fait du surplace entre janvier et mars après +0,8% au cours du dernier trimestre 2021 et +3% au troisième trimestre 2021. L’institut de statistiques a révisé fortement ses prévisions trimestrielles par rapport au mois de février (-0,3 point).
« Le PIB marque le pas au T1 2022 (0,0% en variation trimestrielle). Il porte l’empreinte des 2 chocs exogènes (le Covid avec Omicron en janvier, puis la guerre en Ukraine qui a renforcé l’inflation) qui se sont conjugués pour faire baisser nettement la consommation des ménages », a réagi le chef du département de la conjoncture à l’Insee Julien Pouget sur Twitter.
L’éclatement de la guerre aux portes de l’Union européenne a considérablement assombri les perspectives économiques. Le Fonds monétaire international (FMI) table désormais sur une croissance du PIB de 2,9% en 2022 contre 3,5% en janvier.
Résultat, la France se trouverait déjà, selon plusieurs économistes, dans un scénario de risque « stagflation » (forte inflation et croissance atone). A l’inverse, d’autres estiment qu’à ce stade, compte tenu de l’acquis de croissance prévu sur l’année 2022 (2,4% selon l’Insee), cette hypothèse de stagflation n’est pas encore confirmée.
Alors qu’Emmanuel Macron doit détailler son prochain gouvernement la semaine prochaine, ces mauvais résultats pourraient bien compliquer la tâche du nouvel exécutif. « De toute évidence, la prévision de croissance annuelle de 4% en 2022 faite par le gouvernement à l’automne dernier pour son projet de budget ne tient plus. Elle sera abaissée dans le cadre du collectif budgétaire discuté cet été pour tenir compte des nouvelles circonstances, » a expliqué l’économiste de Oddo BHF, Bruno Cavalier, dans une récente note.
Après le plan de résilience de 7 milliards d’euros annoncé au printemps, le gouvernement va devoir présenter un projet de loi de finances rectificative (PLFR) dès cet été pour pouvoir assurer le financement de nouvelles mesures. En effet, les équipes de Bercy planchent déjà sur de nouvelles aides pour les gros rouleurs et un prolongement du bouclier tarifaire notamment. Les dernières semaines de la campagne présidentielle ont rappelé que le pouvoir d’achat était une question brûlante aux yeux des Français. En outre, les résultats des élections de dimanche dernier ont montré que la France était profondément fracturée avec une extrême droite au plus haut et une abstention au sommet. A l’approche des élections législatives prévues en juin prochain, Emmanuel Macron doit absolument éviter tout embrasement social s’il veut garder la majorité à l’Assemblée nationale.
L’indice des prix à la consommation a grimpé de 4,8% en avril contre 4,5% en mars selon les chiffres toujours provisoires de l’Insee. L’énergie continue de faire monter la fièvre des prix en général mais dans une moindre mesure que lors des premiers mois de l’année. « La principale contribution reste de loin celle de l’énergie mais elle diminue un peu. A l’inverse, les contributions de l’alimentation, des produits manufacturés et des services augmentent », complète Julien Pouget.
Alors que l’année 2021 était marquée principalement par la hausse des prix de l’énergie suite au plongeon spectaculaire de la croissance en 2020, la donne a complètement changé. « Le fait que les taux d’inflation dans les services, dans l’alimentation et dans les produits manufacturés sont tous en hausse, et supérieurs à l’objectif de la BCE, illustre l’élargissement des pressions inflationnistes », explique l’économiste d’ING Charlotte de Montpellier dans une note.
Portée par les frictions entre l’offre et la demande en 2021 dans le contexte de la reprise, l’inflation a continué d’accélérer fortement au cours du premier trimestre dans le contexte de la guerre en Ukraine. L’invasion de la Russie a provoqué un choc très important sur les marchés de l’énergie sur le Vieux continent obligeant les Etats européens à trouver des solutions pour se passer du gaz et du pétrole russe.
La demande intérieure a pesé sur les chiffres de l’activité entre janvier et mars. « Contrairement aux Etats-Unis où la chute du PIB au premier trimestre est liée à la faiblesse de la demande étrangère, c’est la demande intérieure qui chute en France, contribuant à hauteur de -0.6 point à l’évolution du PIB », ajoute Charlotte de Montpellier. La consommation des ménages, traditionnel moteur de la croissance tricolore a reculé au cours du premier trimestre à -1,3% après 0,6%.
La flambée des contaminations due au virus Omicron en fin d’année 2021 au moment des fêtes de Noël et pendant les premières semaines de 2022 a considérablement pesé sur le moral des ménages. Du côté des investissements, les chiffres montrent une lente progression à 0,2% contre 0,3% au T4. La dynamique est principalement portée par les entreprises et les administrations publiques. En revanche, les dépenses d’investissement des ménages sont en repli de -1,1%.
Au cours du premier trimestre, le commerce extérieur a contribué positivement à la croissance de l’ordre de 0,1 point. « Les échanges extérieurs continuent également de progresser, mais avec un rythme moindre que fin 2021, notamment grâce à un rebond des exportations de matériels de transport compte tenu de la livraison d’un navire de croisière. Les exportations (+1.5% sur le trimestre) augmentent plus rapidement que les importations (+1.1%), » souligne Charlotte de Montpellier.
Après deux années de marasme, les exportateurs français retrouvent un peu de couleurs mais cette embellie pourrait être de courte durée. Outre les effets dévastateurs de la guerre en Ukraine, la politique zéro covid menée en Chine et les confinements de masse imposés par Pékin chamboulent les chaînes d’approvisionnement dans le monde entier. En France, plusieurs industriels ont déjà fait savoir qu’il devaient ralentir les cadences de production en raison de ces restrictions. D’autres ont choisi de rogner sur leurs marges.
Malgré une croissance atone, le nombre de demandeurs d’emploi a reculé au cours du premier trimestre. D’après les derniers chiffres de la direction statistique du ministère du Travail (Dares), le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A a baissé de 5,3% (-164.000) en France métropolitaine par rapport au dernier trimestre 2021 et de 16% sur un an. En parallèle, le nombre de demandeurs d’emploi en activité réduite a continué d’augmenter (catégorie B) ou s’est stabilisé (catégorie C). « Au total, le nombre de demandeurs d’emploi en catégories A, B, C diminue de 2,8 % sur ce trimestre (- 150 000) et de 8,4 % sur un an », soulignent les statisticiens dans un communiqué.
Ces chiffres de croissance moins bons qu’attendus au cours du premier trimestre risquent de peser sur les prochains trimestres. »La forte hausse de l’inflation, qui se propage désormais de plus en plus largement dans l’économie, pèse sur les revenus des ménages. A cela s’ajoute le pessimisme des ménages, illustré par la forte baisse de la confiance des consommateurs en mars et le fait qu’elle ne se soit pas redressé en avril. Ces deux éléments risquent de modérer encore plus fortement la demande des ménages », indique Charlotte de Montpellier.
Cette demande déprimée devrait peser sur les carnets de commande des entreprises déjà affectées par deux années de pandémie. « La croissance économique française risque donc de rester faible », table Charlotte de Montpellier. « Bien qu’aucun de ces facteurs ne soit suffisant pour faire basculer complètement l’économie française vers la récession, la conjonction de tous ses éléments en même temps augmente drastiquement les risques d’un ou deux trimestres de croissance négatives pour la suite de l’année », ajoute-t-elle. En attendant, le prochain exécutif devra affronter ce coup de mou dans les prochaines semaines.
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